Interview de Clémence Dumper à propos de son livre DEBANDADE

Interview de Clémence Dumper à propos de son livre DEBANDADE

Voici une interview exclusive de Clémence Dumper qui sort un premier roman aux Editions Philippe Rey qui est notre GROS COUP DE COEUR littéraire de ce début d’année 2014. Un roman audacieux, fort bien mené, écrit et mis en scène. Un roman proprement jubilatoire, profond, riche, dense et enrichissant qu’on vous conseille vivement... on ne vous en dit pas plus, laissons la parole à l’auteur !

1. Clémence Dumper vous sortez votre premier roman "Débandade" qui raconte comme son titre le suggère l’histoire d’un homme impuissant. Ce qui est très pertinent dans votre ouvrage c’est que c’est profondément un livre intellectuel qui fonctionne comme un roman avec une trame narrative mais aussi et surtout comme un essai où on dépasse vite le physique, l’organique pour s’intéresser au cerveau et à la pensée pure...

- Avec un tel sujet, je ne voulais surtout pas rester à la surface, dans le superficiel. Un thème comme la sexualité mérite qu’on aille au delà du physique pour aborder le psychique. Le corps est souvent lié au mental : ce sont des vases communicants ! La forme romanesque est finalement un prétexte pour explorer ce qui se passe derrière le corporel, pour exprimer une vision particulière sur la façon dont la sexualité est traitée dans notre société. Un essai aurait eu un aspect trop clinique, peut-être rébarbatif, alors que la création d’un personnage confronté à un problème sexuel permet forcément une identification plus forte, plus touchante qu’un texte purement théorique.

2. Vous êtes une femme qui traite d’un problème typiquement masculin avec la plus grande bienveillance. On est dans un roman sociologique mais pas moral, ni médical ou dans le jugement... finalement l’impuissante est un magnifique prétexte à écrire car son champs lexical est passionnant non ?

- Je voulais absolument instaurer une distance avec mon personnage, d’où l’utilisation du "tu" qui m’a semblé judicieuse pour décrire, expliquer le problème sans que cela tourne autour de ma petite personne. J’essaie d’être bienveillante mais je n’hésite pas, quand il le faut, à recadrer mon héros, à le critiquer, à montrer ses failles car il est loin d’être parfait. Je voulais susciter de l’empathie, pas de l’apitoiement. Un tel sujet (l’impuissance) permet en effet de jouer avec un champ lexical qu’on se doit de manier avec prudence pour ne pas sombrer dans le vulgaire. Le terme en lui-même, "impuissance", est terrible car il place le sexe de l’homme au cœur de sa virilité, de son pouvoir. Le champ des possibles, avec un tel sujet, est vaste : le vocabulaire est alors devenu une matière avec laquelle j’ai voulu jouer pour que la poésie se mêle au prosaïque.

3. Du mou, du vide, vous tirez presque une philosophie de vie...

- Dans une société où la performance est reine, ou l’ennui ne doit pas exister, celui qui est "mou" (dans tous les sens du terme) est forcément montré du doigt. On manage sa vie personnelle, la réussite est l’objectif absolu, au détriment souvent d’un bien-être individuel et simple. On veut faire de nous des "performers", optimiser notre potentiel mais cela se fait bien loin de la théorie du Surhomme de Nietzsche par exemple. Tous les moyens sont bons pour remplir notre vie, par crainte du vide justement, ce qui, à la longue, multiplie les dépressions car l’être humain se rend compte que ce "trop plein" ne lui convient pas forcément. Il faut savoir accepter le gouffre qui existe en nous, ne pas le nier, l’apprivoiser.

4. Vous êtes une stylisticienne, on sent que la construction de la phrase, sa justesse a beaucoup d’importance pour vous ?

- J’ai écrit ce roman rapidement, avec une frénésie qui, je l’espère, se ressent à la lecture. Mais je l’ai aussi énormément retravaillé, pour creuser certains aspects (notamment le côté psychologique, ainsi que les personnages secondaires qui devaient avoir une vraie consistance). Le style est essentiel pour moi. En tant que lectrice, j’aime qu’un roman me charme tant sur le fond que sur la forme : ils sont indissociables. Trouver le bon mot, placer la virgule à l’endroit idéal, savoir couper, supprimer des passages : tout cela n’est pas anodin. Je voulais racler la phrase jusqu’à l’os, jusqu’à la moelle. La langue française est riche mais il faut savoir l’affûter pour qu’elle fasse mouche ! Il ne faut pas rester dans l’ornement, cela est valable pour tous les genres littéraires.

5. Ce qui est assez jubilatoire dans "Débandade" c’est que finalement vous traitez votre sujet au sens propre et eu sens figuré...

- Le titre, déjà, est à prendre dans les deux sens : outre l’aspect physique, sexuel, il signifie également que tout fout le camp, et c’est ce qui se passe pour Alexis. J’aime beaucoup jongler avec le signifiant et le signifié, travailler sur les sens multiples que peuvent revêtir les mots, les expressions. Les mots parfois s’amusent avec notre inconscient et cette facétie-là me parait passionnante, loin d’être superficielle.

6. En vous lisant je me disais que vous aviez une écriture avait une intelligence "priapismique"... tout cela est très fin et rondement mené, c’est très explicite mais jamais glauque ni vulgaire alors que vous appelez une queue, une queue..

- C’est là toute la difficulté d’un tel sujet : comment rendre la réalité prosaïque du corporel sans sombrer dans le scabreux, le vulgaire ? J’ai pensé que la poésie et l’humour pouvaient aider. L’essentiel était de garder une bienveillance et de, toujours, sculpter la langue pour rendre la réalité, sans se censurer pour autant. D’une manière générale, les gros mots, le vocabulaire grossier ne me gênent pas mais il faut les insérer dans une langue digne : ils prennent alors une dimension plus intéressante. Quant au côté "priapismique", ma foi, je tenais à ce que l’ensemble reste jubilatoire même si le sujet est plutôt difficile, et puis, disons que j’ai laissé s’exprimer mon côté masculin dans ce roman, ça ne fait jamais de mal !

7. Est-ce qu’on vous découragé de vous attaquer à un tell sujet tabou ? Comment ont réagi vos proches et les professionnels ?

- Non, on ne m’a pas découragé. De la part des professionnels j’ai reçu tout type de réponses, tantôt encourageantes, tantôt cassantes, mais pas sur le sujet en lui-même. Je suis simplement étonnée qu’il y ait si peu de romans qui traitent du sujet, alors qu’il présente un ressort romanesque certain. Certes, ce n’est pas très glorieux, mais, au milieu de tous les romans qui parlent d’une hypersexualité, ou de SM, il est quand même important de prendre le contrepied de tout ça pour évoquer une réalité souvent tue. Les proches dans l’ensemble ont bien réagi, un peu surpris par le sujet, un peu étonnés qu’une femme l’aborde, mais, vu qu’il y a aussi une dimension psychologique et sensible, le côté "humain" permet de faire passer la chose... Après, il y aura forcément des gens gênés, des lecteurs qui n’aimeront pas, c’est légitime !

8. Je vous laisse le mot de la fin Clémence Dumper en vous remerciant pour le plaisir de lecteur que j’ai ressenti à lire "Débandade".

- Eh bien, si ce roman permet d’avoir un autre regard sur la "chose" sexuelle, s’il interroge, dérange, réjouit, disons que je n’aurais pas fait tout ça pour rien !

Débandade, Clémence Dumper, Editions Philippe Rey,

http://www.philippe-rey.fr/