Qui sont ces monstres qui sommeillent en nous ?

Qui sont ces monstres qui sommeillent en nous ?

Comme le disait Friedrich Nietzsche : « A combattre de prétendus monstres, prenez garde de ne pas en devenir vous-même. »

Depuis quelque temps, l’on se rend compte d’un phénomène pour le moins déroutant, celui du « clic assassin ». En effet, l’émotion semble l’emporter sur la raison… tuons les voleurs, tuons les meurtriers…brandissons fourches et torches, brûlons-les sur la place publique… ou plutôt sur les forums et réseaux sociaux… Nous ne rêvons pas, nous n’avons pas fait de voyage dans le temps, ce sont bien là des représentations de la pensée populaire actuelle.

Autant quelqu’un mérite la mort s’il a tué, qu’on lui trouvera toute les excuses du monde s’il a par exemple tué un voleur, celui-ci n’étant plus considéré comme un homme, mais comme une cible à abattre, c’est ainsi, que le bon peuple bienveillant, voulant se substituer à la justice a décidé d’acquitter de par leur « clics » un bijoutier qui abattait froidement de dos un cambrioleur plaidant la légitime défense. Si le geste peut être compréhensible, il n’en reste pas moins pourtant répréhensible.

On joue donc sur l’émotion, la sensation…pire, point de jugements, la sentence serait immédiate, partiale, aucun élément d’enquête…pas de soucis, il est coupable, tuons les. L’on peut même en un instant basculé de la compassion à la haine pour une même personne. Peu importe que ce soit vraiment elle, peu importe que cela soit un accident, tuons les tueurs, tuons les violeurs, tuons les voleurs… point d’excuses, ne gaspillons pas notre argent à construire des prisons, la peine de mort à tous ceux-là.

Le bon peuple revendique la loi du Talion, oubliant même que cette loi absurde, n’est pas celle qu’ils pensent, en effet « œil pour œil, dent pour dent », ce qui signifie dans l’exemple, que si un homme tue votre enfant… vous ne devez non pas le tuer lui, mais tuer SON enfant. D’autres se cachent derrière la religion, oubliant que seul Dieu est juge et que quoi qu’il en soit et pour qui que ce soit : « tu ne tueras point ». Donc difficile d’appliquer la peine de mort de ce fait, à moins de devenir face à Dieu un assassin soi-même.

Pourtant l’histoire nous l’apprend bien, la violence était omniprésente auparavant, les meurtres, larcins, viols et pillages étaient légion, la peine de mort était pourtant applicable et appliquée, ce qui n’empêchait en aucun cas ces actes malveillant d’être commis. Pire encore, elle incitait ces mêmes criminels à ne rien lâcher dans leur violence puisque se sachant condamnés s’ils étaient pris.

« Oui, mais au moins avec la peine de mort ; bah ils ne recommencent plus… »
Certes, il serait difficile de voir un mort récidiver, pour autant en cas d’erreur, elle ne peut être réparée, et combien de gens ont ainsi par le passé été condamnés à tort ?
De même beaucoup ont une vision erronée de la vie carcérale, pensant que les délinquants de tout poil vivent aux frais de la princesse, bénéficie de salle de musculation, spa, jeux vidéo, cinéma et compagnie… une vraie vie de pacha qui donnerait presque envie d’être incarcéré… sauf que la réalité est tout autre… en effet si la prison est réversible en cas d’erreur, elle n’en reste pas moins destructrice, nous avons pu le voir avec les témoignages de « coupables » innocentés comme dans l’affaire d’Outreau par exemple… Non la prison n’est pas le club Med, elles sont souvent insalubres et les détenus, qui ne sont certes pas des saints, mais qui sont tout de même des hommes sont entassés dans leurs cellules dans des conditions d’hygiène déplorable… mais détrompez-vous également sur ce point, elles ne sont pas remplie que de meurtriers, de violeurs ou autres voleurs… N’importe qui, peut faire un passage par la case prison, vous, moi, vos proches, etc… nous sommes tous susceptible d’y aller, que ce soit pour une erreur, pour un petit délit… voir même un délit grave.

En effet, il ne faudrait pas oublier qu’en chacun de nous existe et demeure ce monstre potentiel qui peut se réveiller. Notre vie peut basculer à tout moment… accident, coup de sang, quelqu’un qui par exemple va s’amuser et va boire plus que de raison sans toutefois être complètement fait, avouons-le, nous avons tous eu au moins une fois dans notre vie un état similaire… et bien ce jour-là, tout peut arriver, une vie peut s’éteindre, soit à la suite d’une bagarre qui tournerait mal, soit après avoir pris le volant… alors certains diront « j’assume dans ce cas »… c’est bien, ça c’est la réaction à froid… qu’en sera-t-il le moment venu ? Et si celui qui commet l’irréparable n’est pas vous, mais une personne qui vous est proche, qui vous est chère, votre conjoint(e), pire encore… votre enfant, votre sang, celui que vous avez élevé, éduqué, votre sang qui par un geste malheureux hôte la vie, par accident, pas un accès de rage ou de colère, de jalousie… à ce moment-là… serez-vous toujours enclin à faire valoir la peine de mort ? Ces meurtriers potentiels qui vivent en chacun de nous… récidiveraient ils ?

Des monstres, ne le cachons pas, il y en a eu, il y en a encore, et il y en aura toujours et d’ailleurs, ils ne sont pas toujours là où on le croit. Oui il faut défendre et protéger les innocents, les victimes. Les indemniser en conséquence, il faut que justice soit faite… mais pas au détriment de notre humanité. Nous reprochons à une personne d’ôter une vie et nous voudrions en ôter nous même sous couvert d’une excuse ou sur l’autel de la passion… n’est-ce pas là quelque chose de paradoxale ?

Je comprends l’émotion, je comprends la colère, l’indignation… sans cautionner, je peux aussi comprendre qu’une personne excédée comme l’exemple du bijoutier puisse commettre l’irréparable, ça n’excuse pas son geste, mais il est compréhensible… je peux aussi comprendre qu’une personne dans le besoin, dans la précarité puisse en arriver à voler, je peux comprendre qu’un accident arrive et que dans la panique celui qui l’a commis raisonne de manière irrationnelle, etc… en revanche je comprends bien moins cette haine farouche, ces jugements hâtifs et vindicatifs d’un peuple qui finalement et plus épris de sang que de justice, et au final on est en droit de se demander : « Mais qui sont les monstres ? ».

Photographie : Frédéric Vignale