Dark Star, les routiers de l’espace si loufoques et baroques !

Dark Star, les routiers de l'espace si loufoques et baroques !

Dans les années 70 en Californie John Carpenter et Dan O Bannon, deux jeunes étudiants en cinoche se jettent à l’eau et projettent de tourner un film de SF dans l’espace de liberté et d’humour à foison. Ça fait forcément désordre ! Entourés d’une équipe de joyeux créateurs enthousiastes, ils tournent Dark Star sur cinq ans !’anti 2001 l’Odyssée de l’espace comme l’Anti-Oedipe révolutionna les normes constipées. Ce film bouscula à grands éclats de rires et d’inventivité le cinoche de papa et consacra Carpenter à prendre de la hauteur, pour se hisser aux hautes marches de l’horreur de son cinoche qui décoiffe.

A Dan O Bannon (1946 / 2009) à ton art de la folie douce et à ton intelligence créative !

Les avis sont tranchés : on adore ou on déteste Dark Star. Les nuances, on s’en balance ! Constipé(e)s à l’humour crispé et aux références de la SF proprette, Dark Star va vous filer le cafard. En revanche, ami(e)s de l’absurde et du non-sens des Monty Pithon, bienvenue dans ce cinéma d’auteurs, qui aux prémices de John Carpenter va annoncer l’horreur dans ses œuvres de maturité. Admirateurs de George Lucas, Dark Star représente pour vous un cas pathologique incurable.

Au départ était la verve et l’enthousiasme de deux potes, John Carpenter et Dan O Bannon de créer et tourner un court-métrage de science-fiction au département cinéma expérimental de la fac USC de Los Angeles. Francis Ford Coppola et Georges Lucas, eux aussi fourbirent leurs talents à graver la pelloche en ce lieu mythique.

N’oublions pas non plus le contexte favorable des années 70 de tous les possibles, à l’instar de la fac de Vincennes Paris VIII en France, où l’imagination et la création fraternelle avaient terrassé tous les pouvoirs !
Sans gros moyens matériels, dans une écurie et une petite cour, une bande d’aminches autour de nos deux héros cinéastes touchaient à tout dans la bonne intelligence, de la réalisation, à la photo, au montage. Cinq ans de travail acharné en dent de scie, suivant les entrées de l’artiche, pour un résultat probant pourtant, malgré les critiques acerbes des donneurs de leçons habituels. Simple film d’étudiants dans un projet d’études, il n’en est rien. Ce film reflète la substance libertaire subversive et réfractaire à l’ordre établi.
Prévu au départ pour un court-métrage, Dark Star s’est étoffé et a pris de l’envergure au niveau du format pour atteindre les 80 minutes nécessaires, afin d’être projeté dans des salles de ciné. Je ne vous parle pas de ses déboires….
Au rayon rubrique à brac de rien du tout qui composait le décor pour pas un rond, avec par exemple le tableau de bord de l’équipage et son aspect rutilant, pas encore trop déglingué par des années de vol. Il était composé juste de quelques planches et des câbles. Les instruments de bord étaient fixés à des plateaux plastiques retournés et tout un tas de punaises. La plupart des éléments du décor représentaient des objets achetés en solde et détournés par la suite. Pour rendre un semblant de modernité, à l’époque il n’y avait qu’un ordinateur sur le campus installé dans une pièce de la section architecture. L’équipe a tout transporté là-bas pour filmer le seul écran d’ordinateur disponible au sein de l’université.

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Le synopsis : dans un mode futur, les terriens cherchent toujours plus de planètes à conquérir dans un besoin inextricable d’extension colonisatrice. Film forcément subversif, on pense au Vietnam qui aurait troqué le napalm contre l’atome yankee ! En effet, le vaisseau Dark Star, avec à bord ses quatre occupants plus un autre refroidi ont la charge d’effectuer des patrouilles de routine et faire exploser à coups de bombes atomiques les planètes considérées comme instables. Sauf qu’un jour, une bombe regimbe et refuse d’obéir….

20 balais de voyages et ne vieillir que 4 ans dans un espace confiné et retreint, pas facile à vivre. Toutes celles et tous ceux qui ont déjà vécu le contact rapproché sur un voilier à se supporter, à moins d’envoyer au requin le membre d’équipage qu’on ne peut plus saquer, tchao et bon vent…. Dans l’espace, tu as beau savoir nager, si tu ne sais pas voler de tes propres ailes, tu joueras la vie brève.

Franchement, à la lecture du synopsis, pas de quoi sauter au plafond ! Les quatre zigues vivent côte à côté sans se voir ou à peine dans des tâches quotidiennes répétitives et d’une affligeante banalité. On frise la folie, il y a même un qui a oublié son nom ! Sur cette thématique, Stanley Kubrick nous en a fichu plein les mirettes sur grand écran. Son 2001 l’Odyssée de l’espace est d’un chiant pas possible…. Avec ses gus propres comme des sous neufs qui courent dans le vaisseau si fiers. Seule la partie consacrée à nos ancêtre les singes m’a réveillée de ma torpeur et encore ! Les acteurs jouaient mal et il est impossible pour un humano de singer un singe. Je m’attendais donc au pire.
Dan O Bannon partage mon avis : « L’espace ça n’a rien de marrant. C’est rasoir, super chiant. Ces pauvres types ont vraiment un boulot à la con. Horrible….  » Et en même temps paradoxe des temps, l’incontournable Kubrick était certainement son cinéaste préféré. L’influence du Docteur Folamour et son humour mordante est évidente.

