Daniel Calin, Cyber philosophe

Daniel Calin, Cyber philosophe

Philosophe, enseignant, webmestre, formateur, Daniel Calin multiplie les casquettes avec un immense talent.
Auteur aux éditions L’Harmattan de « L’enfant à l’ordinateur », il collabore également à des revues où il expose son travail, ses réflexions sur les problèmes psychologiques, éducatifs et pédagogiques que connaissent les enfants en échec scolaire.

Le Mague reçoit dans ses bureaux virtuels un homme qui n’est pas du genre à adopter la langue de bois.

Daniel Calin on the web

1) Cinq mots vous définissant assez bien ?

Vraiment, je ne sais pas jouer à ce genre de jeux...

2) Avec un nom comme le vôtre, votre compagne doit être comblée ?

C’est à elle qu’il faudrait poser cette question , mais, vous savez, le nom ne fait pas le moine...

3) Vous avez publié « L’enfant à l’ordinateur » aux Editions L’Harmattan. Pouvez-vous nous en exposez son contenu ?

C’est un livre co-écrit avec Hélène Garrel, une collègue, rééducatrice et formatrice. Ce qu’on appelle « rééducation » à l’école primaire est une sorte de psychothérapie destinée à réconcilier l’enfant avec les apprentissages scolaires. Pris en charge en général individuellement, à raison d’une séance par semaine le plus souvent, l’enfant sait pourquoi il est là, et choisit librement parmi de multiples activités ludiques ce qui lui convient. A travers ces jeux, il mâchouille ses préoccupations, tripatouille ses angoisses ou ses espoirs, accompagné et bordé par l’adulte. Hélène a eu la curiosité d’introduire un ordinateur dans sa salle de rééducation, alors qu’elle-même n’était pas du tout utilisatrice. Elle a eu la surprise de constater que les activités sur ordinateur avaient un effet extraordinairement positif, comparativement aux activités classiques en rééducation. C’est cette expérience que le livre rapporte, à travers une galerie d’enfants à l’ordinateur, et tente d’analyser et de faire comprendre. Livre professionnel, mais probablement salutaire par rapport à toutes les conneries qui se racontent autour des prétendus dangers éducatifs de l’informatique.

4) L’ordinateur peut-il être le remède contre tous les maux des enfants en difficulté ?

Certainement pas, mais, au moins, contrairement à des opinions fort répandues, c’est un remède qui ne peut pas faire de mal. Et, contrairement à la télé, c’est un puissant excitant cérébral, quel que soit l’usage qu’on en fait. C’est probablement ce qu’on lui reproche : où va-t-on, si les enfants se mettent à mieux carburer que leurs parents ou que leurs professeurs ?

5) Votre site web est une véritable encyclopédie, et est une référence dans le domaine de l’enseignement spécialisé. Que représente pour vous l’internet ?

A minima, une porte de sortie par rapport aux petitesses de mon environnement professionnel. Au mieux, une fenêtre grande ouverte sur le monde.
Plus généralement, c’est un nouveau système de circulation des idées qui s’auto-organise et s’auto-hiérarchise. L’auto-publication sur Internet court-circuite tous les filtres habituels de l’expression intellectuelle, éditoriaux, médiatiques, universitaires, donc tous les systèmes féroces de pouvoir, les castes et les mafias qui gouvernent ces univers. Internet ouvre enfin à une démocratie de la pensée. Exit tous les mandarinats, et tous les flics du bien-penser. Ouf !

6) Qu’est-ce qui manque à ce web ?

Je suis très loin d’avoir fait le tour de ce qu’il apporte : pour moi, cette question est donc très prématurée.

7) Que pense le philosophe que vous êtes de la nomination d’un de ses confrères à la tête du ministère de l’Education Nationale ?

Est-il bien philosophe, en tant que ministre ? Tout mauvais esprit mis à part, ça aurait pu être pire. À vrai dire, lui ou Lang, quelle différence ?

8) Socrate ou BHL ?

Résolument Socrate. De toutes façons, je n’ai pas le choix : il me manquerait toujours la crinière de ce ... schtroumpf de schtroumpf (voir ma photo ci-jointe).

9) Vous avez été professeur de philosophie. Comment peut-on arriver à faire aimer ou tout au moins à faire comprendre à quoi sert la philosophie à des gamins de 17 ans en classe de terminale ?

