Coffret Robbe-Grillet : 9 DVD fantasmagoriques au soufre sensuel intemporel ! (1)

Coffret Robbe-Grillet : 9 DVD fantasmagoriques au soufre sensuel intemporel ! (1)

Alain Robbe-Grillet (1922 / 2008) fut consacré très jeune Pape du nouveau roman. Devenu cinéaste, il fut aussi jeté en pâture par les puritains et autres calotins immatures. Ils vouaient une haine mortifère à ce créateur, qui se proclamait vivre libre la mise en scène de ses fantasmes dans son cinéma de littérateur. Homme qui aimait les humeurs féminines, la peau feutrée de ses jeunes actrices lui inspira des voyages voluptueux à travers l’Europe. Un public cultivé comme lui appréciera cet élan d’allégresse dans ses créations oniriques et charnelles à transgresser les tabous. Ce coffret 9 DVD chez Carlotta Films représente l’œuvre intégrale de Robbe-Grillet, qui a toujours voulu repousser les murs des normes et dire merde à la censure. Quatre de ces films ressortent également au cinéma.

Franchement  ! Ma curiosité habituelle a vaincu ma première impression de Robbe-Grillet, écrivain styliste et sinueux, qui s’endormait dans son écrin à s’inventer le grand architecte du nouveau roman, qui aura révolutionné !!!!! La grammaire littéraire ! M’ouais ! Je n’ai jamais accroché à sa prose qui étendit sa lignée éditrice entre 1949 et 2007. Prolixe, il a été le compagnon d’une maîtresse femme : Catherine Robbe-Grillet alias Jean(ne) de Berg auteure SM. Certains zieutèrent en lui un cinéaste à la Cocteau ou à la David Lynch. J’y vis pour ma part dans certains de ses films particulièrement novateurs un regard en lame de rasoir à la Buñuel surréaliste flirtant avec l’absurde, d’un tempérament esthète. Il a toujours été un amoureux de la sensualité féminine de préférence franchement jeunette. Telle Anicé Alvina éthérée à ne jamais prononcer plus de trois phrases au risque de se perdre dans le texte, Isabelle Huppert en un éclair, l’époustouflante beauté féline de Marie-France Pisier, Arielle Dombasle en comédienne de rêve et modèle de Delacroix, Sylvia Kristel tombée de O, Christine Boisson l’eau à la bouche, Gabrielle Lazure femme azurée et assurée en spectre envoutant, Cyrielle Claire en motarde cuir moulée à la louche et ange de l’enfer, Catherine Jourdan étudiante à l’Est de l’Eden des équations mathématiques aux jeux de dés et du hasard… Sans omettre également les acteurs qui se sont risqués sous son objectif oblique… Je pense au fringuant Jean-Louis Trintignant, à Philippe Noiret pas très à l’aise sous ses focales, Michel Lonsdale égal à lui-même, Daniel Mesguich théâtral comme un artiste total…

J’étais forcément d’autant plus curieuse de le découvrir en images et me forger ma propre opinion de son cinoche. Je sautai sur l’occasion que me tendit Carlotta Films, de visionner l’intégralité de son œuvre cinématographique. Et grand bien m’en prit.
Moi, qui n’avais rien compris à sa littérature, je découvris que certains de ce qu’il nommait ses ciné-romans furent adaptés par lui au grand écran et même le plus célèbre d’entre-deux : « L’année dernière à Marienbad  » par Alain Resnais, qui obtint le Lion d’or. Autre surprise détonante, Robbe-Grillet a écrit et réalisé tous ses films. L’ombre de Catherine, sa compagne, plane et apparait aussi souvent. En tout cas, elle est tellement présente sur tous les tournages, qu’elle nous gratifie pour presque chaque DVD, de sa préface point-de vue personnel dans les suppléments. Ainsi d’ailleurs que Robbe-Grillet lui-même interrogé par Frédéric Taddeï. Il est si prolixe à partager pour nous son enthousiasme et son extrême culture.

Ames sensibles et regards égrillards à mater la plastique féminine des jeunes actrices en fleur de passer le bac d’abord, repentez-vous au purgatoire. Gare à vous, entendez siffler le fouet et léchez les bottes du sacerdoce de vos œillères. Sachez que Robbe-Grillet, cinéaste affirmé de la liberté d’exprimer la transgression des tabous, est toujours là pour vous surprendre et vous farcir le chou. S’il vivait encore et s’il voulait tourner ses films de nos jours, il serait censuré par les bonnes mœurs forcément hypocrites. Ses œuvres cinématographiques n’auraient sans doute jamais vu le jour sur les écrans blancs des salles obscures. Elles tomberaient même presque sous le sceau infamant et disqualifiant des œuvres classées X ! Sauf conduit, le ridicule ne tue pas. Ses films furent interdits aux moins de 16 et 18 ans. Alors que nenni, l’esthète Robbe-Grillet en résistant contre la médiocrité ambiante a toujours veillé au groin. D’ailleurs, il était trop cultivé pour appeler un con, un con.

