Dominique A : Défense et illustration de la chanson française

Dominique A : Défense et illustration de la chanson française

S’il est une frustration qui nous agace lorsqu’on souhaite rendre un hommage passionné à un artiste dont l’oeuvre agit comme un phare depuis longtemps dans notre vie musicale et littéraire, c’est bien l’impuissance à nous libérer de la pléthore d’interviews et autres articles amassés à son sujet en couches sédimentaires au gré des années. Très vite en effet, l’euphorie provoquée par l’illusion d’une idée neuve et géniale s’évanouit, cédant place au double désenchantement du déjà lu, déjà écrit.

Nous n’avons pas la prétention d’y échapper avec cet article. D’autres avant nous ont fouillé, commenté, trituré, encensé l’oeuvre de Dominique A. Mais nous voulions profiter des « Vingt ans » de carrière du chanteur fêtés début janvier ( rééditions des 8 premiers albums studios + cd d’inédits ) et de la sortie fin mars de son prochain album Vers les lueurs pour lui dire merci. Oui, merci Dominique A.

Merci ? Mais pourquoi ?

Avant toute chose et afin d’apporter un éclairage tout personnel aux lignes qui précèdent, nous nous devons d’entrer dans le sujet par la petite porte de l’anecdote. Souvenons-nous de ce jour ancien et amer où un certain artiste dont nous laisserons dormir le nom dans la nuit épaisse du silence nous flanqua aux oreilles ces vertes remarques à propos d’une petite chanson jaillie toute en alexandrins de notre plume encore novice... « Trop long voyons ! Trop compliqué ! Trop littéraire ! Ce n’est pas « ça », une chanson ! Il faut faire des phrases courtes et utiliser des mots simples sinon les gens ne comprennent pas. Faut pas trop les bousculer, les gens. »

Ah...( Joues rouges et tête baissée ) Lacération de l’amour-propre. Nous tentons vainement de bredouiller quelques mots inarticulés et timides dans notre barbe ( nous ne portons pas la barbe, rassurez-vous, mais que n’écrirait-on juste pour le plaisir de l’expression...) : « Oui mais pourtant, Georges Brassens, dans ses textes, etc etc... » - Oui mais Céline, tu n’es pas Brassens ! - Ah... C’est vrai. ( Je n’ai pas de moustache non plus ) - Et puis tu ferais mieux d’écrire comme un tel ou une telle...Tes textes, ils sont trop intello, trop narcissiques, pas assez populaires, tu comprends ? - oui oui, je comprends... ( Ducon )

Il faut avouer qu’ à l’époque, nous étions quelque peu éblouie par l’aura de l’artiste sus-évoqué (une aura au rayonnement pour le moins relatif, nous en convenons aujourd’hui avec un petit rictus en coin, car le sieur ne brille plus désormais que par son absence et semble lentement mais sûrement promis à la mélasse obscure de l’oubli ) Il est vrai aussi que nous espérions déposer un jour dans sa bouche nos vers trop longs pour lui ( on n’est pas sérieuse quand on a 27 ans).

Bref, il n’y avait pas à arguer plus avant devant tant de sagesse. Nous sommes donc allée chercher un rabot et nous avons, la mort dans l’âme, amputé nos phrases. Aïe. Ce fut très douloureux. Mais il était le maître et nous étions le disciple. Adso de Melk aurait-il tenu tête à Sean Connery de Baskerville ? Certes non. ( Même si, ne l’oublions pas, le jeune moine a su montrer son tempérament en se laissant aller à quelques travaux pratiques d’anatomie comparée dans une cuisine malodorante...mais refermons une parenthèse pudique sur cette affaire médiévale qui nous emporte dans une digression d’une utilité fort douteuse )

Et Dominique A dans tout cela ? me demanderez-vous.
Dominique A ? Nous y voilà ! Evoquons maintenant avec jubilation ce jour de l’an de grâce 2006. Dominique A, sans le savoir, allait me venger de l’autre-là, grâce à son onirique et magnifique album, L’Horizon.
Première écoute. Stupeur, tremblements et cris d’Evohé !

Découverte du premier morceau éponyme. : L’horizon...
Une gifle musico-littéraire et salutaire qui remit illico notre tête à l’endroit et nos vers de douze syllabes sur leurs pieds ! Une chanson fleuve qui parle d’océan, qui s’écoule et charrie ses mots sur pas moins de 7 minutes et qui se fout bien d’être radiogénique ! Un texte épique qui gronde sous un flot déchaîné d’alexandrins ! Une syntaxe jamais à bout de souffle qui fait la part belle à l’archi-subordination ! Un débit qui ne s’apaise pas, qui se renouvelle de strophes en strophes, en puisant en lui-même la substance de son appétit à venir.

Le triomphe mêlé de l’écriture et de l’activité symbolique du langage !

Alors voilà :

Pour votre poésie audacieuse et affranchie, pour votre syntaxe sévèrement burnée, Dominique A, bravo et merci !

Pour votre exigence littéraire, parce que vos textes sont orfèvrerie, parce que vous dorez le blason de la chanson française à l’heure où on nous gave de prêtres, d’ enfoirés et autres comédies musicales aux textes pleins de vide, merci.

Pour avoir été sur mon chemin le coup de pied aux fesses qui m’a permis de retrouver l’audace d’écrire comme je suis et ce que je suis merci.
Pour les alexandrins aussi, merci.

Nous serions heureuse de croiser le vers ( et le verre ) un jour avec vous...( ça, c’est dit aussi.)

À (re ) découvrir absolument : Dominique A, L’Horizon, 2006, Olympic Disk

À venir : Vers les lueurs, nouvel album, le 26 mars