King of New York ou la métaphore hip hop gangsters !

 King of New York ou la métaphore hip hop gangsters !

Abel Ferrara en 1989 fait sa révolution volte-face avec son habituel New York prolo, pour se défroquer la pelloche sous l’œil hagard de Christopher Walken en pleine forme et parfait roi de New York. Ses images léchées, une bande son sublime, un jeu avec des acteurs époustouflants, un scénario hors norme, un film qui décoiffe et a du ressort, à côté duquel Terminator fait figure de muscle flasque et retord.

A la sortie de la projection de Terminator, Abel Ferrara est bouleversé. « En le regardant je me suis dit : alors c’est ça qui fait rêver les foules ? ». Je vais essayer de me mettre dans cette ambiance. J’ai décidé d’écrire une histoire qui susciterait une vive réaction de la part du public. On a travaillé longtemps le scénario. Au départ, ça s’appelait : Murder One. C’était d’abord une histoire de flics et de voyous. A l’époque John Gotti ( un gangster) était libre comme l’air. Il trainait avec ses hommes. On le voyait souvent à l’entrée de sa boite. C’était le vrai Al Capone, un Capone moderne. La mafia italienne tournait à plein régime  ».

Avec son compère scénariste Nicolas St-John qu’il a rencontré sur les bancs de l’école, contrairement aux idées reçues d’un réalisateur qui vénère les mauvais garçons, ils vont créer un personnage presque blanc comme neige, un certain Frank White (Christopher Walken) qui sort de taule. Un gangster prêt à tout pour devenir en quelques jours seulement le nouveau roi de New York à la place des califes. « Ce type est un tueur de sang-froid. Si on considère que le film est réaliste et qu’on admet ça… Mais il n’a rien de réaliste. On ne s’empare pas d’un trafic de drogue en trois jours et on ne devient pas le parrain en sortant de prison. C’est une métaphore : ce type a une vision, il veut employer son argent pour bâtir un hôpital, aider ceux qui ont en besoin. Il veut être un parrain social. C’est un rêveur, qui sait que son temps sur terre est compté. Quand on mène ce genre de vie…  ».

C’est bien connu les œuvres de charité ont presque toujours les mains sales. Ce blanchiment d’argent pour s’acheter une bonne conduite auprès des politiques, Frank va le jouer serré avec les flics au cul, qui vont œuvrer pour le faire plonger. Car le gangster mondain s’affiche dans les lieux les plus huppés et roule en limousine. Difficile pour lui de passer inaperçu. Comme si tout le temps passé en taule, Il se devait de rattraper tous les plaisirs frivoles à vouloir gouverner sur son nouvel empire de la drogue. « J’ai perdu du temps. Il a filé. Je ne peux pas me permettre d’en perde. Si on me donne un an ou deux, je ferai quelque chose de bien. », dans la bouche du héros Frank White, ça sonne faux !

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On n’était pas encore habitué à Abel qui filme les quartiers huppés, d’autant plus quand on sait que ses autres films sur New York abordent les questions du mode de vie du prolétariat et sous-prolétariat et leurs luttes contre les riches et les puissants. « Le film montre le rapport entre les flics de la classe ouvrière et les nouveaux riches qui ont prospéré grâce à la drogue. Ces types qui ne font que passer étalent leur fric aux yeux de tous. Ils sont en quelque sorte la métaphore de l’aspect fugace de Wall Street. Alors que les familles de Brooklyn et d’ailleurs ont pour elles la longévité. Ce sont des gens de la vraie vie. Ceux qui vivent pour survivre. On ne survit pas en étant assis à l’arrière d’une limousine ».

On se rend compte au léchage des images même dans les carnages que Abel a bénéficié d’un sacré budget et d’une équipe importante autour de lui. Dans cette ambiance bleutée de la nuit qui luit les reflets des bâtiments, il y a des plans d’une esthétique à vous couper le souffle. On les doit à Bojan Bazelli directeur de la photographie et peintre réaliste sur support pelliculaire. Au niveau du son, on n’est pas non plus du tout déçu. Jo Delia qui l’a déjà accompagné sur 9 films, nous livre ici une œuvre sonore digne d’un quatuor à cordes échevelées et éclectiques. « C’est la première fois qu’on a décidé d’exploiter les sons. Le résultat est vraiment super avec l’utilisation du bruit du métro. Au fond Jo a reprogrammé les bruitages. Par exemple dans la scène où on voit le métro, il devait y avoir de la musique mais on a préféré gardé le bruit du métro. Le résultat était super. On pensait mettre un morceau de trompette de jazz. Nicholas détestait. Alors a laissé tomber pour l’illustrer par du Vivaldi. C’était génial dans l’opposition et l’association avec la musique hip hop et rap ». En effet au niveau de la bande son, nos esgourdes s’ébouriffent dans des rifs du grand écart. Au point même d’avoir cataloguer son film comme du pur style gangster hip hop.

