Feuilleton « On n’en parle jamais ! » : 16. Lucio et Le méchant nuage islandais… la caravane passe !

 Feuilleton « On n'en parle jamais ! » : 16. Lucio et Le méchant nuage islandais… la caravane passe !

Résumé du précédent épisode : en panne sèche de carburant et d’oseille, Joël envoie Frédéric prélever à Douai un impôt révolutionnaire à une organisation internationale de blanchiment d’argent. On the road again, tout le monde descend à la dune de Pyla dans le sud-ouest.

Joël tout rafistolé de la face aux baccantes et cheveux blonds cendrés, après le passage obligé sous la coupe du coiffeur d’un de ses amis qu’il avait du côté de Biarritz, ne se sentait plus pousser des ailes. Comment rallier Reykjavik en passant inaperçu. La voie maritime, pas question, le temps pressait. Il n’avait plus d’autres choix que de prendre son envol depuis un aéroport où il devrait jouer les passe-murailles à la vue de la marée chaussée. Quitter la France par les Pyrénées sans se risquer à la vie brève d’un Walter Benjamin à bout de force. Vaste dilemme ! Le coupe tif appartenait à un réseau libertaire d’anciens passeurs de compagnes et compagnons libertaires en fuite du régime de Franco. Certes, même s’il n’avait plus les gambettes qui dansaient le jerk sur les contreforts. En revanche, son fils Ortzadar était tout désigné pour le remplacer.
Lors d’un repas fraternel et bien arrosé comme les Basque ont le secret, Joël se régala d’un merlu aux oignons dorés et poivrons doux. Il fit la connaissance de Satur Urtubia qui était toujours enthousiaste à l’égard de son frangin Lucio, célèbre anarchiste, faussaire, braqueur…mais tout d’abord maçon.
- Il n’était pas bagarreur mais il pouvait être énervant. Il était aussi un peu fou et excellent monnayeur. Avec l’impression de vingt millions de dollars de faux travellers chèques, tu n’imagines pas. C’est lui qui a mis à genoux la First National City Bank, la plus grosse banque mondiale, avant de se prendre un retour de bâton derrière les barreaux où il obligea les grands banquiers à négocier ! C’était un homme qui mettait toujours en avant sa morale anarchiste, dès lors qu’Il n’y a pas de profit personnel et que tout revenait aux comparses fraternels. Voler les riches n’est pas du vol mais un devoir et un sport de combat.

Oui, en effet maintenant lui revenait en images le documentaire basque intitulé justement « Lucio ». Avec les nouveaux moyens technologiques à notre portée, Joël se demanda comment un tel homme les aurait utilisées pour mettre à terre toutes les banques fer de lance de l’édifice capitaliste. Il se sentit tout petit à côté du portrait de cet homme entier pour le moins singulier qui avait milité toute son existence dans un esprit de partage. Après quelques verres de sangria, Il jugea mi-figue mi-raisin, que l’équipe de branquignoles formée de Frédéric, Nils et les deux jeunes femmes, n’avait pas inventé la chignole. L’air des hauteurs à vouloir toucher le ciel emplissaient ses pensées à s’élever. Ses pieds peu habitués aux marches lui rappelèrent le chant des ampoules. Côté basque espagnol, une autre équipe le prit en charge jusqu’à Barcelone où il ragea pour une fois contre dame nature. