Trois questions à Franca Maï à propos de "Jean-Pôl et la môme caoutchouc"

Trois questions à Franca Maï à propos de "Jean-Pôl et la môme caoutchouc"

"Jean-Pôl et la môme caoutchouc" sort le 27 Août 2003 au Cherche Midi. Franca Maï confirme par la même occasion qu’après plusieurs vies artistiques, c’est bien l’Ecriture qui va la sacraliser aux yeux d’un public très large et cosmopolite... même si le Cinéma n’est pas bien loin !

Assurément un des tous meilleurs livres de la rentrée littéraire 2003, qui puise dans les méandres des rizières les plus troublantes.

1. Bonjour Franca Maï, ravi de vous retrouver un an après "MOMO QUI KILLS" pour votre second roman "JEAN-PÔL & LA MOME CAOUTCHOUC" (Cherche-Midi). Une fois de plus, on peut dire que vous n’êtes pas là où l’on vous attend et que vous brouillez décidément très bien les pistes. Le plus fort, c’est qu’il semble évident que votre héros masculin est un joli alibi qui vous permet d’écrire un beau roman sur une femme et qui va beaucoup toucher les femmes.

Bonjour Frédéric Vignale. Joyeuse également. Pourquoi voudriez-vous que l’on m’attende quelque part. L’écriture est un état de grâce qui n’a rendez-vous avec personne en particulier mais qui peut parler aux autres dans le vacillement et les tremblements, en complète échappée avec le cerveau de son auteur. C’est une alchimie singulière. Il se fait que j’avais envie de parler de Jean-Pôl, I/4 vietnamien, donc bridé comme un chat. Les chats me fascinent tout comme le peuple asiatique doté d’une énigme et d’une élégance naturelles. Un appel à la fois attirant et déroutant. La peur de ne pas comprendre ce qui nous échappe. Il se fait également que j’ai eu un grand-père vietnamien mort avant ma propre naissance. Fouler et me rouler dans mes racines sur fond de guerre d’Indochine m’a permis d’aborder les thèmes qui me sont chers, le dérapage, la cruauté, la déstabilisation. Donner à voir ce qui ne se voit pas. Fouiller les apparences et toucher l’après miroir.

Curieusement, il est vrai que la figure de la mère s’est dévoilée au fur et à mesure du déroulement de ce roman construit sous forme de puzzle. Cette mère, qui est avant tout une femme en quête d’innocence et d’absolu, touche les femmes et les hommes qui ont développé leur part féminine. Après MOMO QUI KILLS - roman violent et ulcéré sur un homme blessé par l’abandon de sa femme et de sa fille qui développe une haine des femmes, en les violant et en les tuant - J’ai reçu une salve d’insultes de certaines femmes qui pensaient que je haïssais le sexe féminin. Je les rassure ici, j’adore les femmes surtout lorsqu’elles ont la peau douce, qu’elles sentent la fleur d’oranger et que leurs yeux profonds me renvoient l’attrait facétieux du soleil noir.

2. Ce roman typé, mais pas bridé qui nous entraîne en Indochine, était-ce pour vous, avant tout, un moyen de rendre hommage à vos origines quarteronnes ?

Lorsque j’ai parlé de mon envie de me pencher sur l’Indochine, à mon éditeur le Cherche-Midi , en la personne de Pierre Drachline, celui-ci m’a conseillé l’excellent ouvrage de Jean-Luc Einaudi VIET-NAM (la guerre d’Indochine) 1945-1954. Cet ouvrage m’a livré un éclairage brutal de cette période que je ne connaissais pas bien et quelques cauchemars ont hanté mes insomnies après lecture de la folie des hommes.

Il est vrai que les personnages qui évoluent dans JEAN-PôL & LA MOME CAOUTCHOUC pourraient traverser toutes les guerres avec la même attitude. Et que l’Indochine n’est qu’un rendez-vous héréditaire. La guerre rend l’homme nu dans sa cruauté animale. Quel que soit l’endroit, l’hémisphère ou l’heure.

Faire évoluer cette histoire m’a simplement permis de caresser l’âme de mon grand-père vietnamien, une manière de cracher sur la bêtise humaine et de déterrer les os bêlants et racistes.

C’est le baiser mouillé d’une petite fille à la face d’une lune siamoise ayant les traits d’un grand-père aux yeux à jamais crevés.

3. Quel est cette fois, le message subliminal et cruel (car il y en a toujours un chez vous non ?) de ce tome II de votre odyssée littéraire qui nous fait envisager par les mots de bien étranges contrées fantasmatiques ?

L’ amour hait le fil de fer barbelé. Il est sans tabou et n’existe que par le regard que l’on pose sur lui. Si le regard est beau et généreux, même dans une situation tragique de guerre, un homme, en l’occurence, Jean-Pôl, peut vivre une histoire au-delà de toute moralité et compréhension, les ailes largement déployées ....

N’en déplaise aux médaillés de la bonne conscience collective....

(Photographie : Tristan Paviot)

"Jean-Pôl et la Môme caoutchouc", Franca Maï, Cherche Midi, 2003, 132 pages, 11 euros.