« Voyage au bout de l’enfer » : le Vietnam et les états d’âme de Cimino !

« Voyage au bout de l'enfer » : le Vietnam et les états d'âme de Cimino !

Remportant cinq oscars en 1979, « Voyage au bout de l’enfer » inaugura une série autour de la thématique de la guerre du Vietnam. Cimino prit le pari de s’attacher à l’essence même de ses personnages, ouvriers puis petits soldats pris dans le rouage d’une Amérique qui ne faisait et ne fait toujours aucun cas des vrais gens. De Niro tire son épingle des héros. Chrstopher Walken et Meryl Streep crèvent l’écran dans la génération montante des acteurs. Appuie sur la gâchette et gare ta gueule à la camarde ou c’est la roulette russe qui canarde ! C’est aussi la vision existentielle de ces prolos sous un ciel plombé, que Cimino décrit avec brio dans son film en version restaurée inédite.

Cimino n’est pas le Kubrick d’un Full méta jacket engagé et dénonçant comment on peut transformer un étudiant, au départ pas vraiment enthousiaste aux faits d’armes, en vénérable guerrier, le cerveau lavé à la moulinette. Cimino s’en explique parfaitement. « Je ne vois pas « Voyage au bout de l’enfer » comme un film politique. ( …) Ce ne sont pas des histoires concernant la politique, mais des histoires sur des gens, puis dans des évènements, qu’elles qu’en soient les raisons  »

Cimino prend le contre-pied des films de guerre. Il s’attelle à retranscrire avec ses images et des visages très expressifs, le parcours de cinq amis, prolétaires sidérurgistes à l’univers enfermé dans leur culture slave, dont trois seront appelés sous les drapeaux pour partir à la guerre. Cimino creuse leurs personnalités, le caractère et les défauts des personnages, les pantalonnades, les faux-semblants, les secrets cachés. Leur vulnérabilité de tous les jours à affronter la fonderie et se dorer la peau sous leur combinaison en amiante, où tous les gestes malencontreux peuvent leur être fatal. De cet enfer de Dante, ils étanchent malgré tout une soif de vie et d’amitié qui se traduit par des parties de chasse.

Comme pour ce cher Apollinaire qui n’avait rien trouver de plus morbide que de s’engager à la guerre pour obtenir sa naturalisation française pendant la boucherie de 14 / 18. Nos trois personnages installés dans un bourg d’immigrés russes ne voient pas non plus d’un mauvais œil de porter les armes au Vietnam. Naïfs et politiquement incultes, ils espèrent peut-être encore obtenir un sauf-conduit improbable de reconnaissance du drapeau étoilé de l’Oncle Sam, pour crever chair à canon au champ d’horreur. Le film se situe en 1968 et les années 1970 / 1971, avec la chute, après la France de l’empire américain en Asie du Sud-Est.

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Les héros de Cimino ne s’illustrent pas dans les combats mais dans leurs sens de la solidarité à vouloir s’évader de leur lieu de détention sordide (pléonasme valable pour toutes les femmes et tous les hommes en cage sous toutes les latitudes) aux mains des Vietcongs, qui jouent leurs vies à la roulette russe. Steven, Mickael et Nick ne s’en tireront pas de la même manière. L’un perdra ses deux jambes (John Savage) pourtant pas du tout sauvage, (je sais elle est très mauvaise, mais je n’ai pas pu m’en empêcher !). Un autre (De Niro), comme il se doit, deviendra un vétéran désabusé de retour au pays. Le troisième (le jeune Christopher Walken) « absent sans permission  » en langage de la grande muette signifie : déserteur, après un stage en psychiatrie restera au pays (le Vietnam) en tant que Junkie et joueur professionnel à la roulette russe.

« Les gens de notre génération étaient sous l’emprise du Vietnam sept jours par semaine, à travers ces foutues informations. Nous avons été saturés d’images de cette guerre. (…) Le problème était le suivant : comment communiquer la tension, l’expérience du combat ? » (Michael Cimino)

Derrière eux, ils ont laissé leurs grandes illusions et leurs histoires de fesse. Steven a épousé Angela avec un polichinelle dans le tiroir d’un autre. Nick a le béguin pour Linda qui a le palpitant au diapason avec Mike. Rien de tel qu’une bonne guerre pour remettre les cœurs à l’ouvrage. Faut que ça saigne, comme disait Boris Vian dans ses Joyeux bouchers. Et pour rester dans le contexte en chanson, écoutez Les Mains d’Or de Lavilliers. Vous vous coulerez aussitôt dans le bain de la sidérurgie lorraine sinistrée en 2013, comme les Etats-Unis des années 70 qui se brûlaient les cartouches aux promesses libérales d’un avenir radieux sur fond d’horizon bouché !

