Critique de "L’orpheline avec en plus un bras en moins" de Jacques Richard

Critique de "L'orpheline avec en plus un bras en moins" de Jacques Richard

« L’Orpheline avec en plus un bras en moins » de Jacques Richard est véritablement un film d’auteur(s) dans l’acception la plus noble de ce terme. Tout d’abord car il s’agit d’une œuvre qui propose et met en scène la symbiose parfaite entre deux artistes talentueux et hors norme que sont Roland Topor et le célèbre réalisateur d’Avé Maria qui avait fait couler tant d’encre à sa sortie.

Les habités de Topor reconnaîtront bien dans ce long métrage en noir et blanc et couleurs son univers. Lui qui disait « Je veux que mon existence /Soit une suprême offense /Aux vautours qui s’impatientent/ Depuis les années quarante /En illustrant sans complexe/ Le sang, la merde et le sexe. » pimente toute son œuvre de provocations, de fantasmatiques d’une grande profondeur et intelligence autour des tabou du corps, de la société et de la morale.

« L’Orpheline avec en plus un bras en moins » raconte l’itinéraire d’une très jeune fille infirme du bras qui passe d’un orphelinat intemporel dirigé par des Sœurs au Château de son protecteur, un juge aux mœurs douteuses. Noémie Merlant qui apparaît pour la première fois à l’image dans ce film crève l’écran, elle apporte une fraicheur, une beauté unique, une grâce et une grande sincérité au rôle. Son visage, ses beaux yeux d’une grande force et fragilité et son corps sculptural portent littéralement le film. Elle y est une révélation marquante.
Les trucages très réussis sont criants de vérité, l’illusion est parfaite et ce corps au membre manquant finit par avoir une esthétique bien à lui, une esthétique qui fait redécouvrir le corps féminin.

Pasquale d’Inca qui joue le Juge a une belle présence et une voix impressionnante et dans ce rôle ambigu de protecteur maniaque et obsessionnel il fait une composition à la mesure de son talent. Il est en quelque sorte le double du réalisateur dans la dramaturgie.
Une attention particulière est portée aux seconds rôles, Jean-Claude Dreyfus en proxénète libidineux excelle, Caroline Loeb en entraîneuse sur le retour est absolument savoureuse et jubilatoire, Dominique Pinon en assistant du Juge est comme d’habitude impressionnant même s’il a un petit rôle et Melvil Poupaud en illusionniste à la petite semaine compose là une belle performance inhabituelle. A noter aussi la prestation très juste et très fine et photogénique d’Elodie Hachet en orpheline blonde et amie de l’Héroïne qui va l’aider à se dévergonder avec un plaisir non feint et une mention à Fabrice Carlier pour son personnage d’Omar, l’énigmatique et exotique domestique du juge.

« L’Orpheline » qui mélange les scènes les plus crues à de beaux moments poétiques en passant par des scènes cocasses et d’autres d’érotiques soft est un film inclassable, profondément attachant qui mérite d’être défendu.
Les thématiques de la Différence, du handicap, du regard des autres, de la fascination pour le monstrueux, de la cruauté, du voyeurisme, de la manipulation, de la perversion et du sexe bizarre sont traitées avec beaucoup de réussite, d’originalité et d’imagination.

Ce film est un ovni comme on aimerait en voir plus souvent, on est dans le cinéma pur, une œuvre « collage » qui mêle la fantaisie, le rêve, le fantasme, l’anachronisme, l’irréel, le faux, le vrai, le trompe l’œil, la poésie, le théâtre, le dessin, le cinéma d’antan.

Nourri par la Littérature, ce film sous son apparente légèreté, fantaisie et son grand sens du divertissement est en fait une réflexion d’une grande pertinence sur les comportements humains et les sens que peuvent prendre des notions fondamentales comme la beauté, la laideur, la vie, la mort, l’envie, le désir… On est mine de rien dans une œuvre complète qui, même si elle a été construite avec un budget dérisoire face aux productions cinématographiques françaises actuelles, est un grand film de Cinéma. Qu’on se le dise.

Jacques Richard, un réalisateur cinéphile qui a plus de 80 films à son actif est un Artiste à découvrir et redécouvrir. Il est pile d’actualité.

L’Orpheline avec en plus un bras en moins