Deep End : drame passionnel et fusionnel à la piscine !

Deep End : drame passionnel et fusionnel à la piscine !

Franchement, quel coup de foudre la ressortie du film DEEP END de Jerzy Skolimowski d’une originalité incroyable et qui date pourtant de 1970, sans jamais avoir perdu de son acuité et de son aura. Le film joue dans la cour de l’imprévisible sur une bande son détonante : Cat Stevens et Can ! Drame de l’adolescence. Film international tourné à la fois à Londres et Munich. Un jeunot de quinze ans qui lors de son premier emploi dans un établissement de bain public laisse jaillir son émoi pour une employée rouquine et sulfureuse qui adore se jouer de lui. On suivra le héros se couler à sa perte. Comme quoi aussi la nage entre deux eaux, troubles la vision et ça sent le roussi. Chef-d’œuvre d’inventivité hors norme, Jerzy Skolimowski nous scotche à notre siège et nous tire des salves d’émotions. Du très grand art !

Fraichement débarqué en Europe de l’Ouest après avoir été viré pour subversion en images du régime communiste polonais, c’est avec un regard neuf que Jerzy nous observe. A Londres, il avait comme voisin un certain Jimi Hendrix, excusez du peu ! Sa différence culturelle lui fait porter un regard critique, à s’amuser et porter jusqu’à la satire de notre monde soit disant libre. Son prédécesseur et ami Polanski avait déjà marqué nos esprits avec « Répulsion » et « Cul de sac ». Jerzy est porté par cette verve fantasmagorique.

Jerzy Skolimowski artiste caméléon mélange tous les arts qu’il dépeint dans son cinéma. On n’est jamais loin du plasticien. « L’aspect visuel d’un film me vient naturellement, étant donné que je suis également peintre  ». Il a été aussi boxeur et a tiré des vers sur la comète. «  Il faut savoir que dans ma jeunesse j’étais poète. De ce fait l’utilisation de la symbolique ou de la métaphore pour représenter les choses est naturelle chez moi ».

Mais n’allez pas penser au film intello à la mort moi le sens chez les Cahiers du Cinéma ou Positif. Nada, bien au contraire. Ce film porte les couleurs dans la palette de la grâce pour effacer la légèreté de l’être du héros malgré lui, Mike (le sublime John Moulder-Brown avec sa tronche d’ange) est embauché à quinze balais dans un établissement de bain public d’un quartier populaire de Londres. Sa collègue Susan (Jane Ashler compagne à la ville à l’époque de Paul McCartney et frangine de la Danaé de Klimt), rousse incandescente irradie l’écran à chacune de ses apparitions. Elle le met dans le bain. Il a le palpitant qui se gonfle et tombe raide dingue d’elle malgré leur différence d’âge.

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Jerzy Skolimowski s’est inspiré pour écrire son film d’une anecdote à propos d’un diamant perdu dans la neige. Faire fondre la neige de façon artificielle, comme seul moyen de retrouver le caillou. Nougaro quant à lui swingua la perte de son stylo plume de marque que lui avait offert Nadège. Il épanchait ses paroles lourdes de sens : « N’oublie pas Nadège / Que la neige fond  ». Jerzy a greffé dessus le fait divers d’un jeune garçon qui avait tué dans une piscine une femme. Crime passionnel parfait !

Passe-frontière, Jerzy serti d’une production anglo-allemande a tourné à la fois aux studios de Munich et dans les rues de Londres (Soho et les clubs de strip-tease pour les extérieurs). «  Le film a été tourné par un Polonais dont les notions d’anglais étaient minces à l’époque. Tourné en Allemagne et ancré dans un sujet profondément anglais. C’était complètement surréel ». (Jane Ashler) Quel talent de vouloir faire passer Munich pour une ville anglaise !

La liberté de ton et d’interprétation offert aux acteurs, ils s’en emparent et nous narrent un film très mouvant et surtout très vivant aux répliques cinglantes pour ne pas dire sanglantes. L’improvisation délivrait la réplique à se polliniser les mots et les maux entre le jeune héros et la séductrice allumeuse. Jerzy a laissé beaucoup de liberté à ses comédiens. « Je lançais des idées et me réjouissait de m’en voir proposer d’autres. Grâce à ces choix instantanés, le film est ce qu’il est. Tout a été réalisé légèrement sans la moindre lourdeur ».