« J’ai passé ma vie là – dans ce laminoir Mes poumons – mon sang et mes colères noires Horizons barrés à – les soleils très rares Comme une tranchée rouge saignée rouge saignée sur l’espoir On dirait – le soir – des navires de guerre Battus par les vagues – rongés par la mer Tombés sur le flan – giflés des marées Vaincus par l’argent – les monstres d’acier… »

Les femmes sont assez absentes dans ce film, à part celles qui font figuration à la noce. Seule Meryl Streep se distingue avec sa chevelure flamboyante et son regard de chien battu à ne pas savoir sur quel homme elle veut porter son dévolu.

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La genèse du film, avant qu’il ne devienne ce que l’on sait, tournait déjà autour de la roulette russe, mais du côté de Las Vegas. Pas le Las Vegas parano de Terry Gillian délirant et sous trip ! Du tout, chez Cimino, on ne rigole pas monsieur, on ne rigole pas, sauf à la noce quand les personnages se sont bien bourrés la gueule. De Las Vegas à Saigon, il y une sacrée ligne d’horizon que Cimino entreprend de traverser pour y glisser son thème de la roulette russe qui lui tient à cœur. Avec la polémique que l’on sait autour de justement ce jeu à la Kong exécuté ou non par les Vietcongs. En tout cas lors du Festival du film de Berlin, les délégations des représentants des pays communistes ont refusé de se tirer une balle dans la tête, même s’il s’agissait d’une roulette russe et ont déguerpi en signe de discrédit du film. Cimino avec la mauvais foie d’un athée qu’on lui connait donne son explication à ce sujet. « L’épisode de la roulette russe a réellement existé pendant la guerre du Vietnam, bien que certains aient affirmé le contraire. (…) Sur le plan dramatique, cette séquence me permettait de suggérer l’attente qui est l’élément principal du vrai combat. C’est féroce, incroyablement démentiel et la mort peut arriver à tout moment. (…) Comment traduire cela à l’écran ? Je n’allais tout de même pas montrer quelqu’un qui attend pendant douze heures. La roulette russe me semblait être la meilleur façon de montrer la tension de la mort qui suivent par hasard  ».

En tout cas, fallait être bien fêlé pour réaliser un film d’une telle envergure de près de trois heures, avec certaines longueurs tout de même qui nuisent à l’action, à trop vouloir allonger les personnalités de ses héros sur un divan pour en extraire la substance moelle de l’existence. La relation récurrente entre Nick (Christopher Walken) et Mike (Robert de Niro) est trés forte. Ce dernier cultive son sentiment de culpabilité digne de faire basculer le film tout à la fin. La promesse solennelle entre les deux hommes est éloquente et ne tarira jamais leur amitié : « Promets-moi de ne pas me laisser là-bas  »

Pour ce film, Cimino n’a pas lésiné sur les moyens techniques et puisque que l’intendance suivait… Exigeant, il ne voulait tourner qu’en Thaïlande, alors que les Philippines offraient des conditions de tournage plus souples. Les prises de vues se déroulant aux Usa ont été tournées en été, mais Cimino voulait à tout prix donner l’impression de paysage automnales… Qu’à cela ne tiennent les caprices du réalisateur…. La cascade au-dessus de la rivière où les trois évadés sont montés sur un pont de singe, lorsqu’un hélicoptère tente de les récupérer, a bien failli faire plonger l’hélico à prendre un bain dans l’eau bouillonnante. Et pour couronner le tout d’une gerbe funéraire, John Cazale l’interprète de Stan meurt de son cancer durant le montage du film ! Et pour rester sur une touche morbide d’humour noir cette fois et en tant qu’anecdote de tournage, Robert de Niro, à fond les manettes comme toujours dans son personnage, voulait jouer à la roulette russe avec une vraie balle ! Il est temps de siffler la récréation, on se calme les enfants.

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Cimino où la folie des grandeurs nous en fiche plein la vue, avec une ribambelle de jeunes acteurs en avenir prometteur. Sa vision de la guerre à lui du Vietnam n’a rien de pacifiste pour un kopek. Il s’amuse à brouiller les pistes et nous accapare.

Voyage au bout de l’enfer à ne surtout pas confondre avec Voyage au bout de la nuit, finalement Cimino ne nous casse pas trop la tête dans les figures de style du père Céline ! Et en plus, quand il se la joue sur grand écran, raison de plus de s’éclater les mirettes et se payer une bonne tranche de vie à travers ce film pour le moins singulier. Cimino ne peut pas nous laisser du tout de marbre. Si ça tombe, mes quelques critiques négatives de rien du tout vous auront invité à voir ou revoir par vous-même ce film qui tourne une page de la guerre du Vietnam. Quand les survivants plus ou moins cassés, au café, entourés de leurs amis entonnent « God bless América  » en hommage à l’un des leurs qui a rendu son tablier à la camarde, je ne peux que constater le désastre de la mémoire des vaincus.

J’ai envie de leur répondre avec Prévert : « Quelle connerie la guerre ! » au Vietnam, en Algérie, au Mali et partout ailleurs au temps des colonies….. Ici et maintenant !

Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino, version restaurée inédite, 1978, 182 minutes, sortie le 23 octobre au cinéma, distribué par Carlotta Films