J’ai aussi l’impression, plus l’auteur cinéaste bonifiait en âge et plus son œuvre devenait de moins en moins sage. Ainsi par exemple son dernier roman « Un roman sentimental  », pédophile, incestueux et sadomasochiste en diable, il l’avait écrit par pure provocation. Cette succession de tableaux, d’instantanés, de courts portraits, histoire aussi pour lui de prouver ce qu’on n’a pas le droit de le faire, mais ce qu’on peut imaginer. Il se revendiquait du droit à l’imaginaire et au fantasme. A 86 ans, le bonhomme à l’aube de son existence savante et créative avait encore la force de publier un roman sulfureux et sortir son pendant magnifique avec un film tout aussi osé.

Encore plus étonnant, en 1960 Alain Robbe-Grillet signa le Manifeste des 121 sur le droit à l’insoumission durant la guerre d’Algérie. «  A l’époque de la Guerre d’Algérie, je signais le Manifeste des 121 et je militais pour l’indépendance du peuple algérien, mais je n’ai jamais introduit rien de tel dans mes romans et films  » (in Le livre Somme inclus dans le coffret, page 42).

Petit tour de piste entre les 9 DVD que compte ce somptueux coffret….

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L’immortelle (Drame, 1963, 97 minutes en N et B) réside du côté d’Istanbul. Un prof de français en mutation y vient pour crécher son savoir devant le tableau noir. Il y rencontre cette femme mystérieuse à la fois Lalé, Eliane ou Lucille, en fonction de leurs pérégrinations. Vision très personnelle à la limite du documentaire selon un Robbe-Grillet bien inspiré : « C’est au contraire un Istanbul parfaitement imaginaire, réduit à des surfaces, à des stéréotypes, exotiques et sexuels  ».

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Trans-Europ-Express (Drame, 1966, 94 minutes, N et B) ou le voyage en train forge l’imagination d’un réalisateur (Robbe-Grillet lui-même dans son propre rôle), sa scripte femme (Catherine) et son producteur. Ils inventent Elias (Jean-Louis Trintignant), un personnage apprenti trafiquant de came dans une valise à double fond. L’organisation qui l’emploie pour la première fois ne sait pas encore s’il saura se rendre capable de maîtriser ses pulsions sexuelles SM. Il joue parfaitement son rôle d’attacheur, arracheur de vêtements et pour la totale : étrangleur à Anvers. La beauté en toute jeune femme prostituée interprétée par Marie-France Pisier m’a troublée, je dois l’avouer. « Le sujet réel de Trans-Europ-Express est moins l’aventure elle-même que l’imagination créatrice en train d’inventer cette aventure, de l’inventer peu à peu et de la remettre en question à tout moment  ». (Alain Robbe-Grillet)

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L’homme qui ment (Drame, 1968, 93 minutes, N et B) est tourné en Tchécoslovaquie. Nul n’est censé ignorer que c’est l’année ou les chars russes staliniens ont envahi ce pays au nom de leur hégémonie pour y prêcher la faucille et le marteau du grand bloc soviétique. Le film y fait consciemment ou inconsciemment écho ! Puisqu’il se déroule dans un pays occupé par les allemands lors d’une guerre civile de libération.
« A la base de l’homme qui ment, il y a une maison, une espèce de château à moitié en ruines, où la disposition des pièces, des couloirs, des galeries et des escaliers donne lieu à une problématique des parcours. (…) Plus Trintignant s’avance dans son récit, plus il dit des choses qui ne tiennent pas debout, et plus il a l’air d’y croire, car le problème pour lui, c’est n’est pas la vérité, c’est la persuasion. Plus il dira des choses folles, plus il sera intéressant pour lui d’être cru  ». (Alain Robbe-Grillet)
Le château en question me fait penser à celui de Kafka…Trois femmes mystérieuses d’une beauté éclairée s’y adonnent à des jeux cruels. Il s’agit de l’un des films les plus expérimentaux de Robbe-Grillet bien senti d’une partition sonore de Michel Fano qui se fend parfaitement dans le décor naturel.

