Lettre à ma mère

Lettre à ma mère

Proximité et distanciation = sentiment d’étrangeté… Tel pourrait être le sous-titre – mathématique ! - de la percutante et émouvante Lettre à ma mère, court roman de Georges Simenon adapté au théâtre par Robert Benoit. Ce dernier, seul sur la scène du Lucernaire et sans forfanterie, s’est glissé dans la peau de l’écrivain fleuve Simenon à une période de sa vie peu connue.

Alors âgé de 71 ans, le créateur de Maigret a mis de côté son univers romanesque. Trois ans et demi après la mort de sa mère Henriette, il écrit en 1974 la fameuse Lettre à ma mère, dans laquelle il évoque les huit jours passés à Liège où il assiste à son agonie à l’hôpital de Bavière. Mais ce texte paraît surtout pour Simenon une ultime opportunité de s’adresser à sa mère (qu’il n’aimait pas) au-delà de la mort, cette dernière – paradoxalement - rendant Henriette plus vivante que jamais. Robert Benoit interprète donc cet homme aux sentiments ambivalents qui cherche à comprendre, à capter l’essence, à aimer cette personne à la fois familière et complètement étrangère. Généreusement, notre orateur distribue à Henriette quantité de circonstances atténuantes… et de petits coups de bâton ! Le double langage de Benoit/Simenon se profile, à la fois respectueuse évocation de la morte et de ses bons côtés et discrètes allusions qui laissent percer le ricanement face aux masques grotesques d’Henriette. Mais Benoit, fidèle au texte, a choisi le ton juste d’un homme, ni dupe, ni rancunier, face à une énigme : celle de sa mère et de son ratage avec elle. Ce Simenon-là, incarné par le jeu subtil de Benoit, ne peut donc échapper à une certaine souffrance. Sa lucidité le renvoie constamment à la vacuité de cette relation.
Robert Benoit

photo© Natalia Apekisheva

Le fil narratif du spectacle nous avertit d’ailleurs : Simenon a passé ses vingt premières années au contact de sa mère, pour mieux pouvoir l’esquiver durant près d’un demi-siècle. Benoit interprète avec un parfait naturel cet être dubitatif et désinvolte, à l’image du Simenon familier, à la fois hédoniste, cultivé et sarcastique. La souffrance de Simenon nous est suggérée par des souvenirs/scénettes : la préférence affichée d’Henriette pour Christian - le fils cadet - et ses continuels reproches envers Georges, son mépris pour l’argent de son fils – âgée, elle lui rendra tout l’argent donné, durant un demi-siècle ! -, enfin son indifférence vis-à-vis de la réussite sociale et de la productivité littéraire de Georges. Tout semble donc opposer irrémédiablement Henriette et son fils aîné. Dans Lettre à ma mère, Simenon nous paraît animé d’un profond désir de connaissance, celui d’identifier celle qu’il a toujours appelé simplement « mère ». Mais il n’est pas Maigret. Le romancier a vieilli. Le mystère de l’échec de son rapport avec sa mère le tourmente. A un moment, sur la scène du Lucernaire, Benoit interpelle ainsi la mère de Simenon : Pourquoi l’appelais-tu le père André  ? C’est une subtile allusion au second mari d’Henriette, mais surtout à la ridicule manie de la mère du romancier de donner aux gens un sobriquet. Par cette banale formulation, le personnage Simenon tente peut-être de conjurer ce qu’il redoute le plus chez sa mère : un monde non rationnel.

Ce qui frappe dans Lettre à ma mère, c’est avant tout le désir d’apaisement, de réconciliation post-mortem de Simenon avec sa mère, au-delà des blessures personnelles. Avec talent, Robert Benoit se glisse dans cet univers psychologique aux contours flous, nous offrant là un grand jeu théâtral !

durée : 1 h 15

Lettre à ma mère

Adaptation théâtrale du roman de Georges Simenon
de et avec Robert Benoit

Théâtre Le Lucernaire (salle Théâtre Rouge)

53, rue Notre Dame des Champs
75006 Paris

du mardi au samedi à 18 h 30 (relâche dimanche et lundi)

Du 29 février au 5 mai 2012