« Schizophrenia », 24 heures dans l’horreur d’un tueur !

« Schizophrenia », 24 heures dans l'horreur d'un tueur !

Ados retardés accrocs à la gore culture, ce film n’est pas pour vous ! Il fut boudé, censuré, voir classé X !!! à sa sortie tellement « Schizorphrenia » était considéré tel un ovni, car complètement à contre-courant du genre émasculé pour son époque en 1983 et forcément en avance de plus de deux décennies ! « Schizophrenia réfléchit le miroir, avec le monologue intérieur de la personnalité ravagée d’un tueur au sortir de taule qui n’a qu’un souhait : tuer à nouveau. La peur de vivre et d’assumer ses actes est le véritable sujet de ce film porté par un chef opérateur inventif génial, un réalisateur qui a mis toutes ses tripes et un acteur absolument formidable sur une musique de Klaus Schultze à vous glacer le son. Film abouti à découvrir et à soutenir tellement il bat fort et nous dégomme dans les tripes.

Quand un réalisateur pour ainsi dire inconnu se lance dans le tournage en 1983 et la production d’un film, avec très peu de moyens et la mise en abîme déjà à cette époque sur le comment montrer la violence à l’écran dans un pays, l’Autriche pas particulièrement réputé pour ses largesses d’esprit : c’est un projet complètement dément. Il mettra plus de dix ans pour se rembourser et rentrer dans ses frais en tournant des spots publicitaires alimentaires. C’était au temps où les zombies apparaissaient à la télévision dans les chambres des mômes. Au point que « Schizophrenia » fut considéré comme un film d’horreur et même (un comble !) classé X aux USA. Une forme comme une autre de censure pour saigner un film !

Il y existe tellement de façons à la con de traiter la psyché échevelée d’un tueur. Dégueuler l’hémoglobine à plein tube pour vous tirer des spasmes dans un fantasme ado. Se vouer au film d’horreur sans aucune âme et sans prendre le parti d’un certain esthétisme dans le geste de tourner, puisque par trop souvent dans les films d’horreur, l’horreur constitue le seul sujet du film. Gaspar Noé réchappé de son arche et raide dingue de « Schizophrenia » au point de le pousser à devenir réalisateur explicite parfaitement le parti pris de Gérald Kargl à tourner ce film. «  Dans les films gores américains, ce n’est pas du côté psychologique, c’est uniquement au niveau visuel que ça décolle. Dans ce film on ne voit pas beaucoup de sang à part quand il poignarde la fille et boit son sang  » (Gaspar Noé)

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Imaginez les gros titres des journaux populeux et graveleux par qui le scandale arrive, qui vendent du sang, du sperme et de la violence faite aux femmes et aux enfants, avec sans supplément de la haine raciale et l’homophobie style : Bildzeitung en Allemagne ou le Sun en Angleterre qui tiraient à la Une : un forcené tue trois personnes par plaisir. Incroyable le sadique a failli être prêtre. Tout de suite la clique bleu marine appellerait à la peine de mort avec des mesures immédiates pour éradiquer cette vermine qui extermine dans nos villes et nos campagnes ! A plus forte raison si le tueur est un récidiviste et si le film s’inspire de faits réels et d’un personnage qui a vraiment existé.

« Schizophrenia » se situe à Vienne et sa province, c’est l’histoire « D’un mec en liberté qui s’amuse à jouer avec la vie, la sienne et celle des autres. Ce qui est très bizarre, c’est quelqu’un qui a été mis en prison et on a l’impression quand il sort, il veut revenir au cocon de la prison et que pour cela, il est obligé de commettre des meurtres  ». (Gaspar Noé) Il n’éprouve strictement aucune empathie avec son prochain au point même d’être incapable de résoudre l’équation de son être dans ses actes : « J’avais peur, mais pas de la police ou d’une punition. J’avais peur de moi-même  ».

Ce film n’est pas un film taiseux comme on aurait pu s’attendre à l’époque des années 70 où l’explosion des combats de l’antipsychiatrie rayonnait un air de liberté à vouloir fermer les asiles psychiatriques qui au lieu de guérir enfermaient et exerçaient une violence sur les personnes en toute impunité. (Ce qui est encore souvent le cas au présent de l’indicatif !) Dans le sillage des influences révolutionnaires de David Cooper et Ronald Laing et dans une moindre mesure d’un certain réformisme de la psychiatrie institutionnelle chez Les François Tosquelles et Félix Guattari, à la sectorisation par Lucien Bonnafé, les créations de lieux de vie avec Claude Sigala et toutes les analyses libertaires encore très actuelles de Jacques Lesage de la Haye.*

