Interview de Pierre Attrait ou la richesse créatrice ancrée dans le Médoc !

Interview de Pierre Attrait ou la richesse créatrice ancrée dans le Médoc !

Pierre Attrait se révèle au naturel et à nu depuis Euronat* et aborde les points qui lui sont chers autour du processus de création de son livre-film et sa collaboration avec son éditrice Delphine Montalant et ses deux amies photographes. Il évoque la Pointe du Médoc qui le galvanise dans la création et la thématique de la boucherie de la guerre de 14 / 18 et les fusillés pour l’exemple qui l’obsèdent encore en la personne de son grand-père. A suivre un auteur dessinateur qui a plus d’une corde à son art créatif et qui risque encore de bien nous surprendre !

La Singette : Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Pierre : Je suis né le 21 avril 1951 à Port de France. J’ai une formation littéraire et parallèlement théâtrale à Nice et à Grenoble en tant que comédien, assistant puis metteur en scène. J’ai également fait des mises en scène d’opéra et je me suis dirigé progressivement vers la décoration pour devenir décorateur et scénographe. Simultanément à cela je fais de la dramaturgie. J’écris des lignes théâtrales pour des spectacles essentiellement de danse avec Blankali. Je travaille aussi dans la mode en tant que scénographe et metteur en scène d’événements. Et en plus de tout cela, j’écris et je dessine à la fois pour mon travail et pour moi-même.

La Singette : Toi qui est un grand bourlingueur, qu’est-ce qui t’a tiré ce coup de cœur pour le Médoc où tu t’es installé en partie ?

Pierre : La Pointe du Médoc précisément, pour moi qui suis né aux Antilles et qui a beaucoup voyagé pour mon travail, ici j’ai retrouvé un sentiment de nature et de liberté totale et à la fois une immense douceur et la présence des éléments très forte. C’est-à-dire, on peut passer de l’orage à la pluie et au soleil. Et puis il y a l’impression d’être dans une île qui est renforcée par le fait de vivre à Euronat, puisque en ce lieu il y a des murs. On est nous-mêmes dans une île au cœur d’une île et c’est ça qui me plait. Et en plus chez moi j’ai recréé une île. De plus les paysages d’ici me touchent énormément parce je ressens les couleurs, la variation des formes, et en même temps une sorte de mélancolie douce permanente dans les paysages. On retrouve tous ces éléments dans les marais, au bord de la Gironde. J’aime particulièrement ici, marcher au bord de l’eau de l’océan bien sûr mais aussi au bord de la Gironde sur les polders … Dans mon métier je suis obligé d’être quelqu’un d’exubérant et de très communicant et j’ai besoin d’une grande solitude et de repli sur moi-même et ici je l’ai.

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La Singette : Comment et en quelle occasion as-tu rencontré Delphine Montalant ta présente éditrice ?

Pierre : Je l’ai rencontrée sur le marché de Montalivet, parce que moi et Eloïse mon épouse, nous sommes de grands lecteurs. Tout simplement en lui achetant tellement de livres que ça l’a fait rire. On s’est un peu reniflés et approchés et cela fait trois ans que l’on se connait maintenant. Je lui ai fait lire une première fois mon texte, non pas dans une idée d’édition qui ne m’étais jamais venu à l’idée. Quand elle est venue vers moi avec l’envie d’en faire un livre, pour moi ça été stupéfiant. Je n’ai pas dit oui ni dit non et j’ai mis plus d’un an à accepter véritablement. Après on a relu le texte ensemble et j’ai condensé des séquences et épuré au maximum. C’est elle qui a voulu que je mette des dessins sans savoir curieusement ce que je dessinais. Et là je me suis replongé dedans et durant trois mois, j’ai dessiné. L’idée était dans ces dessins, que jamais, jamais on ne voit les personnages à l’intérieur. Ce que je voulais, c’était que les gens puissent projeter une image qui ne soit pas imposée. Je voulais créer des atmosphères autour des personnages et c’est aussi pourquoi le texte est écrit au présent. Tout se passe au moment précis. Ce qui s’est passé avant ce qui s’est passé après, on ne sait pas. Delphine m’a aussi demandé de mettre des documents d’époque. J’ai fait des recherches essentiellement aux Puces de Paris.

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La Singette : Mais en plus de ces documents, tu as composé ton livre avec deux photographes. De quelle manière avez-vous travaillé de concert ?

Pierre : Ce sont des amies de très longue date dont j’apprécie le travail et parce qu’elles portent deux regards différents. Anaïk Frantz a un regard presque anthropologique sur les gens. Elle a beaucoup travaillé avec François Maspéro. Je voulais qu’il y ait ce regard sur des visages jamais ceux principaux mais périphériques comme les figurants de l’histoire. J’avais aussi besoin d’un regard poétique dans le bon sens du terme qui propose d’une certaine manière une allégorie autour de l’histoire et principalement du personnage de Maria avec des éléments comme l’eau, un drap… C’est ce que j’ai demandé à Michou Strauch. Elle ne prend plus véritablement de photos. Elle repart de ses photos anciennes sur lesquelles elle intervient par des collages ou des colorations sans tomber dans l’illustration et la démonstration.

La Singette : Tu donnes à la fin de ton ouvrage une bibliographie très fournie autour de deux thèmes principaux : la guerre de 14 /18 avec les fusillés pour l’exemple et le Médoc. Pourquoi ces deux thèmes précisément ?

Pierre : La guerre de 14 parce que l’accident central se passe exactement à cette période. Depuis mon enfance je suis troublé par la guerre de 14 parce que mon grand-père qui est l’un des dédicataires du livre, Joseph, y est décédé. Je sais seulement depuis que j’ai finalisé ce livre où il était mort et à peu près comment il était mort. Toute mon existence j’ai imaginé que mon grand-père avait été fusillé pour l’exemple. C’était très mystérieux. Le nom de mon grand-père a été gravé très tardivement sur le monument au mort de son village. Ce qui est d’autant plus étrange c’est qu’il est mort dans un village de l’est de la France qui s’appelle Septrange. Pourquoi le Médoc, par ce que l’histoire réelle qui est celle de mon épouse se situe dans le Drome. J’ai écrit autour de cela, j’ai fait des enquêtes, des interviews, mais ça devenait pagnolesque. Je trouvais que ça devenait un handicap, je pensais qu’il y a avait trop de pittoresque. J’ai trouvé ici dans le Médoc l’idée de rendre cette histoire à mon sens universelle. De l’avoir enlevée de son lieu, m’a fait venir des personnages, tels que la baronne et d’autres.

La Singette : Quels sont les premiers retours autour de la parution de ton livre-film lors de tes nombreuses rencontres avec tes lectrices et lecteurs ? Peux-tu nous en donner un exemple ?

Pierre : Je pense à une particulièrement forte. Un vieil homme d’apparence chinoise avec une longue barbe marchant avec deux cannes, s’arrête devant le livre, l’ouvre et lit la phrase : « Peu d’hommes sont retournés de guerre  ». Il referme le livre en larmes et refuse de parler. Puis finalement, il m’a raconté qu’il avait été marin dans la marine française, prisonnier dans le Pacific pendant la guerre de 39 / 45 avec tous ses compagnons, torturé par les japonais dans une île qu’il disait paradisiaque au départ et qui est devenue un enfer. Tout le monde meurt sauf lui. Cet homme qui a plus de 80 ans ne s’en est jamais remis. Et là, me retrouver face lui, un Henri (le héros du livre) qui n’aurait pas pu dépasser son destin, ça m’a bouleversé et j’ai mis plusieurs jours à m’en remettre.

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La Singette : Quels sont tes prochains projets d’écriture ?

Pierre : Il y en a un sur lequel je travaille de manière intermittente par ce que je ressens que c’est un livre qui va s’écrire un peu de manière compulsive. Il va être un mélange de poésie, de littérature et de dessins. J’ai un autre projet lié plus aux Antilles. J’ai aussi un projet d’écriture de pièce de théâtre en train avec Hervé Le Tellier. Mais mon projet serait de vivre ici à Euronat pour pouvoir plus écrire.

La Singette : Puisque tu évoques encore une fois Euronat, un très grand centre naturiste dans le Médoc, pourquoi ce choix et ce mode de vie et que représente pour toi le naturisme ?

Pierre : Dans ma famille on n’était pas naturiste mais moi dès l’âge de 14 ans je vivais à Nice et j’allais me baigner et je me mettais nu parce que le maillot de bain me gênait. Puis j’appartiens à la génération de 68, tout s’explique ! Avec des copains on allait camper, on était nus. On se baignait dans les torrents. Après je suis venu vivre à Paris et là il n’y a pas de nature. Jamais je n’avais envisagé d’aller dans un centre naturiste. Et un été en 1980, il faisait une chaleur torride et je vois dans Télérama : Château avec piscine naturiste en région parisienne. C’était le château de Barneau. Nous y sommes allés une première fois et l’année suivante on a acheté une vieille caravane pourrie et on l’a aménagée. Ça a duré 20 ans ! Après, on a eu un appartement dans le château et j’ai même failli y habiter. Ce club était le plus ancien de France. Puis, deux personnages immondes ont fait des procès et ont abouti à ce que le club ferme. Ça a provoqué des morts et des désespoirs et des choses très violentes. J’avais demandé à des amis de Barneau où je pourrai aller en vacances dans un lieu naturiste, ils m’ont parlé d’Euronat. On est venus là, ça fait à peu près 20 ans. On a passé plusieurs étés, 2, 3 jusqu’à 4 et 5 semaines avec la découverte de la merveilleuse thalasso naturiste du site et nous avons éprouvé le désir d’avoir une habitation ici. J’ai eu une opportunité étonnante de pouvoir acheter cet espace. Ça correspondait à tous nos espoirs. Depuis 2000 je suis devenu propriétaire. Mon épouse y passe 5 à 6 mois par an et moi environ 3. C’est un lieu qui me correspond complètement parce que c’est un lieu libre. A la fois structuré, protégé juridiquement. C’était important pour moi. Après les histoires de Barneau, je ne voulais surtout pas me lancer dans quelque chose de chaotique. La plage, la thalasso, la possibilité d’être isolé ou de rencontrer des gens si l’on veut, le respect des uns des autres. Bien sûr il y a des cons comme partout, des réacs et tout ça, mais je ne les vois pas. Ce qui est pratique, c’est qu’il y a beaucoup d’allemands et quand ils parlent je ne comprends pas ce qu’ils disent. Peut-être qu’ils disent des conneries mais je ne les comprends pas. Tout va bien. Puis c’est beau, c’est calme, ça sent bon. J’ai rencontré des gens, peu mais bien. Je me suis fait des amis. J’ai découvert ne éditrice. C’est beaucoup de choses ! J’ai ancré mon histoire ici. C’est devenu mon lieu de vie.

La Singette : Si tu as quelque chose à rajouter, surtout n’hésite pas !
Pierre : Non je ne sais pas, tu veux que je te parle de mon chien (rires) ?

*Euronat est le plus grand centre naturiste de la côte Atlantique.

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Le Retour d’Henri (Médoc 1919-1920), livre-film de Pierre Attrait, photographies de Anaïk Frantz et Michou Strauch, éditions Delphine Montalant, format 23 x 23, 107 pages, juin 2011, 20 euros

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