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A bord de Dark Star, quatre hippies chevelus et barbus composent le tableau. On se demande ce qui les a amenés. Ils en ont ras le bol d’être là et ne peuvent pas se blairer. C’est le culte de l’ennui permanent. A part les rares moments où ils déclenchent le champignon atomique et décampent à vitesse grand V pour échapper aux retombées. Parmi toutes les nombreuses inventions techniques sans grands moyens, le processus de l’hyperdrive de fuite, dont je viens juste de parler, devait impliquer, selon les lois de la physique, qu’on retrouve les quatre gars sous forme protoplasmique à l’avant du vaisseau dans leur cabine de pilotage. Pour les fans de Lucas, l’hyperdrive a été repris dans La Guerre des étoiles. Rendons à l’équipe de Carpenter le génie d’imagination et d’innovation.
Même que, en voyant tout le travail fourni par O Bannon, George Lucas l’a engagé sur le tournage de Star Wars  ! Etonnant non ?

Si j’ai dédié cet article à la mémoire de Dan O Bannon, c’est pour plusieurs raisons. Officiellement la réalisation revient à John Carpenter. Mais en réalité, le film a été écrit par John et Dan. Les décors et les effets spéciaux ont été supervisés par Dan ! Et tout l’humour revient à Dan. En sus, quel acteur formidable ! Il joue le rôle de Pinback qui m’a fait éclater de rire. J’en ai encore mal au bide rien que de penser à sa prestation.

Dans le supplément, le documentaire intitulé « let there be light : l’odyssée de « Dark Star » d’une durée de 112 minutes est dédié à ce très cher Dan O Bannon. Il donne la parole à tous les protagonistes du film (même si John Carpenter n’y apparait pas de son propre grès, on n’entend juste ses propos).
John Carpenter évoque le personnage de Pinback alias Dan : « Pour créer son personnage, on a simplement parodié sa propre personnalité. Un type du genre vraiment obsessionnel persuadé que les autres l’apprécient, alors qu’il agace tout le monde. Par rapport à la réalité on a juste grossi le trait. Son personnage était à l’exemple de sa philosophie de la vie ». (rires).
Il demeure jouasse jusqu’à ce que sa rigidité légendaire reprenne le naturel, se déchaîne et massacre à la tronçonneuse ce cher Dan, qui sur le tournage devait sans doute lui faire de l’ombre. Mais comme vous pouvez l’imaginer, la rencontre de deux fortes personnalités ne pouvait que provoquer des étincelles !

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« Notre relation était intense, mais c’est devenu une lutte de pouvoir. Le pire cauchemar pour un réalisateur et d’en avoir un autre sur le dos, Dan est un type hyper talentueux, mais je ne retravaillerai plus avec lui. Je sais que ça signifie, me priver de son imagination. Il est doué comme acteur et scénariste, il a plein d’idées… Mais, je préfère avancer seul, quitte à me planter, plutôt que d’être en symbiose avec quelqu’un qui cherche à saper ma notoriété de réalisateur. On s’est séparés ».

En 1981, c’est Dan qui écrira le scénario de Alien, le septième passager réalisé par Ridley Scott, Métal hurlant, en 1990 Total Recall et d’autres Alien et j’en passe. Et pour les amateurs de gore, mon sang n’a fait qu’un tour, c’est lui en 1985 le réalisateur du Retour des morts-vivants.

Je vous ai causé de l’humour de ce film, alors ça vient ?
Imaginez un vaisseau spatial où il ne se passe pour ainsi dire rien de spécial. L’ordinateur de bord à la voix sexy réveille chaque jour ses morts vivants enterrés à bord. J’aime le côté absurde de cette histoire.
«  : Bonjour messieurs il est l’heure de se lever. » Pas la moindre réaction, ils restent allongés sur leurs lits de camp. « Merci d’observer les règles de sécurité  »… On entend de l’eau couler d’une douche. L’ordi continue d’énumérer les règles d’hygiène sans autre réactions. Puis il conclut en annonçant le petit déjeuner. Ils se lèvent tous comme un seul homme suivant l’appel du bide.

