The Blue Room”, de David Hare – Du théâtre anglophone à Paris !

The Blue Room”, de David Hare – Du théâtre anglophone à Paris !

Le dimanche 10 juillet 2011, à 19h, était donnée, au petit théâtre du bonheur, 6 rue Drevet, à côté de la place des Abbesses, une pièce an anglais de David Hare, « The Blue Room », mise en scène par Colin Reese, et interprétée par Elena Odessa Ray et Ivan Magrin-Chagnolleau.

C’était une co-production de Words Up, une coopérative de compagnies théâtrales produisant du théâtre anglophone à Paris, et de la Compagnie Orange Bleu, fondée par Frédéric Albou, artiste lyrique, et Ivan Magrin-Chagnolleau, comédien, chanteur et metteur en scène.
La pièce a été créée à Londres, à la Donmar Warehouse, en 1998, avec Nicole Kidman et Iain Glen, dans une mise en scène de Sam Mendes, reprise très vite à New York, au Cort Theatre (Broadway), où nous l’avons découverte. Il s’agit d’une adaptation de « La ronde » d’Arthur Schnitzler, dont Max Ophüls a fait une très célèbre interprétation cinématographique dans les années 50. David Hare a donc revisité la pièce originale d’Arthur Schnitzler, en en gardant quasiment la structure, mais en réactualisant les personnages et les thèmes.

Le principe de la pièce est le suivant : dans la première scène, nous assistons à la rencontre d’une jeune fille et d’un chauffeur de taxi, rencontre qui aboutit à un acte sexuel, dont on ne nous donne que la durée. On retrouve ensuite les mêmes personnages après l’acte sexuel. Dans la deuxième scène, il y a toujours le chauffeur de taxi, mais il est cette fois-ci avec une jeune fille au pair et dans un autre lieu. Dans la scène suivante, nous retrouvons la jeune fille au pair, mais elle est avec un étudiant. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième et dernière scène, où nous voyons un aristocrate avec la jeune fille de la première scène. Et la boucle est bouclée.

Il y a donc dans cette pièce un défi important pour les acteurs : faire exister chacun cinq personnages différents, et avec seulement une petite minute pour passer de l’un à l’autre.
Il y avait un autre défi pour cette production : c’était la taille minuscule de la scène, qui devait faire environ trois mètres de large et un mètre cinquante de profondeur.

Il faut souligner tout d’abord la grande efficacité de la mise en scène de Colin Reese. L’espace était très bien utilisé. Plusieurs conventions étaient établies dès le début, et permettaient une grande fluidité tout au long de la pièce. Un rideau s’ouvrait et se refermait au début et à la fin de chaque scène, pour les changements de personnages. Une même musique, rapide et dynamique, était jouée pendant ces changements, tandis que le titre de la scène suivante était écrit au marqueur sur un tableau blanc. Pendant les actes sexuels ponctuant chaque scène, un noir était fait sur le plateau, les comédiens étant dans une position figée, tandis qu’était diffusée une musique, différente à chaque fois, et que la durée de l’acte sexuel était écrite sur ce même tableau blanc. Le choix des musiques était fait avec humour et pertinence. Le choix des costumes et des accessoires étaient également très efficaces. Ils étaient faits avec un minimalisme qui était suffisant pour suggérer des classes sociales, des lieux, et des activités, sans asséner pour autant un réalisme qui n’aurait pas fonctionné dans un espace aussi petit.

La performance des acteurs était également remarquable. Elena Odessa Ray, d’origine américaine, vivant à Paris depuis une quinzaine d’année, passait d’un personnage à l’autre, et d’un accent à l’autre, avec une grande facilité. Elle trouvait pour chaque personnage une physicalité et une énergie très différentes. La voix ne changeait pas beaucoup, mais les accents étaient suffisamment caractérisés pour faire croire à des personnages différents. La seule chose qui manquait peut-être à son interprétation était une plus grande connexion émotionnelle. Son jeu paraissait parfois un peu distancé, ce qui rendait difficile l’empathie pour certains de ses personnages. Mais lorsque cette connexion émotionnelle se produisait, nous avons vécu des moments magiques.
Ivan Magrin-Chagnolleau, français d’origine, devait faire face à la difficulté supplémentaire d’avoir un accent français pour chacun de ses personnages. Pourtant, grâce à un travail très poussé sur la physicalité et l’attitude de ses personnages, il réussissait à les rendre tous très crédibles. Il y avait aussi une grande justesse dans son jeu et une bonne connexion émotionnelle. Seul son auteur dramatique était-il peut-être un petit peu moins consistent que les autres, et l’on pouvait regretter qu’il ne se soit pas un peu plus lâché dans l’interprétation de ce personnage très extraverti.

La petite salle du théâtre était pleine à craquer. Le public a beaucoup ri et a applaudi très généreusement à l’issue du spectacle, malgré une chaleur assez étouffante, et une durée d’un peu plus d’une heure trente pour la pièce. Le pari de monter des pièces en anglais à Paris semble tout à fait réussi. Nous souhaitons à cette coopérative de théâtre anglophone de se développer, de grandir, et de trouver un espace d’accueil plus grand, pour remonter ce projet, ou nous en proposer d’autres. Quoiqu’il en soit, avec les productions anglo-américaines du théâtre du Châtelet, l’ouverture au meilleur de la culture anglo-saxone est décidément en bonne voie !