Fastes de la cathédrale de Reims au temps de Louis XIV avec Hervé Niquet et le Concert Spirituel. Messe des morts de Pierre Bouteiller

Fastes de la cathédrale de Reims au temps de Louis XIV avec Hervé Niquet et le Concert Spirituel. Messe des morts de Pierre Bouteiller

Dimanche 19 juin dernier, le Festival des Flâneries Musicales de Reims célébrait avec faste les 800 ans de la cathédrale des sacres, en accueillant le programme désormais bien connu du Concert Spirituel, consacré à la « Messe des morts » de Pierre Bouteiller, dont nous avons eu l’occasion de chroniquer l’enregistrement l’hiver dernier. Ce programme a semble-t-il été proposé dans différents endroits de l’hexagone (notamment à Beauvais, à Saintes, à Arles, à Montpellier, à Besançon, à la Cité de l’Architecture de Paris), mais aussi à l’étranger (à Gand, en Belgique, à Chypre, ou à Kilkenny, en Irlande), et rencontre un succès toujours chaleureux auprès du public. C’est avec un plaisir particulier que nous l’avons réentendu, l’atmosphère du direct ajoutant toujours un surcroît de tension et d’émotion à l’exécution musicale.

Mais, pour autant, le pari n’était pas gagné d’avance, car il fallait composer avec une des acoustiques les plus difficiles pour un concert de ce genre. Haute de 38 mètres, longue de 138 mètres, et large d’un peu moins de 15 mètre, l’imposante cathédrale constitue un vaisseau dont la réverbération, dépassant les 7 secondes, défie proprement toute musique développant un langage contrapuntique, pour privilégier les phrases musicales longues du plain chant, et les formes harmoniques du faux-bourdon et de l’organum (la cathédrale a d’ailleurs accueilli quelques jours plus tôt un concert consacré à la « Messe Nostre Dame » de Guillaume de Machaut).

Si le festival propose une assistance technique, pour aider les musiciens, par le moyen d’une légère sonorisation destinée à porter le son aux derniers rangs de l’assistance, la tâche demeure redoutable, pour faire entendre distinctement les différentes lignes du tissu polyphonique, le texte, et les nuances.
C’est pourquoi nous tenons à souligner le miracle réalisé par Hervé Niquet, qui a su paramétrer le travail de ses musiciens de façon à dépasser l’obstacle, nous seulement avec efficacité, mais encore de manière à délivrer une exécution magnifique, chargée d’émotion, et qui a recueilli une vive acclamation du public.
Les clés de cette réussite sont à vrai dire au cœur même du travail du chef français, qui cultive un son brillant, clair, une émission vocale précise et fine (reposant sur des voyelles brillantes et claires), et une lecture rhétorique entièrement concentrée sur la direction des phrases et la mise en valeur des dissonances du tissu polyphonique, de sorte que conduites horizontales et rencontres verticales sont immédiatement perceptibles par l’auditoire, tout en permettant au travail sur le sens de passer librement.

Dès les mesures d’introduction, confiées aux instruments (viole de gambe, violoncelles, contrebasse et orgue), ces axes de lecture se sont imposés dans l’immense vaisseau de pierre et de verre. Les chanteurs, enjoints à une absolue rigueur d’émission et de phrasé, ainsi qu’à une progression dynamique, concentrant les effets pour arriver au « forte » aussi tard que possible, ont suivi dans la même direction.

Après le « De profondis » de Charpentier, un autre privilège des concerts (puisqu’il ne figure pas dans le CD enregistré chez Glossa), les chanteurs ont ouvert la Messe de Pierre Bouteiller avec une densité qu’ils garderont pendant tout le concert, à l’invitation de leur chef, pour distiller des nuances, plus rarement qu’à l’accoutumée, à des moments particulièrement éloquents. Le calcul est payant, dans ce contexte, afin de garder une charpente à l’ensemble, et de mieux faire ressortir ce qui n’est donné que rarement.

Le « Stabat Mater » de Sébastien de Brossard a déployé, pour terminer, la progression de ses « affects » baroque, jusqu’à l’inéluctable explosion qui ponctue la fugue finale, et a immédiatement déclenché les applaudissements du public.

Mission accomplie, donc, pour la magnifique formation d’Hervé Niquet, qui administre, une fois de plus, la preuve qu’elle est à la pointe de l’exigence stylistique, de la classe artistique, et de l’efficacité professionnelle. Les Flâneries Musicales de Reims s’ouvrent sur une très belle note d’exigence et de brillance.