« Eaux mortelles » et appel de phare d’un motard littéraire !

« Eaux mortelles » et appel de phare d'un motard littéraire !

Outre le fait qu’il soit un jeune journaliste militant à Moto Magazine, Nicolas Grumel sait aussi avec talent se dézinguer le clavier à nous conter sa littérature d’anticipation. Imaginez dans un futur proche une mégapole style Paname où l’on aurait empoisonné l’eau. Vous suivrez haletant l’épopée de Franck alias Zigzag, le motard solitaire dans les artères des bas-fonds des entrailles de la ville fantôme et dans les hauteurs de la tour infernale. L’eau potable et l’essence si rares coûtent presque plus chère qu’un louis d’or lorsque les existences se barrent à vau-l’eau ! Jamais plus après la lecture de ce roman « Eaux mortelles », vous ne goûterez de la même façon à ce breuvage délicat qui a la saveur de la vie dans votre tuyauterie.

Nicolas Grumel a abonné son clavier à nous conter les actualités motardes. Il planche tous les mois pour Moto Magazine, son canard favori, émanation de la FFMC (fédération des motard(e)s en colère). A croire que même après des décennies de luttes, les raisons de la colère grondent encore sous les pneumatiques de la gent casquée bien sympathique et associative animée au partage du macadam, qui désire construire un monde plus fraternel et humain.
Dame, en plus, ne vous étonnez pas de retrouver Nicolas en veille littéraire, s’enthousiasmer pour des romans vroum vroum à teneur motarde à la rubrique moto-culture !

A force de lire, c’est tout naturellement qu’il s’est enquis d’écrire : « Barbès & Compagnie  » un recueil de poésie urbaine aux éditions Les Xérgographes en 2007, mais aussi une nouvelle intitulée « Eaux mortelles » dans Moto Magazine en 2004 qui a jeté la sonde de s’épancher textuel et donner source au roman que je tiens entre les mains.

Quand l’air fétide déborde de votre atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère atrophiée, suite à l’épisode cataclysmique de l’eau à jamais tarie puisque putréfiée et impropre à la consommation ? « Les apprentis sorciers finirent par fabriquer l’arme absolue : un mélange biologique complexe, basé sur le développement ultra rapide d’une bactérie dérivée du bacille virgule. Ce poison était capable de contaminer l’eau d’une ville entière en quelques heures, causant d’innombrables décès ». (page 13).

Ambiance à tout casser ! Et pour rouler sa bosse, il faut s’approvisionner en carburant à ses risque et périls. Des bandes trafiquent les matières premières et s’en fichent plein les fouilles. « Le marketing s’attaquait au corps humain. On greffait des puces électroniques sous la peau : de minuscules cartes de fidélité permettant de bénéficier de ristournes sur les produits inscrits dans la mémoire. (…) La publicité subliminale était autorisée. L’école, longtemps restée le dernier bastion de résistance, était devenue un lieu d’éducation sponsorisée  ». (page 11) Merdre de merdre, on s’y croirait presque, tellement Nicolas perçoit déjà notre futur proche si nous n’y prêtons pas plus attention.

En tout cas, dans un style alerte et si vivant, on se laisse happer par ce monde où la condition humaine a déserté le navire échoué sur un banc de sable. Désormais, l’homme est un loup pour l’homme idem pour la femme, du moins pour les rares survivant(e)s. C’est dans ce contexte hostile que Franck ex flicard de la police montée sur deux roues motorisées, désormais sans famille, vit au jour le jour à la recherche du sésame. Son unique raison de vivre : donner à boire à son gosier asséché et à sa bécane, une Tiger 900 renforcée en protections élaborées. Il porte l’arme au poing pour se défendre et conquérir un semblant de survie.

Ses déambulations évoluent de rencontres en rencontres. Il s’éprend même d’une Sylphide Angel : Zara, une femme araignée qui a un coup dans le fil à la patte. Il y a aussi « le savant fou » du métro. Il élève des rats gros comme des bourricots aux dents longues, qui vous fichent une trouille verte. A l’occasion, Franck, alia Zigzag, a conquis son blaze pour sa dextérité de conduite à se faufiler entre les balles et jouer des reins sur sa bécane. Quand l’occasion se présente, il peut troquer sa moto contre une tout terrain parfaite pour parcourir les rames et les quais du métro à la recherche des voleurs de sa dulcinée.

Chaque chapitre regorge de péripéties pétillantes et surabondantes. Je ne vous raconte pas comment le flic devint livreur en scooter, voltigeur du mur de la mort, résistant, et tel Don Quichotte affronta le mastodonte à gueule de la Schilling Tower. Elle se situe sur une île gardée par les grands manitous de l’informatique qui vivent d’eau fraiche, de fruits en serre et d’amours orgiaques jusqu’à ce que mort s’en suive pour les sujets féminins vendus à leurs chairs sadiques. Zigzag s’adjoint un géant El Conduttore, entouré de ses sbires. Il lui explique le topo.
« La Schiling Tower, motard. On est bientôt arrivés. Dans cet imprenable édifice, la famille Gaets a élu domicile dès le lendemain de la contamination. Elle y avait ses bureaux, avant. Personne ne s’est avisé de les en déloger. Les membres de la caste savent se défendre. Les résidents ont érigé une muraille au pied de l’immeuble. Là encore, il est impossible d’entrer sans un laisser-passer, très difficile à obtenir. Comme je te l’ai déjà expliqué, un bidonville baptisé Endidbag City a poussé à l’emplacement de l’ancien parc qui entourait le bâtiment. Les survivants attirés par la sécurité qu’offrent les Gaets en échange d’un peu de travail, ont d’abord campé dans le jardin. Le provisoire a duré, et Endibag City a grossi comme un champignon vénéneux autour des remparts  ». (page 121)

Nicolas Grumel, pour un premier roman, comble toutes nos attentes. Il s’illustre parfaitement dans cette littérature où le noir se tire une bourre d’anticipation, à brûler le bitume au guidon de la moto de son héros attachant, avec lequel on parvient facilement à s’identifier même si on ne connait rien au monde des motard(e)s. Prouesse de son talent en germe, qui ne peut que souffler le vent fraternel de tous mes encouragements à persévérer et à continuer à toujours et encore nous surprendre. Digne d’un J. G. Ballard en « Sécheresse » surnommé « le visionnaire », Zigzag, le héros de Nicolas Grumel a l’étoffe du cuir des personnages prêts à tout pour atteindre leurs fantasmagories existentielles de survie !

Eaux mortelles de Nicolas Grumel, éditions Kirographaires, 245 pages, 2011, 19,45 euros