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Eden et après (Drame, 1970, 94 minutes, Couleurs) Violette alias Catherine Jourdan qui n’a joué pour ainsi dire que chez Robbe-Grillet, avant de vivre plusieurs années en recluse à Paname, interprète une jeune étudiante désœuvrée. « Dans notre vie studieuse et inutile, il ne passe jamais rien  ». Jusqu’au jour où entourée de ses amis et buvant de la limonade au quinquina ou à la cocaïne, un homme mur, un certain Duchemin croise leur destinée au café Eden. Ils avaient l’habitude de s’échapper de la triviale réalité dans des scénettes où se jouaient les troubles de l’amour dans des cérémonies funèbres. Duchemin électrise Violette et tout le groupe à le suivre dans des mises en scènes abruptes. Il les fait entrer dans les labyrinthes de ses fantasmes. « Les éléments qui me viennent directement sous la plume ou la caméra, ce sont évidemment ces murs qui nous enferment et nous écrasent : la peur, l’angoisse, le sadisme, ect. Oui, le labyrinthe m’apparait comme un matériau qui demande à être parlé. Il se trouve que j’ai découvert en Tunisie des labyrinthes merveilleux, mais beaucoup plus anciens  ». (Alain Robbe-Grillet)
Tourné à la fois en Tchécoslovaquie à Bratislava et en Tunisie, on suit à la trace les bottes de Catherine Jourdan, blonde fugitive se mouvant danseuse en escapades nocturnes dans les docks, jusqu’au bord de la Méditerranée. Les couleurs chaudes transpirent sous sa mini-robe mascara ras les fesses et ses gambettes de gazelle courent après son destin tragique à retrouver Duchemin qui veut la sculpter dans l’argile de ses mains.
Les jeux de rôle dans leurs diversités, ouvrent de nouveaux horizons aux personnages dans leur dédoublement de la personnalité. Une nouvelle fois, grâce au talent du décorateur thèque, Robbe-Grillet compose la salle du café avec des panneaux mobiles en couleur à la Mondrian. L’art toujours d’accommoder le récit, il interprète à l’écran un nu de femme brune descendant l’escalier que n’aurait pas renié Marcel Duchamp. Je ne parle même pas du travail de titan et d’artisan de la part du chef opérateur qui distille une lumière dans les tons bleutés qui se confond avec les volets des maisons en Tunisie. Les jeunes acteurs mâles tournent autour de Catherine prêts à s’entretuer pour obtenir ses charmes et un certain tableau, élément récurent, carte postale, qui relie l’action de l’Est au pays du soleil.

N. a pris les dés (Drame, 1970, 75 minutes, Couleurs) film, avec les mêmes plans qu’Eden et en plus certains rushes, pour un montage spécial petit écran. On y retrouve les mêmes personnages sous des blazes différents. Certains deviennent les narrateurs qui racontent à leur façon le récit. C’est une autre histoire qui se déroule sous nos yeux. Un jeu où l’on jette les dés sur l’image qu’on avait gardé d’Eden. Réalisé spécialement pour la télévision sous l’égide de l’ORTF, gare aux histoires de fesses ! Robbe-Grillet taille dans le lard de ses images qui pourraient provoquer un infarctus chez un public trop sensible.
Ce qui est remarquable dans ce film, c’est qu’avec une délectable dérision, il crache presque sur son support grand public. Les histoires à la télé sont faites pour endormir. Jusque dans le mot écrit au dos de la fameuse carte postale d’Eden : « Bravo, vous avez gagné une machine à laver. (…) Les jeux à la télévision sont absurdes ». Le jeu encore le jeu au petit écran, les jeux ne sont Jamais faits d’avance. Tout dépend aussi de la personnalité du joueur… Avis aux voyeuses et voyeurs bien au chaud dans leur chez soi. Comme un cours de sémiologie de l’image par un prof foncièrement subversif.
« Cher téléspectateur, téléspectatrice, vous qui allez sortir de chez vous, restez devant l’écran, il y a peut-être une petite chose à laquelle vous n’avez pas pensé. Un jeu, ça ne signifie jamais rien à l’avance. C’est le joueur qui invente la partie et le joueur c’est vous. Les images que votre regard dérobe ici et là, ce ne sont pas des images. Elles n’ont pas de sens attaché à elles comme une nature indélébile. Elles n’ont pas d’autres sens que celui dont vous avez fait vous-même le choix. L’ordre rassurant. L’ordre désespérant, c’est vous qui le faite, par paresse ou par peur. Juste le film  ».
Juste le film qui reste ouvert en regard d’un autre Eden revu et corrigé, adapté mais tout autant hermétique, ce qui lui donne tout son charme d’ailleurs.

