Entrez sans hésiter dans « Sens Interdits »

Sur la quatrième de couverture de « Sens interdits » on nous promettait « une brillante fable politique ». En lisant l’intérieur de cet ouvrage à emballage très laid - le packaging est bien moins réussi que la version anglophone, soit dit en passant - on passe en effet un très bon moment enfermé dans une sorte de Loft Story solitaire où le prix à gagner c’est la liberté. Emmurés que nous sommes avec Eliott Grast, un économiste américain qui ressemble à s’y méprendre à John Hurt l’acteur anglais et ce pendant quarante jours et nuits, comme le carême, excusez du peu et ce n’est pas un hasard.

Dans la version américaine le titre est « Senseless » ce qui veut dire « insensé, absurde, stupide »... ou alors dans certains contextes inconscients (comme dans « to fall senseless to the floor", tomber inconscient sur le sol...) La traduction est donc assez étrange. Mais passons outre ces problèmes de langue. Ecrit avant le 11 septembre nous dit-on « Sens interdits » est une affaire rondement menée qui est dans l’air du temps. Le concept est assez simple ; un individu moyen dont le seul tort est d’être américain, est le jouet d’un odieux chantage pour faire pression sur l’impérialisme omnipotent de Bush et de ses semblables. Notre Eliott va être l’otage de tout un peuple, représenter pour ses ennemis la mondialisation insupportable à lui tout seul.

Notre ami américain séjournant pour son business en Belgique - on ne dit passez combien les rues de Bruxelles sont peu sûres après un dîner arrosé - se retrouve contraint et forcé de suivre de dangereux terroristes. Ces gens sans scrupules, ces mercenaires modernes qui n’ont même eu la politesse de se présenter vont le rendre captif dans un appart vide. Le brave homme qui fume des Dunhill’s - ce qui est, dit-on, une preuve de goût - n’aura d’autre alternative que de se poser mille et une questions sur sa situation, sa vie et ce qui a bien pu le mener dans un endroit pareil. De toutes façons l’intrigue principale est tout à fait bien résumée dans cette quatrième de couverture qui décidément est d’une efficacité redoutable.

Un huis clos psychologique et noir nous attend donc pendant 200 pages écrites en gros caractères. C’est là que la real Tv fait son entrée insidieuse et perverse. La geôle est truffée de webcams et on assiste à un mini Big Brother psychologique et cybernétique. Un certain Berbenoire vient le titiller derrière son masque, à l’intérieur de la cage, en lui fumant ses cigarettes. La machine à détruire le psychisme de Gast est enclenchée.

Sur fond biblique et catholique, ces épreuves pour laver le détenu de ses péchés capitaux se suivent sans déplaisir. La lecture est confortable et légère, rythmée et pertinente même si le tout frise parfois la caricature. Mais l’auteur Stona Fitch dont c’est le premier livre va au bout de sa démonstration, c’est un travail honnête et, de bonne facture. Une étude assez attentive de la nature humaine en milieu hostile.
Loin de l’océan, de la musique classique chers à son cœur, Gast va vivre en direct sur Internet le plus terrible des châtiments. Il en ressortira éborgné par la vie mais riche d’avoir maîtrisé son corps, son cœur et son intellect. Un roman noir mais résolument tourné vers l’humain, le triomphe du vivant. Du positif. L’instinct de survivance comme un bien précieux.

Sens Interdit, 2002, Stona Fitch, Calmann-Lévy, 200 pages, 16 euros.

Sens Interdit, 2002, Stona Fitch, Calmann-Lévy, 200 pages, 16 euros.