Pour parvenir à la durée du film adéquate, il a fallu rajouter des scènes qui n’étaient pas prévues au départ. Autant, Steven Spielberg dans le même cas de figure, avec Duel utilise la soporifique version course poursuite pour nous ingurgiter la pilule. Rien de tel avec Dan qui s’y est collé en tant qu’interprète et s’est bien éclaté pour notre plus grand plaisir. Je pense particulièrement à cette scène hilarante de la chasse à la chose.
« Désolé d’interrompre vos jeux, mais il faut nourrir la chose. (Toujours voix de l’ordi). Je rappelle que c’est vous qui avez voulu embarquer la chose ! Vous vouliez une mascotte à bord ».
Je laisse à John Carpenter le soin de nous décrire l’état des lieux de la chose entre les mains de Dan. « On était en train de filmer la surface d’une planète avec un ballon de plage, Pour le maintenir, on avait des ventouses en caoutchouc Le ballon a été repeint pour figurer la planète. Quelqu’un portait le ballon à bout de bras. Ce ballon gonflé équipé de ventouses, c’était totalement ridicule. Mais O Bannon s’est dit que c’était vraiment absurde. Et si l’aliéné était un ballon de plage avec des pattes ? On l’a peint à la bombe et on a jouté les griffes. C’est Nick Castle qui se cache derrière. C’est le même acteur qui dans Halloween se cache derrière « La forme ».

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La chose s’enfuit dans les dédalles du vaisseau et Dan se retrouve coincé sous l’ascenseur où la chose essaie de se débarrasser de lui.
Cinéphiles attentives et attentifs, renvoi d’ascenseur oblige rappelez-vous d’une scène similaire O combien tragique et angoissante dans Alien. Figurez-vous, que c’est le même Dan qui l’a écrite en beaucoup moins loufoque que dans Dark Star. Rendons hommage ce qui revient à César, alias Dan, au grand dam de Carpenter souvent de mauvaise foi à propos de son collaborateur.

L’humour toujours, les bombes parlent dans Dark Star et pas facile d’en désamorcer une, quand elle décide de ne pas obéir en ne se détachant pas du vaisseau, mettant en péril la vie de tout l’équipage. Un routier de l’espace décide d’aller à sa rencontre et entamer avec elle une discussion d’ordre existentiel inspirée de Descartes pour la ramener à la raison et lui prouver sa non existence. « Réponds à ceci, comment sais-tu que tu existes ? » Boum boum, quand notre tête fait boum……

John Carpenter n’était pas uniquement le cinéaste des films d’horreur que l’on apprécie à sa juste valeur. Il a aussi composé la musique de Dark Star. C’est le seul point ultime où réside ma critique. Clavier niannian suranné (peut-être aussi, était-ce à l’époque sa forme d’humour à lui, qui sait ?). En revanche la chanson country « Benson Arizona  » remplit son rôle dans un contraste hallucinant. Du style I’m poor lonesome Cowboy qui clôt chaque album de Lucky Lucke. Un cosmonaute d’ailleurs à la fin du film surfe sur la voie lactée avant de se désagréger, à peine inspiré du Kaléidoscope de Ray Bradbury.

La sortie du film lors de la première fut un triomphe puis bien vite le film fut retiré des salles pour raison commerciale et non compréhension par la critique.
John Carpenter à juste raison se rappelle. « Avec O Bannon, après la sortie du film, on est allés déjeuner et on s’est dit : qu’au final on n’était pas si balaize que ça. Je pensais que tous mes efforts déployés pour boucler ce film, seraient récompensés. Mais ça, les gens s’en tamponnent. Seul le produit fini les intéresse. Son ADN de film 16 mm et son côté parodique, n’a visiblement pas trop plu. Je pensais que les gens remarqueraient son côté créatif et verraient ses qualités. Comme je l’ai déjà dit, je pensais crouler sous les offres, mais que dalle. Plus de boulot  »
Il met l’accent sur un point qui au Mague nous tient très à cœur : tenir toujours compte de l’aspect créatif et rendre compte des propos du créateur dans tous ses états pour ne pas le trahir.
Dan O Bannon est aussi très déçu. C’est depuis ce film qu’il prit une sage résolution. « Si je n’arrive pas à les faire rire, je vais leur fiche la trouille  ». Encore de son temps, un incompris. Bande de nazes, vous avez sans doute perdu au change de l’humour ! Il n’empêche dans toutes ses créations, il s’est révélé un artiste accompli et très professionnel.

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Un film étrange qui nous propulse dans une autre dimension bien avant l’ère de tous les nanars de l’espace, que l’on connait chez Lucas et autres raves. Premier film d’un Carpenter que l’on ne reprendra pas de sitôt à se risquer dans la SF et qui culminera son talent dans l’horreur.
Un film jubilatoire avec des noms que l’on retrouvera bientôt qui s’illustreront aux génériques dans les champs des effets spéciaux et de la photographie. Dark Star film laboratoire d’étudiants en verve à ne manquer sous aucun prétexte avec humour et désinvolture. Une leçon de liberté de création que seules les années 70 pouvaient se permettre.

Pour vous mettre l’eau à la bouche, dans la bande annonce, on vous énonce en clair : « Ils se sont perdus dans l’espace, ils sont à la masse  ».

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Dark Star de John Carpenter, 1974, 80 minutes, couleurs, version originale sous-titrée, distribué par Carlotta films, sortie en DVD le 22 janvier 2014, entre 16,99 et 19,99 euros selon la version

Suppléments.
Le film dans sa version Director’s cut (68 minutes) / bande annonce / « let there be light : l’odyssée de « Dark Star » 112 minutes