On est prisonnier de l’écran, on est voyeur en gros plan du tueur. On suit le tueur dès sa sortie de prison et on va suivre ses déambulations durant 24 heures chrono. Il tente d’abord d’étrangler une conductrice de taxi. Il cherche ensuite un lieu reculé et paisible et découvre une grande maison où vivent une vieille dame, sa fille et son fils handicapé, victimes idéales et jouissives pour le tueur en sursis. Le chef opérateur produit des prouesses, invente et lèche l’image. Le réalisateur s’en émerveille encore et on constatera que toutes les performances techniques de l’équipe de tournage mis au service du film sont devenues banales dans le cinéma actuel. « On a tourné entièrement via des miroirs. Dans un miroir on peut exploiter la réflexion (du protagoniste), en le plaçant près du sol ou près du mur, ça permet de filmer carrément derrière le mur ou de dessous le plancher. On a monté les caméras sur roues et on pouvait se balader et les lancer le long d’une corde. Ça nous a permis de restituer les différents états d’âme du protagoniste  » (Gérald Kargl réalisateur)

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En plus, il faut parler de l’acteur principal Erwin Leder époustouflant dans la peau de son personnage halluciné. Le zigue, il a des antécédents propices à se dégourdir le couteau dans les chairs de ses victimes. Il a grandi en hôpital psychiatrique peu cher, non pas en tant que pensionnaire mais en tant que fiston d’un papa directeur d’établissement. Ses compagnes et compagnons de jeu étaient des schizophrènes et des maniacodépressifs. Il en a pris de la graine ! On le retrouve d’ailleurs en conversation fort instructive avec un ami psychiatre dans les fameux suppléments. « L’acteur a une tête hallucinante. Il était ravagé. Avant même qu’il ouvre la bouche, son se dit qu’il est fou. Et la musique de Klaus Schulze fait pas mal décoller le film ». (Gaspar Noé) Car en sus, la musique intérieure du tueur, que l’on entend en voix off, donne encore plus de ressort à certaines scènes d’horreur. Je pense à celle où il est en train de tuer la vieille dame et se raconte à lui-même froidement comment sa grand-mère l’avait exclu de la maison. Ce processus se reproduit à plusieurs reprises, comme pour expliquer un certain processus de narration de cause à effet, dont il est totalement emprunt. « Dans l’optique portrait d’un assassin vu de l’intérieur, c’est le meilleur film que j’ai jamais vu  » (Gaspar Noé). Je suis tout à fait d’accord avec lui. Le fait d’entendre en actes la voix intérieure du tueur, c’est un procédé qui immanquablement nous frappe de plein fouet et rend cette voix pour le moins singulière dans l’histoire du cinéma.

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La bande son de Klaus Schulze rajoute du suspens à la dramatisation du sujet et de la tension. Musicien hors pair de la scène allemande surtout autour des années 70 et 80, batteur, compositeur et interprète de musiques électroniques, il a conçu un son bien à lui à la croisée des musiques psychédéliques et l’utilisation de boites à rythme et synthétiques totalement hypnotiques. Il était le compositeur parfait pour nos frissons à rebrousse-poil à marquer de nos ongles les accoudoirs de nos salons !

Un film époustouflant, et comme toujours chez Carlotta Films cette générosité, d’illustrer notre curiosité à découvrir les méandres de ce film par ses concepteurs, s’inscrit dans ses multiples suppléments où je me suis vraiment régalée.

Ce voyage dans la tête d’un tueur ne pourra pas vous laisser indifférents et vous marquera jusqu’à vos derniers jours, je vous le garantis. Les images, le son, les acteurs rayonnent cette humeur de la peur à suer du palpitant jusque s’incruster dans vos pores. Il y a très longtemps que je n’avais pas été bouleversée par la force d’un film. C’est une œuvre d’une modernité absolue et d’une accroche copieusement originale, avec toute une équipe derrière le réalisateur en gage de prouesses cinématographiques. Un chef d’œuvre à surtout ne pas passer de côté, que je vous recommande vivement de tout mon cœur bien accroché.

Schizophrenia de Gérald Kargl, avec Erwin Leder, 1983, 79 minutes, couleurs, version originale sous-titrée, distribué par Carlotta Films, juillet 2012

Suppléments :
Prologue (8 minutes) /
Entretien avec Gérald Kargl (27 minutes) /
Entretien avec le chef opérateur (29 minutes) /
Entretien entre l’acteur principal et un ami psychiatre (26 minutes) /
Influences selon Gaspar Noé réalisateur ((25 minutes) /
Bandes annonces

Note : * La mort de l’asile. Histoire de l’antipsychiatrie de Jacques Lesage de La Haye, éditions libertaires, 2010, 213 pages, 10 euros