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Des flocons inespérés en plein mois d’avril à l’Englischer Garten de Munich, c’est insensé. On suit dans la neige Susan en minijupe, bottes blanches portant un imperméable jaune et Mike qui court, suivis par la caméra à la main pour la plupart des scènes. Quelle fluidité absolue et prouesse technique de Charly Steinberger. Clin d’œil à Fred Vignale cinéaste, il faudra attendre encore 20 ans pour qu’apparaisse la Steadcam qui permettra cet effet 35 mm de la caméra portée. Quelle avance sur son temps ce Jerzy Skolimowski !

Le jeune héros joue à la souris avec la chatte. Elle le domine sur toute la ligne. Elle l’attire pour mieux le rejeter. La scène dans le cinéma porno est caractéristique de l’attitude de la donzelle imprévisible, sur fond de parodie du cinoche de boules sur l’écran. Susan flanqué de son amant demande que soit appelé le directeur pour accuser Mike de l’avoir tripotée, avant de l’embrasser.

Jerzy très excité lors de son adolescence en matant les seins de l’actrice Diana Dors (surnommée « la Maryline anglaise ») aux obus percutants, l’a invitée dans son film malgré son certain âge. Elle coince Mike dans une cabine de bain, prétextant une attaque cardiaque due à l’eau trop chaude pour enfouir le visage paniqué du jeune garçon entre ses lolos disproportionnés et pratiquement le violer. Cette scène est passée sans encombre à la censure, selon le trait de génie, une fois encore de Jerzy originaire de Pologne communiste ne l’oublions pas, puisque les dialogues tournaient autour du foot. Scène délirante presque drôle contenu de l’enjeu physique qui se joue à son corps défendant pour le héros, Diana Dors parvient presque à l’extase de la petite mort quand elle évoque les coups de pieds féroces de l’attaquant vedette de l’équipe de Manchester United, un certain : Georges Best. Ça ne s’invente pas…. Où allait-il chercher tout ça !

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Il ne faudrait surtout pas omettre la bande son qui tient également un rôle prépondérant. Pour se mettre dans l’ambiance dès les premières images où l’on voit le héros pédaler pour se rendre à son nouveau turbin, Cat Stevens égrène les paroles de « But I might die tonight  » (« Je pourrais mourir ce soir  ». Ça baigne ! Et O joie de retrouver mes héros favoris du Krautrock allemand, le groupe Can qui nous jette aux esgourdes presque quinze minutes durant, le son disproportionné d’une de leur composition à la rythmique aboutie qui vibre les images à Soho, le quartier chaud de Londres sur la voix du chanteur japonais Damo Suzuki. Un vrai barge comme je les adore, qui fut recruté lors d’un concert de Can, en montant sur scène pour se produire en toute improvisation avec le groupe, qui sidéré par sa prestation l’engagea illico presto. Fameux exemple s’il en est de l’éclectisme musical de la culture allemande par-delà les manies des mélomanes.

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Je pourrai aussi parler de la scène dans le métro ou celle où Susan durant une pose mange sa glace pendant qu’un peintre en bâtiment badigeonne en pourpre un mur vert à l’arrière-plan, annonçant en demi-teinte la scène sanglante de la fin du film. Il faut le voir et le revoir pour en percevoir toute la richesse et toute l’inventivité.
Pour nous aider à y voir plus clair, comme à son habitude, Carlotta Films nous propose dans ses suppléments un documentaire de 57 minutes où l’équipe du film s’explique à propos du tournage et les interactions entre les acteurs et les techniciens. Franchement quel plaisir de retrouver avec plus de trois décennies les deux héros toujours aussi charmants. Même Etienne Daho qui ne représente pas pourtant mon boc de bière s’y met dans « Deep End c’est tout moi », en lisant son article coup de foudre pour ce film qu’il a écrit dans Libération lors de la ressortie du film en salles. On est gâtés et choyés de toute cette générosité au service d’un film franchement épatant et troublant d’un cinéaste hors norme et si riche de sa personnalité d’artiste, qu’il tisse sa toile pour notre plus grand plaisir. Deep End, on en voit jamais la fin, tellement on est pris et envoutés par ce film et qu’on y plonge la tête la première.

Deep End de Jerzy Skolimowski, 1970, 88 minutes, couleurs, version originale sous-titrés en français, distribué par Carlotta Films, Blu-Ray Disc (24,99 euros) et DVD (19,99 euros), sortie le 28 novembre 2011

Suppléments :
Point de départ : le tournage du film « Deep End » de Jerzy Skolimowski (2011, 75 minutes, un film de Robert Fischer

« Deep End », souvenirs des scènes coupées (12 minutes)

« Deep End », c’est moi (4 minutes)