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D’autant quand le grand manitou a la peau blanchie à la chaux est entouré de sa bande d’activistes noirs armés jusqu’aux dents et prêts à ferrailler à ses ordres. «  A la sortie le film il y avait un apriori raciste sur le fait que les noirs allaient démonter les salles si on le présentait comme un film de gangsters noirs. Ce genre de connerie raciste. Pour la promo on s’est attaché à dire que c’était un film de gangsters violent, illustré par des titres de hip hop. Avec les années les gens se le sont approprié  ».

Abel Ferrara s’est éclaté à mélanger les genres et brouiller les pistes. Même s’il est parfaitement conscient de n’avoir traité qu’une face caché de l’iceberg drogue et le butin de guerre qu’il représente aux yeux des malfrats. « Dans King of New York, on voit des dealers, mais on ne cherche pas à approcher le sujet, pour savoir qui est derrière tout cela et ce que cela implique. King of New York est le dernier film du genre. Terminator m’en a inspiré le sujet… Je veux montrer la sueur, la taule. Qui décide de quoi ? C’est quoi tout ce merdier ? ».

Je ne peux pas passer sur l’interprétation fulgurante de Christopher Walken qui a la gueule de l’emploi et porte le rôle du début à la fin du film sans jamais faiblir. « La première rencontre avec Christopher Walken : Il était désigné pour ce rôle. Quand il est apparu, on était prêts. Il est entré, il nous a regardé et il a dit : Je sais ce que vous voulez  ». Il a dépassé les espérances du réalisateur en jouant toujours plein pot son personnage presque à la déraison de son enthousiasme, à vouloir l’incarner à la perfection. « Il peut jouer chaque scène différemment. On était en mode Terminator. Pour lui sur certaines prises, il imitait Pacino. Ça lui servait d’échauffement. Il se mettait à hurler comme un fou. A la manière d’un Scarface. Les gars comme lui ne jouent jamais une scène deux fois pareil. Ils n’ont pas besoin de répéter. Ils proposent toujours quelque chose  ».Abel aura un tel coup de foudre pour Christopher qu’il lui redonnera le change dans « The Addiction » 1995) et « Nos funérailles  » (1996) !

Autre trouvaille intéressante dans le personnage de Frank, il est accompagné par deux gardes du corps féminins, une noire et une blonde, toutes les deux superbes et redoutables qui mettent bas certains procédés machistes dans ces milieux.

Christopher Walken est aussi entouré par d’autres pointures du genre : David Caruso, Laurence Fishburne, Wesley Snipes, Steve Buscemi…. qui se sont déjà illustrés dans d’autres films.

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Franchement, je le considère comme un film qui ne peut laisser indifférent tant toutes ses composantes éclatent à l’écran. Il détonne dans le cinéma américain par un réalisateur atypique qui avait le projet (il l’a peut-être encore toujours) de tourner un film sur la politique et le sexe inspiré par l’affaire Strauss-Kahn, avec sans doute Gérard Depardieu et Isabelle Adjani  ! Bad lieutenant revisité au charnier du pouvoir politique et du fric ? !!!!! A suivre les frasques d’un Abel Ferrara pas encore gaga et toujours de son temps.

* Toutes les citations d’Abel Ferrara sont issues des suppléments. Comme toujours chez Carlotta Films, ils sont d’une très grande qualité et instructif.

The King of New York d’Abel Ferrara, 1989, 103 minutes, couleur, distribué par Carlotta Films, master haute définition, 24 octobre 2012

Suppléments :
Possession (27 minutes) : Un entretien entre Abel Ferrara et Nicole Bremez.
Entretien avec Augusto Caminito producteur (19 minutes)
Bande annonce