ELOGE DE LA FUITE, une non-interview de Cesare Battisti

Il faut dire que j’aurais aimé, comme je l’ai fait pour d’autres dans les pages du Mague, interviewer mon collègue et néanmoins ami Cesare Battisti, qui à l’heure où je tape cet article est en fuite. Bien sûr, j’aurais pû vous proposer
l’interview de quelque autre polardeux... mais j’ai préféré
laisser sa juste place au silence visible qui suit cette échappée.

Cette fuite n’étonnera personne, tout a été fait pour la provoquer ! Nous étions nombreux à penser que la fuite serait la dernière solution possible pour Cesare, solution digne s’il en est. Car quelle indignité à fuir la lâcheté ?

Il y faut seulement du courage. Tenez, si je n’ai pas la mémoire courte, il y en a un autre qui avait commencé à se faire connaître pour avoir eu le courage de fuir. A l’étranger. Condamné par le gouvernement de la France pour être le dirigeant d’un réseau terroriste ! Il s’appelait
De Gaulle.

Ca ne l’a pas empéché de devenir le veau d’or d’un peuple de veaux* qu’il méprise.
La victoire sur le nazisme avait commencé par la résistance, il fallait finir par la révolution... écrivait Camus à dans Combat, à l’époque où Degaulle à Lyon serrait déjà la main à Papon. Las, la révolution n’aurait donc pas lieu, l’ordre serait rétabli. Trois mois après la Libération de Paris,
les mêmes cadors régnaient aux mêmes places.

Mais quand on prend le pouvoir pour ne pas le rendre, on a alors moins besoin de résistance que de bons collaborateurs !
Passons, c’est de l’histoire ancienne. Je n’ai d’ailleurs rien de spécial contre De Gaulle, qui comme moi aimait le fromage. Mais je n’aime pas l’histoire "n’a qu’un oeil", avec
les gentils et les méchants telle qu’on l’enseigne aux enfants... Avec mon esprir de contradiction, j’aime bien foutre quelques coups de pied dans le socle des idoles pour les bousculer un peu. Des coups de pied au culte, quoi... Et Dieu sait qu’il y en a pas mal qui se perdent.

C’est pour ça que j’aime le polar, que je lis et que je pratique. Car il est peut-être le dernier lieu de la littérature qui ne soit pas tout à fait assujetti au politiquement correct. Pour combien de temps encore, on peut y dire et y écrire à peu près ce que l’on veut.

Un peu comme dans Le Mague et sans doute pour les mêmes raisons, à savoir le nombre supposé restreint de lecteurs... et la liberté du web, qui pour combien de temps encore n’est pas dans les fers de la pensée unique.

Parmi d’autres confrères que j’aime bien, il y a donc ce
copain qui écrit de ces très bons polars qui font l’honneur de la littérature. On l’accuse de crimes.

J’étais tout petit, mais déjà trop grand pour rentrer dans sa poche à l’époque. Je n’étais donc pas là...

Mais je le connais yeux dans les yeux, et d’homme à homme je le crois innocent. Il s’appelle Cesare Battisti, ancien activiste des années de plomb qui a "fui la justice de son pays" et fuit aujourd’hui la nôtre : condamné dans le cadre
de lois d’exceptions et sur la foi de témoignages de repentis, il vivait réfugié en France, avec d’autres.

Depuis que la France, par la voix du chef de l’Etat, s’était clairement exprimée pour dénoncer l’iniquité de cette justice-là... qui aujourd’hui reprend du poil de la bête immonde. Devait-on livrer Cesare Battisti à l’extrême droite italienne ? Car ce n’est que de cela qu’il s’agit.

Nous partagions avec quelques potes un dîner de bullots à Granville, fin janvier dernier, et Cesare s’alarmait, qui sentait "venir les choses",flairant dans le commerce douteux de nos politiques. Comme des cons, nous l’avions unanimement rassuré : la France, terre d’asile et patrie des droits de l’homme, démocratie modèle, à la justice blancheur Persil...lui faire un coup pareil, revenir sur la chose
jugée, trahir la parole de l’Etat,impossible ! Et nous
étions là, nous, les Français, qui y veillions !

Mais si en France, on aimait surtout la révolution quand il
s’agit d’en célébrer le bicentenaire ou qu’elle se passe sous de lointaines latitudes. Les Che Guevara de chez nous pourrissent en prison, c’est le prix de l’action directe. Car révolution et résistance n’ont de héros que de vainqueurs. Malheur aux perdants :les libérateurs de demain deviennent les terroristes d’hier et les embastillés d’aujourd’hui. Ce seul tort d’avoir perdu n’est jamais pardonné par l’histoire
ni par ceux à qui ces révolutions faillirent coûter leurs
couronnes.

Si on ouvre le dictionnaire sur ce mot, on peut lire qu’une révolution consiste à faire un tour sur soi-même. C’est pourquoi, personnellement, je ne crois pas à la révolution. A peine crois-je à la révolte.

Mais je suis indulgent pour les révolutionnaires.
Vous qui en 1889 dernier fêtiez Danton, Mirabeau, Marat
et Robespierre... chantant la carmagnole et faisantfi de
leurs crimes. Vous qui crutes en ces pauvres révolutionnettes de mai 68 et mai 81, vous qui crutes en De Gaulle et Mitterand - même combat, celui du pouvoir. Vous qui voteriez à 82% pour la sodomie si on vous expliquait que c’est pour votre bien, et vous étonneriez de vous réveiller le matin avec le mal au cul...

Une fois dans votre vie arrêtez de bêler avec les loups et faites une petite révolution... pas grand chose ! Ayez une pensée pour un fugitif, comme lorsque vous regardiez le docteur Kimble à la téloche...

>Ceux qui aiment le polar - mais les Marseillais surtout - savent que chaque année se tiennent sur le Cours Julien les Terrasses du Polar(ce 18 septembre).

Et chaque année, un auteur parraine cette manifestation : l’année dernière c’était Patrick Raynal, cette année nous avions décidé que ce soit symboliquement Cesare Battisti.
Son image sera partout, mais aux dernières nouvelles, ce parrainage devient effectivement purement symbolique, puisqu’il y a peu de chances que Cesare Battisti soit présent...

Mais s’il pointe le bout du nez, promis, je préviens aussitôt la police, car je ne saurais me faire le complice d’un
"criminel" recherché. C’est un délit.

* Désolé les veaux, je cite le grand Charles.

* Désolé les veaux, je cite le grand Charles.