Beaucoup de bruit pour rien

Beaucoup de bruit pour rien

J’aimerais, dans un univers résolument contemporain, rendre à la pièce [Beaucoup de bruit pour rien] son aspect hirsute, incongru, un peu velléitaire aussi : c’est presque une comédie musicale, à peu de chose près une tragédie, une quasi-farce…

(Clément Poirée)

Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado About Nothing) (v. 1598) est une comédie en 5 actes de Shakespeare. Clément Poirée, qui la met en scène au Théâtre de la Tempête, a choisi un texte étrange, à la fois excessif et ambigu, dans lequel nihilisme et misogynie font bon ménage. De quoi parle Beaucoup de bruit pour rien ? Justement de pas grand chose… C’est l’histoire d’un prince (Don Pedro), qui veut à tout prix unir deux couples : Hero au comte Claudio ; Béatrice, à Benedict. Il y a - bien entendu – un méchant (Don Juan, le frère du prince), qui tente, vainement, de contrecarrer le projet de mariage. Quant au gentil (Leonato), père de Hero et oncle de Béatrice, c’est un homme poli au caractère placide. Quelques apparitions pittoresques (Verjus, Borachio...) sillonnent la trame, offrant comme en apéritif un jeu théâtral rafraîchissant.
Margaret (Manon Combes), Béatrice (Alix Poisson), Hero (Suzanne Aubert)
photo : Antonia Bozzi

Mais l’essentiel de Beaucoup de bruit pour rien se profile ailleurs, dans sa forme même de savante mascarade. Elle dure près de deux heures, tenant en haleine le spectateur. En effet, ces quatre personnages (Claudio, Hero, Benedict, Béatrice) sont tout sauf de dociles tourtereaux. L’aversion de Béatrice pour les hommes fait écho, comme une sempiternelle balle de ping-pong, à l’agacement de Benedict envers les femmes. Excités comme une puce sur la scène, nos quatre protagonistes ruent dans les brancards, à la fois possédés par le démon de la reconnaissance sociale et déprimés par la réalité inexorable du mariage.
Claudio (Laurent Menoret), Benedict (Bruno Blairet), Don Pedro (Matthieu Marie)
photo : Antonia Bozzi

Au cours de cinq actes copieux, Beaucoup de bruit pour rien nous convie à un véritable feu d’artifice verbal. Le langage y est à la fois roi et rien du tout, une sorte de lieu hybride dans lequel toute affirmation renvoie à son contraire, en une constante mise en scène. Poirée formule ainsi le nœud stratégique de la comédie :
« Beaucoup de bruit pour rien est une pièce profondément subversive. Shakespeare retourne le gant. Non seulement les dessous sont révélés […], mais on assiste à un renversement profond : la forme y détermine le fond. »
Benedict (Bruno Blairet) et Béatrice (Alix Poisson)
photo : Antonia Bozzi

La mise en scène de Poirée s’avère persuasive. Elle nous séduit par sa modernité, en harmonie avec le sentiment diffus de facétie et de révolte qui enveloppe le texte du poète dramatique anglais. Tout concourt à nous faire pénétrer dans cet univers énigmatique : d’excellents comédiens, un décor intimiste (rutilant zinc, miroir géant), d’astucieux jeux d’ombre, une musique évanescente, des costumes variés… Par sa dérision constante et sa provocation subtile, Beaucoup de bruit pour rien se profile comme un bien beau spectacle !

durée : 2 h 15

du 11 novembre au 11 décembre 2011

Du mardi au samedi à 20 h ; dimanche à 16 h

Beaucoup de bruit pour rien, de William Shakespeare

Mise en scène : Clément Poirée

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre – 75012 Paris

A signaler  :
Le spectacle sera présenté les 1er et 2 juin 2012 au Shakespeare’s Globe à Londres dans le cadre du Globe to Globe Festival