MINE de Jacques Crenn

MINE de Jacques Crenn

Un très beau livre d’Art du photographe Jacques Crenn aux Editions de l’échappée belle dirigées par Florence Issac. A découvrir avec attention...

La vérité du regard

"Un mot, un regard suffit pour faire tressaillir une âme*."

Mines de Jacques Crenn nous entraine dans les profondeurs de l’âme humaine.
Si Jacques Crenn noircit ces visages, c’est pour créer un univers où le
regard éclaire la réalité en la dépassant. En ré-enchantant notre vision du
monde, Mines nous fait pénétrer au fond de l’âme humaine, pareil au mineur
descendant au centre de la terre afin d’en extraire l’énergie.

Mais très vite, les barrières symboliques et métaphoriques relevées, il n’y
a plus de dehors et de dedans, d’en haut et d’en bas, il ne subsiste que le
regard. La proximité entre le regardant et le regardé nous fait entrer dans
le processus créatif du photographe et permet le dialogue. Au delà, c’est
le désir de partage auquel Jacques Crenn nous incite. Le noir est magnifié
par la clarté des regards. La chaleur et la profondeur de ces visages
viennent rapprocher les êtres.

Dans la lignée de ceux qui ont créé autour de la lumière un medium
d’énergie, l’artiste donne aux noirs une humanité puissante et un éclairage
ouvrant vers l’avenir et la place de l’humain dépouillé de tous ses
artifices.

Vivant la photographie comme une lumière qui éclaire l’intérieur de l’être,
Jacques Crenn transpose avec une vibration peu commune sa démarche
humaniste. Ces regards, c’est un mouvement pareil à celui du savant faisant
émerger des phénomènes invisibles en insufflant l’énergie de sa propre
création.

« La vérité, c’est un regard qui va droit à l’âme » annonçait Romain
Rolland dans la vie de Tolstoï, ici l’œuvre de Jacques Crenn nous incite à
penser que le regard, c’est la vérité qui va droit à l’âme !

Ces œuvres sont marquées du sceau de l’énergie positive, contrastant avec
la métaphore du noir et permettant la fusion entre le fond et la forme de
ces visages. Fascinés par ses yeux, expression unique et irremplaçable de
l’individu subjectif, on ne sait plus si la vibration des noirs est plus
forte que celle des regards. Les yeux qui émergent du très fond des
individus, accentuent le flux lyrique qui nous envahit. La moire chatoyante
du grain de la peau fait miroiter la vibration de l’esprit, apportant, pour
parodier Gérard Genette à propos du palimpseste, le désir de nous « mettre
en relation manifeste ou secrète avec d’autres peaux ».

L’artiste rétablit l’ordre de la nature humaine où l’empathie est première,
et en nous entrainant vers l’essence, il met en valeur le grain non
seulement de la peau, mais aussi de l’âme. Tout s’efface alors, le sexe,
l’âge, la texture, la peau… il ne reste que l’humain ! Jacques Crenn crée
ainsi un lien puissant réduisant le gouffre qui sépare tous les hommes et
rapprochant l’univers des mythes et la poésie de l’art de celui de
l’émotion de l’homme.

Par ces visages enluminés par le noir, Jacques Crenn nous fait aimer
l’humanité.

Yves Zoberman, Historien

http://www.lechappeebelleedition.com