Michel Butel, Thomas Lacoste et moi

Michel Butel, Thomas Lacoste et moi

Dès ses débuts j’ai acheté, lu L’autre journal. Les buralistes, régulièrement, entendaient l’Auto journal. Je leur disais que ça n’avait rien à voir, vraiment rien. L’Autre journal, de Michel Butel a commencé à paraître en 1984. J’ai encore tous les numéros, mensuels et hebdo. Trente ans presque. Ils ont été de tous mes déménagements. L’Autre journal est mort en 1992. Puis il y a eu Encore. 4 ou 8 feuillets papier-bible. Je le dois toujours les avoir eux aussi.

Donc, Michel Butel est dans ma vie depuis longtemps. Pour moi, ce homme-là, c’est de la famille de Duras, de cette gauche cultivé et généreuse que j’aime. Il est de cette littérature où les mots sont précieux. S’il n’y avait pas eu L’Autre journal, je n’aurais peut-être pas créé ma revue, en 1994. Elle s’appelait Le Bord de l’eau. BDL, cette revue. J’y voulais la même exigence, la même qualité littéraire que dans l’Autre journal.

J’en arrive au sujet de ce papier : les revues.

Autour de 1995, à Bordeaux, se sont mises à en exister plusieurs : Jours de lettres, de Didier Periz ; Le Mégot ; Toussaint Louverture ; Le Petit pressoir d’André Pailluague, je dois en oublier, et enfin : Le Passant ordinaire, de Thomas Lacoste.

C’est là que je voulais en arriver : à cette vie des revues qu’il y avait, à Bordeaux, dans ces années 1995 et après.

Quand Thomas Lacoste a sorti Le Passant ordinaire dans la foulée du Bord de l’eau (BDL) j’ai été très heureux. J’avais l’impression d’avoir initié un mouvement, des créations et que ça allait continuer.

Mais très vite il s’est passé ça : un peu Cahiers du cinéma d’un côté et Positif de l’autre, si vous voulez. Je ne sais pas pourquoi, mais on ne se rencontrait pas Lacoste et moi, BDL et le Passant. J’avais déjà 45 ans à l’époque, Lacoste 20 de moins. Je crois que ça l’agaçait le Thomas que j’aie été là avant lui et que les journalistes évoquent toujours BDL. Oui, je crois qu’il n’aimait pas ça, et je le comprends. Mais ce n’était pas une raison pour m’éviter à ce point. Alors, pendant des années on s’est ignoré. Peu d’auteurs de BDL passaient au Passant et inversement.

Nos revues ne se ressemblaient pas. Ni par le format ni par le contenu. La mienne, essentiellement littéraire sur fond anar, la sienne plus politiquement militante.

Une chose était sûre : nous œuvrions dans la qualité.

C’était bête, mais c’était comme ça : nous nous ignorions vraiment Le Passant et BDL. Très vite je m’étais fait à l’idée que je jeune Lacoste était dans le meurtre symbolique du vieux DEB.

Les années ont passé. BDL est devenue une maison d’édition et Le Passant aussi. De temps en temps j’adressais un signe à Thomas Lacoste. En vain.

Puis, un jour, par hasard, j’ai appris que Le Passant avait cessé d’exister. Que Thomas Lacoste était parti à Paris. Il faisait de la vidéo. Moi aussi. Je lui écrit pour lui avoir certains de ces films : il ne m’a jamais répondu.

Avril 2012 : bonne nouvelle, Michel Butel est de retour. Durant toutes ces années j’ai demandé ce qu’il devenait. On me disait qu’il était très malade. Alors, L’Impossible, je ne pouvais pas manquer ça : je me suis aussitôt abonné.

Et c’est là que j’ai retrouvé Thomas Lacoste. Dans le N°1.

Voilà ce qu’écrit Michel Butel :

« L’autre jour, j’ai rencontré Thomas Lacoste, que j’aurais dû rencontrer dès 1997.

Début janvier 2012, il arriva que le feu fut mis à son appartement, vers 7 heures du matin, à Paris, en son absece.

Ce feu dévora instantanément les milliers de livres assemblés là, les meubles, les affaires, les archives, les films, les œuvres, les travaux, tout le chantier de toute la vie de Thomas Lacoste, éditeur, créateur de revue, écrivain, cinéaste, philosophe.

Ce feu installa des cendres dans le cerveau de son fils, Baruch Lacoste, trois ans à peine, qui, depuis, répète : « maison Baruch cassée. »

Une enquête est en cours.

Thomas Lacoste m’a raconté cela, cela et le reste »comme on dit », d’une voix posée, calme, dénuée de fureur.

Je lui ai demandé de nous rejoindre, de se joindre à nous.

Je crois que j’ai invité un ange. »

Pour soutenir Tomas Lacoste :

www,labandepassante.org

Michel Butel, lui aussi, doit être un ange.

Le fils de Thomas s’appelle Baruch. C’est aussi le prénom de Spinoza. Or, depuis des mois je travaille à un film documentaire sur un philosophe qui est le spécialiste mondial de Spinoza. Ce philosophe s’appelle robert Misrahi. J’ai publié plusieurs livres de lui, à présent je le filme.

Le film s’appellera : « La Construction du bonheur. »

Je le ferai parvenir à Thomas.

En attendant, je lui tends une main toute fraternelle.

J’aimerais bien, cette fois, qu’il ne la refuse pas.

Après tout, je suis un ange, moi aussi.