Nique tes angles morts ou tire ta vie au sort !

Nique tes angles morts ou tire ta vie au sort !

Par ce premier roman « Les Chroniques du Dr Trent », Olivier Moyano s’illustre en auteur qui connait parfaitement son sujet au pied de la lettre littéraire. On suit le parcours de Stanislas Trent depuis son enfance jusqu’à sa destinée professionnelle de psychiatre, psychanalyste et urgentiste jusqu’au trou noir : sa disparition terrestre inexpliquée. Fort heureusement il nous a laissé son carnet de notes… Quand la réalité déphase notre psyché, gare au double qui sommeille en nous. Un fameux roman pour bien commencer le printemps, la saison de tous les possibles !

Olivier Moyano ne m’est pas inconnu, j’ai déjà éprouvé la joie de chroniquer « L’homologue et autres récits  », à vous donner le ton et la teneur de son recueil de nouvelles. Se lancer dans la publication d’un roman, ce n’est pas une mince affaire. Les éditions Kirographaires ont répondu présent.

Une centaine de pages, pour que son personnage le Dr Stanislas Trent nous distille ses multiples facettes, à la fois psychiatre, psychanalyste et enfin urgentiste. Il se dévoile dans ses carnets et traque l’angle mort qui est en nous. C’est en quelque sorte comme un motard qui ignore l’usage trompeur du rétroviseur. Il doit toujours tourner la tête derrière lui pour faire face à la réalité et soulever la visière afin de happer l’air frais, mine de rien. L’étrange Stanislas est à la masse. Et pour cause il s’est évaporé, en laissant juste un carnet avec ses notes dans sa voiture.
Dites 33, Olivier Moyano est un grand observateur de ses contemporains, quelque part dans le Médoc à l’orée de Bordeaux, la capitale du la Gironde. Il s’est inspiré de l’étrange phénomène d’une rue no mans land qui existe sans issue et n’apparait plus au cadastre, à la frontière de deux communes au nom interchangeable. Une espèce de quatrième dimension, le triangle des Bermudes girondines où il se passe des choses étranges…

On jongle entre les propos du narrateur qui raconte l’épopée de Stanislas et ce dernier qui s’illustre dans les carnets de ses chroniques, « certaines très anciennes, dont le contenu se rapprochait parfois de celui d’un journal intime. (page 8)

Sait-on jamais dans quel registre de notre enfance, on va chercher à vouloir prononcer le nom du métier que l’on voudrait exercer plus tard. La doctoresse de l’école a droit au chapitre car Stanislas a déjà sa petite idée. « Pourquoi clown ou chirurgien ? demanda-t-elle en farfouillant mes bourses, la cicatrice provoquante ». (page 12)
Et pour devenir médecin, il faut parfaire ses études d’anatomie et pour se faire, la main et le doigté rien de tel que de l’exercer en compagnie de cadavres chauffés à blanc. Et quand au laboratoire d’anatomie et de dissection, c’est « un boucher qui s’est reconverti au traitement des cadavres pour la science  » (page 15), on se bidonne la brioche ! Oliver Moyano ne manque pas d’humour et c’est un délice de se boyauter les sangs avec lui. Il y a d’autres scènes tordantes et des rencontres d’un troisième type avec les cadavres aux expressions bien vivantes.
On assiste aussi à l’exercice du psychiatre en hôpital psychiatrique qui tente d’analyser la gestuelle du zigue qui boit son café dans un cendrier. Où l’on apprend que « Même chez les fous, il y des choses à ne pas faire  » (page 33). C’est pour vous dire, comme j’ai pris un malin plaisir à découvrir des lieux et des pratiques très fermées. Même que le Stanislas ne se laisse pas toujours conter avec la norme en vigueur. « Le Dr Trent a eu un moment de vaine révolte initiée par cette vie pavillonnaire déshumanisante et assurément aliénante. Il faut être vraiment toqué pour pouvoir la supporter. C’est un comble. (page 39) Tous les traits de caractère de cet anti-héros me le rendent original et plutôt sympathique.

Quand il devient psychanalyste dans son cabinet feutré, loin des effluves des désinfectants et autres tourments et blessures, il s’accomplit sauveur et batifole même parfois avec des miracles. « Claude est en analyse depuis trois ans, il est de mes patients favoris. Avec lui, je ne m’ennuie jamais. Et surtout, la traque de l’angle mort n’a pas encore abouti. Je tente de le débusquer, avec tout mon art et toute ma patience, mais Claude Landré semble résister. Un défi secret nous rassemble, le prédateur et sa proie. Je n’ai pas encore saisi où se niche l’angle mort de Claude, mais le plaisir de la recherche est intact, il augmente même au fur et à mesure du temps qui passe. J’aime, ça, j’adore ça  ». (page 67) Et quand le cri jaillit des entrailles du patient, c’est Munch pas du tout ours en peluche, c’est la Libération de Paris et des pulsions enfouies qui arrondissent les angles.
Il y a aussi d’autres forces en vigueur qui transcendent la pratique du Dr Trent hors des pratiques de la rationalité admise depuis Molière. « Chez Bernard le guérisseur, c’est presque comparable à la force attractive d’un trou noir  ». (74).

Même que sous d’autres latitudes, on n’enfile pas son djinn le matin, on le fuit ventre à terre…
Toutes ces nouvelles représentations du corps à l’esprit en souffrance, Stanislas en accord parfait, toujours partant vers de nouvelles expériences, s’épanche et transcende ses anciennes connaissances.
Et quand Bernard lui signifie que son homologue le suit à la trace, rejaillit alors en lui une cicatrice jamais refermée, qui explique en quelque sorte son fonctionnement d’ouverture des sas à sa liberté de pensée. « Mais jamais ma propre loi ne me sera dictée par un autre. (page 109) Dans ce sens en translation, il se rapproche d’un Nietzche dans « Le gai savoir » qui clamait : « Il m’est odieux de suivre autant que de guider ».

Vraiment pittoresque personnage, ce Dr Trent sur son trente et un, qui parviendrait presque à me faire apprécier la présence des carabins qui se disent soigner l’être et le néant dans sa globalité. Etonnant non ?
J’ai vraiment été bluffée par ce roman original qui nous ouvre les horizons du psyché dans l’envergure d’un touché d’humour et d’empathie bien ressentie par son auteur à l’égard de ses lectrices et lecteurs qu’il respecte. Point de jargon abscons à l’abordage de ces professions spécialisées, mais des mises en situation qui donnent corps au récit et nous galvanisent le héros à se surpasser pour apaiser la souffrance et même parfois la tuer.

Bien entendu, je ne vous conseille pas de lire ce roman en conduisant lors de votre prochaine visite à votre médecin, persuadé(e) que cette idée d’angle mort se trouve dans l’asphalte de votre destinée.
Lire à tête reposée selon l’ordonnance du Dr Trent à vous sustenter de son humour et de ses maux d’esprit chevillés au corps. Vous en sortirez agréablement surpris(e) par la modernité des propos émis, portés par le style d’Oliver Moyano qui n’a aucun double, je vous rassure dans le domaine de la littérature.

Les Chroniques du Dr Trent d’Olivier Moyano, éditions Kirographaires, janvier 2012, 117 pages, 18,95 euros

Dans la salle d’attente du Dr Trent :
http://www.syblio.com/les-chroniques-du-dr-trent