L’homme est un singe pour l’homme !

L'homme est un singe pour l'homme !

Chris Herzfeld philosophe des sciences, artiste, primatologue… nous a concocté en 2012 deux ouvrages d’une rare évocation respectueuse à l’égard des grands-singes. Elle peut s’honorer connaitre de très près leurs spécificités et les apprécier. Savez-vous que vous partagez avec eux des ancêtres communs. La prochaine fois que vous passerez par Paname, vite, faites un détour par la Singerie du Jardin des Plantes. Vous y saluer avec amour Nénette, cette orang-outan femelle qui a bien connu Wattana, héroïne d’un de ses ouvrages. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir des grands singes se situe dans ses livres. C’est passionnant et renversant ! A suivre….

Chimpanzé moi-même et donc grand singe, comme mes frangins les gorilles, bonobos et autres orangs-outans, je me suis jetée dans la lecture des deux ouvrages de Chris Herzfeld parus en 2012, afin de me remettre les idées en place sur tous mes préjugés d’antan et ceux que vous, genre humain, portez à nos personnes.

Au départ franchement, j’éprouvais une répulsion à l’idée même d’aller visiter des singes dans un enclos de zoo. Mon absolu amour de la liberté ne pouvait me faire concevoir cette idée. Léo Ferré y était pour beaucoup dans « La mélancolie  » quand il croise un de mes semblables : « C’est un chimpanzé. Au zoo d’Anvers. Qui meurt à moitié qui meurt à l’envers. Qui don’rait ses pieds. Pour un revolver. La mélancolie. La Mélancolie… »

D’autant plus étonnant que Wattana orang-outang héroïne d’un livre est née elle aussi au zoo d’Anvers et contre tout en 1995, à quelques années d’écart seulement avec la chanson de Léo.

Ferré a vécu avec trois chimpanzés, dont la célèbre « Pépée » (titre de l’une de ses chansons qui m’a fait le plus chialer). Tous furent assassinés en 1968 par sa compagne jalouse. Il leur laissait entière liberté chez lui en Toscane. Quand un individu vêtu d’un uniforme, postier compris, essayait de s’introduire dans la maisonnée, il était immédiatement arraisonné par des tuiles qui volaient des toits lancés par les bras puissants des singes.

Brel y a alla aussi de son couplet, péjoratif lui à l’égard de mes semblables. Plus proche de nous l’ex prof recyclé en littérature, François Bégaudeau dans son dernier ouvrage s’est entiché d’une peluche singe offerte par une lectrice. Dans une interview, il se confie : « Je me suis mis à le positionner d’une certaine façon, à l’animer comme un enfant, à lui parler. L’homme à une capacité à construire une fable à partir de rien. (…) Bien sûr, le singe encourage l’anthropomorphisme, voire l’anthropocentrisme, et tout le monde s’entend sur notre cousinage. (…) Je pense en plus que les singes détiennent quelque chose que je n’ai pas et qui me manque. Par exemple, contrairement à l’homme, l’animal, par son défaut de conscience, est pleinement dans ce qu’il fait. C’est d’ailleurs la conclusion de mon livre : plus mon goût pour les idées décline, plus monte cette envie du vivant, du mouvement. Je trouve que l’homme tente trop de préserver une image et n’ose pas laisser parler le singe qui est en lui  ».

Le Bartos en est resté baba très cool, tellement existé à la lecture de ces lignes dans lesquelles il se retrouvait totalement. Je ne sais pas si l’amour des grands singes qu’éprouve Chris Herzfeld s’inscrit dans la même verve. Puisque que pour elle, toujours à Anvers (décidément !) s’opéra son premier contact en 1996 avec une gorille. Longtemps déjà avant elle, depuis l’antiquité les hommes se sont intéressés aux grands singes. La Fontaine coulait déjà dans ses eaux fortes cette affirmation engagée : « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes ».

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Plus près de nous en images cette fois au cinéma, le dernier film des superproductions Dysneynature distille les bons sentiments autour d’un bébé chimpanzé humanisé à outrance dans des commentaires lénifiants à propos d’une sauvagerie animale scénarisée, sans compter les produits dérivés, bourse à la clé.

Dans tous les cas, les grands singes ne peuvent pas laisser indifférent. Ils vous chamboulent la visions que vous avez de vous-même. C’est à ce stade de votre maturité apparente que Chris Herzfeld vous éclaire dans ses deux ouvrages en récusant la frontière entre homme et animal. D’ailleurs chez les hominoïdés il y a les quatre espèces des grands singes : gorilles, chimpanzés, orangs-outans, bonobos mais aussi l’homme qui partage justement avec ces grands singes des ancêtres communs dans une plasticité comportementale tout à fait exceptionnelle. Prenons l’exemple de la locomotion, il n’est pas rare de découvrir des grands singes dans les zoos qui ont adopté la bipédie pour se déplacer. Ce qui montre qu’ils sont capables d’ouvrir leurs comportements au-delà des programmes génétiques. Suivant le contexte où ils vont vivre (dans leur milieu naturel ou en captivité), ce sont les mêmes animaux qui vont développer des facultés différentes et nouvelles, autres, mais similaires, parce qu’ils sont inventifs et curieux.