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Glissements progressifs du plaisir (Drame, 1974, 102 minutes, Couleurs) film peu cher tourné rapidement dans lequel Robbe-Grillet s’est éclaté au montage. Il ressemble à un film cri contre les institutions de la justice, la police et l’église. Les corps peints en signe de révolte, il l’avait déjà inventé en images avant les FEMEN.
Une jeune fille (Anicé Alvina) est suspectée du meurtre de sa petite amie (Olga Georges-Picot) qui joue les contrastes avec le cheptel des jouvencelles à peine sortie de l’adolescence et se cambre des seins épanouis. Anicé se retrouve écrouée vive dans une maison de redressement tenue par des religieuses perverses et avisées des choses sensuelles entre femmes. Un pasteur et un magistrat perdent la tête à son contact. Quant à son avocate, comme une nouvelle fois chez Robbe-Grillet, elle revêt les atours de sa petite amie défunte. On remarquera la trop brève intervention d’Isabelle Huppert à ses balbutiements et Trintignant qui apparait pour le plaisir. La religieuse de Diderot fut souvent revisitée au ciné et c’est au tour de Robbe-Grillet de se convertir, sans pervertir cette fois, un Michelet aux accents presque libertaires.
« Tout le monde connait l’image que Michelet nous a laissée de la sorcière : jeune et belle, accusée d’un crime, elle veut briser le carcan de l’ordre établi en se tournant du côté de l’interdit. (…) Subvertissant à la fois l’ordre moral et l’ordre narratif, l’héroïne de ce film oppose au moule préfabriqué qu’on lui demande de remplir la glissante mobilité de ses inventions et de ses plaisirs. Elle incarne ainsi ce que le Moyen Age appelait « esprit du mal » et que Michelet nous montre au contraire comme l’honneur de l’espèce humaine : son goût violent pour la liberté »

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Jeu avec le feu (Drame, 1975, 108 minutes, Couleurs). Année 75, année érotique, non année pornographique, pour paraphraser Gainsbourg. Avec en cet été l’explosion d’un cinéma très physique et plus du tout textuel dans lequel Robbe-Grillet n’y retrouvait pas son fouet. Lors du tournage, il a bénéficié de fric. Il s’en ait donné à cœur joie pour tourner dans les lieux baroques qui lui distillaient toute sa verve sensuelle autour du thème tabou de l’inceste entre un père (Philippe Noiret) et sa fille ado (Anicé Alvina). Trintignant joue quant à lui le chef des ravisseurs qui fait enlever des jeunes filles de très bonnes familles contre rançon et un stage dans un bordel de luxe pour maniaques sexuels sous les tentures de l’Opéra-Comique et des airs de Verdi. Les beautés pas farouches défilent sous l’objectif du réalisateur aux anges à donner des ailes à de jeunes pucelles à l’écran. Sylvia Kristel n’avait pas encore éméché les fantasmes affirmés à deux francs six sous, puisque son Histoire d’O déjà tournée est sortie après Jeu avec le feu. Et la Christine Boisson sublime et intime était emballée du même écrin que la Kristel. Sans bobo pour elle et sans être grillée à se cantonner dans des films érotiques pour grand public à l’imaginaire restreint. Christine joue la sosie en plus femelle et plus convaincante d’Anicé Alvina dans le rôle de la jeune Carolina, fille du riche banquier Georges de Saxe. Le banquier engage Trintignant en tant que détective pour retrouver et sauver sa fille. Vous l’aurez compris, les acteurs mâles dans ce film épousent deux rôles contradictoires. Ainsi Noiret est à la fois le père et le client du bordel qui se paye à la fois Anicé Alvina et Christine Boisson. Robbe-Grillet ne s’en cache pas : « Nous sommes tous double, je sais que j’ai des doubles  ». Il y a aussi des scènes bien plus comiques que celles des Tontons flingueurs, qui ont pris de l’embonpoint et trop de rides. Qui l’eut cru chez Robbe-Grillet  ? Moi, jamais ! On y trouve même des clins d’œil aux spectateurs jusque dans la scène finale où Trintignant nous interpelle sur l’air goguenard de l’acteur qui s’est bien amusé : « J’ai rien compris au scénario, mais j’crois que c’était ça  ! »

Coffret Robbe-Grillet : 9 DVD fantasmagoriques au soufre sensuel intemporel ! A suivre la seconde partie....