En les faisant, non pas apprendre l’histoire officielle de la philosophie, mais philosopher, c’est-à-dire en les aidant à se penser eux-mêmes, et à penser le monde dans lequel ils sont tombés. Ce qui implique de partir de leurs questionnements, et non d’une programme de questions estampillées « philo » dans je ne sais trop quels couloirs ministériels.

10) Que faisiez-vous le 11 septembre 2001 ?

Quand j’ai appris ce qui s’était passé, j’étais ... à l’ordinateur. Ma compagne et mon fils regardaient la télé, sur le vif. Ils m’ont appelé plusieurs fois, le temps que ce qu’ils me disaient se fasse un chemin dans ma tête... Puis nous avons fait comme tout le monde : nous avons regardé les images à la télé, en comprenant tant bien que mal de quoi il s’agissait... Je me suis assez vite dit que cela n’allait pas arranger l’intelligence politique des Américains...

11) Quel peut-être le rôle d’un philosophe à notre époque ?

Je ne vois pas en quoi notre époque diffère des autres à cet égard, sinon qu’une de ses tares, assez nouvelle probablement, est de se croire originale. Toujours pareil, donc : donner à penser, inciter à penser, titiller tous les dogmes...

12) Que pensez-vous des mégalo et des narcissiques ?

Problème de société fondamental, que cette flambée nauséeuse des Moi souffrants. Pertes de repères en tous genres, déracinements généralisés, incapacités à substituer aux traditions moribondes des auto-régulations pertinentes. Un seul remède : admettre une bonne fois pour toutes que la seule chose vraiement importante, c’est ce qui nous survit. C’est-à-dire, essentiellement, sauf pour quelques authentiques créateurs, nos propres enfants. Tout le reste, en particulier toutes nos petites histoires minables de cœur ou de cul, tout cela n’a strictement aucune importance.

13) Vous êtes également formateur d’enseignants travaillant auprès d’enfants déficients ou en difficulté. Pourquoi un tel choix ?

Officiellement, c’est plutôt les hasards des carrières et des mutations. En réalité, bien sûr, c’est une autre affaire. Aucun hasard, en tous cas, dans le fait que j’aie trouvé là une forme de bonheur professionnel... A 18 ans, je voulais être psychiatre... Mais je ne veux pas rendre publiques les raisons évidemment intimes d’une telle « orientation ».

14) Que souhaiteriez-vous changer dans le monde de l’éducation ?

L’idée de faire apprendre les mêmes choses au même rythme à tous les enfants de 3 ans à 18 ans me semble une aberration absolue. Plus je vieillis, moins je comprends comment on a pu en arriver à une telle monstruosité institutionnelle. Comme c’est là le cœur de notre système scolaire, je vois mal ce qu’il y a à conserver. Sauf son caractère public, gratuit et laïc, tout du moins ce qu’il en reste...

15) Un coup de gueule au sujet de l’enseignement spécialisé en France ?

Depuis 20 ans, les responsables politiques, en particulier de gauche, démolissent progressivement ce système, officiellement au nom de la non-discrimination et de l’intégration, en réalité pour faire des économies. Ne pas « discriminer », en fait, c’est abandonner les plus démunis à leur dénuement. Les hypocrites bien-pensants sont une espèce effroyable.

16) Quels sont vos projets immédiats ?

Continuer à vivre ma vie, qui me convient assez telle qu’elle est. Et écrire (c’est d’ailleurs ce que je suis en train de faire depuis des heures).

17) Si vous aviez pu exercer une activité artistique, laquelle auriez-vous choisi ?

Pas le choix : écrire. C’est la seule chose que je sais faire. Depuis toujours me semble-t-il.

18) Que signifie pour vous le mot « rencontre » ?

Drôle de question. Ça peut être une catastrophe comme une bénédiction. Le plus souvent, c’est tout simplement la vie qui va. Je ne suis pas un fanatique des rencontres. J’ai beaucoup de bonheur à contempler la beauté du monde. Tout du moins certaines beautés du monde, qui s’accordent à mon cœur : la mer et les fleuves, les villes italiennes, les rues de Paris...

19) Quelle est la question que vous n’auriez pas aimé que je vous pose ?

C’est fait : la première.

20) Par quoi souhaiteriez-vous conclure cette e-terview ?

Tiens, ça aussi, c’est une question impossible !