D’où l’intérêt récent d’étudier les grands singes dans les zoos et plus seulement dans leur milieu naturel. Chris Herzfeld est philosophe des sciences et artiste. Spécialiste de l’histoire de la primatologie et des relations entre humains et grands singes, elle mène, depuis de nombreuses années, des travaux de terrain dans le milieu naturel avec des bonobos, chimpanzés, gorilles et orang-outans, à travers le monde et dans les zoos. Riche de ses connaissances, elle évolue dans ses deux livres avec une parfaite maîtrise de son sujet. L’entendre nous conter son amour des grands singes est aussi un ravissement, tant sa voix matinée d’un léger accent et ses propos clairs et enthousiastes, nous ravissent à l’extase.
(In La marche des sciences par Aurélie Luneau : « les grands singes et nous » avec Chris Herzfeld et Florence Perroux le 27/12/ 2012 sur France Culture http://www.franceculture.fr/emission-la-marche-des-sciences-les-grands-singes-et-nous-2012-12-27

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Chris Herzfeld nous éclaire aussi pourquoi tant de primatologues femmes furent jetées sur le terrain des recherches, alors que les mâles dominants à l’université se gardaient la place au chaud du haut de leur estrade bancale. « Faisant étalage de ses liens avec les chimpanzés de Gombé, tout comme Fossey et Galdikas avec leurs gorilles et orangs-outans , Goodall ignore le clivage préconisé par les défenseurs d’une « bonne science ». Les trimates sont prises en étau entre leur attachement profond envers les singes, la nécessité d’obtenir des financements et leur volonté d’assuré une certaine crédibilité à leurs recherches. » (page 176 in Petite histoire des grands singes)

Plus proche de vous, qui ne connait pas Nénette l’orang-outan de la Singerie du Jardin des Plantes à Paname ? Vedette également du documentaire de Nicolas Philibert qui s’honore de l’avoir filmée comme la Joconde.

Wattana sa congénère a passionné Chris Herzfeld. Dans son documentaire, elle l’a captée comment cette grande fille agile de sa bouche, de ses quatre mains je pourrai dire tant ses pieds sont doués de souplesse et de préhension. Telle une artiste, elle crée des nœuds complexes avec différents supports (ficelles, rubans en satin, élastique, laine de différentes couleurs, chaussures lacées, morceaux de tuyau d’arrosage, liens en dain).

« Elle a tout noué, sans être ni encouragée, ni récompensée. Dès qu’elle recevait de quoi s’adonner au nouage, elle se mettait immédiatement à tisser, entremêler et enfiler. Cette activité a été mise en compétition avec de la nourriture à plusieurs reprises, mais Wattana a, presque toujours préféré le nouage. » (page 146 in Wattana Un orang-outan à Paris) Même que si ça tombe, Wattana m’aurait appris le nœud de chaise si utile sur un voilier.

Si le sujet vous intéresse, ces deux ouvrages complémentaires vous toucheront aux tripes, comme ce fut le cas pour mézigue. Je me suis découverte et j’ai apprécié certaines attitudes dont j’avais presque oublié l’origine du monde. C’est pour vous dire le choc que j’ai ressenti !
Le sujet n’est jamais clos, même si je ne crois pas en La Planète des singes version romancée des angoisses humaines devant notre représentation des singes, si proches de la vôtre mais beaucoup plus libre. Je rappelle que les singes dans la nature n’ont pas inventé le travail salarial à rendre esclave les humains consentants qui prennent presque plaisir à perdre leur vie à la gagner. Sans nous ! Les grands singes, nous nous respectons à ne pas abuser de la souffrance d’autrui.

Merci Chris Herzfeld, une bien belle personne passionnante et captivante, dans la richesse de tous vos propos énoncés avec brio dans vos deux ouvrages de très grande qualité humaine. Vous êtes si respectueuse des hominoïdés qui ont encore beaucoup d’idées en tête à réaliser dans un contexte riche à leur développement, dont je suis fière d’appartenir à l’espèce si rare. Si vous me permettez, je vous dis un très grand merci au nom de tous les grands singes.

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Visuels copyright Chris Herzfeld, droits réservés pour les éditions le Seuil et Payot

Petite histoire des grands singes de Chris Herzfeld éditions Seuil, collection Science ouverte, 2012, 20 euros

Wattana Un orang-outan à Paris de Chris Herzfeld, éditions Payot, collection Manuels Payot, 2012, 18,50 euros

A suivre…

Gorilles portraits intimes de Florence Perroux et Sébastien Meys aux éditions Le Pommier