Marcus Miller, la « Renaissance » du bassiste prodige !

Marcus Miller, la « Renaissance » du bassiste prodige !

Quand le jazz fusionne sous les doigts habiles d’un jeune prodige de 52 balais et qu’en plus le sacré bonhomme a plus de quatre cordes à sa basse, outre la composition, l’arrangement, la production, c’est aussi un enthousiaste encourageur de talents comme le fut avec lui Miles Davis. Avec ce nouvel album « Renaissance », ce sont 8 nouvelles compositions et la revisitation de cinq standards hétéroclites avec sa touche très personnelle. Marcus Miller nous comble une fois de plus et nous prouve que le jazz a encore plusieurs vies devant lui. Vive le jazz qui pulse à nos palpitants !

Du côté du rock, la basse est pour ainsi dire toujours reléguée au rang de rythmique à l’ombre des fûts de la batterie qui la mènent à la baguette. Le génial Ray Manzarek, le clavier des Doors poussa la combine à jouer les parties de basse de la main gauche sur les touches de son Fender Rhodes Piano bass silver qu’il posait délicatement à cheval sur son clavier principal. Vous en connaissez beaucoup des bassistes de rock, à part Sting le moustique, qui se soient piqués à créer leur groupe, voir même composer ? Les guitares ont la suprématie et règnent sans partage, elles sont les héroïnes du rock !

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Avec le jazz, c’est une autre une paire de manche. Il ne faut pas être manchot pour jouer de son instrument. La basse peut même s’interpréter en solo sur scène. Suivez mon regard vers le feu Jaco Pastorius. La basse peut aussi se surpasser et s’user les cordes à une ligne mélodique comme avec Steve Swallow tombé en amour pour la musique de Carla Bley dont le morceau Utvikkingssang me pâme. Je sais, je vais encore me faire pas mal d’ennemi(e)s en attaquant le rock sur son terrain de la suprématie de la déculturation massive, au nom de son assimilation par le plus grand nombre et son imposition à nos oreilles sur tous les médias, du fait de son écoute simplifiée. Je sais, n’est pas tout le monde Frank Zappa !

Marcus Miller ne s’est pas improvisé bassiste du jour au lendemain. Il se considère comme un bassiste versus « funk avec une immense connaissance de jazz  ». Cette connaissance il l’a acquise tout au long de son existence. A commencer en entendant son pater jouer de l’orgue à l’église, ce qui lui a donné envie de toucher du clavier. A 10 ans, il apprend la clarinette, à 13, ce sont l’orgue et le saxophone qui lui divertissent les esgourdes. Sa rencontre avec la basse il la fera d’abord avec une guitare acoustique de piètre qualité où il va s’exercer en suivant les riffs de basse sur des chansons. A 15 balais seulement il est engagé comme bassiste dans un orchestre de New York. Le be-bop lui éclate les tympans. Il a un cousin, pianiste virtuose qui accompagne Miles Davis dans les années 50. Marcus baigne et mouille déjà sa chemise dans le jazz.

A l’âge de 18 ans, il cultive d’autres talents tels que la composition et c’est avec la découverte des studios new-yorkais qu’il va côtoyer les grandes figures du jazz, du rock et du rythm’n blues : Aretha Franklin, Elton John, Miles Davis, Dave Grusin, Grover Washington Jr, Luther Vandross
Il rencontre aussi le saxophoniste David Sanborn pour lequel il joue de la basse et compose des morceaux. En 1981, c’est le choc ! Miles Davis qui apprécie les jeunes talents lui demande de rejoindre sa formation. Il compose pour Miles et produit entre autre le chef d’œuvre Tutu, l’album phare qui nous illumine encore ! Il se lance aussi dans une série d’albums solo, seul maître à bord de ses compostions avec la participation de grosses pointures aussi différentes que Herbie Hancock, Wayne Shorter, Kenny Garett... parmi tant d’autres !

En 2005, il renoue avec sa jeunesse. « De nous jours, les gens écoutent juste une sorte de musique, comme le hip hop, le R&B ou le rock, mais dans ma jeunesse, on était ouvert à tous les styles musicaux  ». Qu’à cela ne tienne, à lui les reprises de Stevie Wonder, Jimi Hendrix ou Duke Elligton et même une adaptation d’une sonate de Beethoven !

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Le père Léo Ferré monégasque de naissance a toujours été moqué de son vivant pour ses talents de compositeur et chef d’orchestre. Il a dû se bidonner dans sa tombe en 2008, quand Marcus s’afficha au Monte-Carlo jazz Festival avec l’Orchestre Philarmonique de Monte-Carlo porté par la voix du superbe chanteur-guitariste Raoul Midon. La même année sur un tout autre registre, il fonde la réunion des trois plus fameux bassistes de jazz le S.M.V. S pour Stanley Clarke, M pour Marcus Miller et V pour Victor Wooten. Un des plus grands chefs d’œuvres du jazz fusion. Ce qui prouve aussi que trois générations de bassistes peuvent se rencontrer, s’apprécier pour jouer ensemble. Vous pouvez imaginer la difficulté musicale de composer et partager la scène avec trois instruments rythmiques sans se marcher sur les partoches. Et pourtant, ce qui à mes yeux était irréalisable, ils l’ont réussi avec brio. Cet album est vraiment très étonnant, tout comme la taille musicale des trois gaillards.

Il est un des traits de caractère de Marcus Miller me va droit au cœur. Il a su garder les enseignements du vieux Miles pour donner sa chance aux jeunes. Son présent album Renaissance en est la preuve flagrante. Huit nouvelles compositions très abouties et vivantes ainsi que cinq standards revisités, dont il parait un hommage à Michael Jackson. Là je vous l’avoue le Jackson est totalement inconnu au registre sensible de mes esgourdes et je serai bien incapable de vous dire de quel morceau il s’agit. En tout cas, aucune soupe ne vient tarir cette écoute à la louche depuis que je passe ce CD en boucle sur ma platine. Je suis dopée à la puissance de feu de cette musique qui pulse l’envie de me bouger à la rencontre de ce cher Marcus Miller que j’aurai l’immense joie d’aller applaudir sur scène cet été au prochain Jazz à Marciac.
En revanche, J’y ai reconnu le thème de Get up, Stand Up de Bob Marley et Peter Tosh, chanson contre le racisme in Slippin Into Darkness, 9 minutes 15 de brillance. Clin d’œil à certaines intentions de Marcus et à son époque tourmentée dans son sens de l’innovation perpétuelle. « Je sens qu’une page se tourne. Nos derniers héros disparaissent et nous entrons dans une ère nouvelle, à la fois politique et culturelle. Mais la musique n’est pas aussi révolutionnaire que les médias. Il est temps pour une Renaissance  ».

En tout cet étonnant Marcus Miller a décidé de ne pas vieillir. C’est un pote de ma vampire Dagmar alias Bluty, même qu’il apparait dès le premier chapitre du roman que le Bartos est en train d’écrire, c’est pour vous dire ! superbe bande son, je compatis. A croire que je ne suis pas la seule sous le choc de cet album ! C’est Marcus qui va être content si jamais il lit ma chronique. Parce qu’en plus le Marcus il jacte vachement bien la langue française ! Vive le jazz pulsionnel à toutes les sources de Marcus Miller qui vit et sait nous bouleverser dans nos tripes à l’heure d’une renaissance musicale si innovante où le collectif autour d’un musicien joue fusionnel. Marcus l’enchanteur.

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Renaissance de Marcus Miller, 28 mai 2012 chez Dreyfus Jazz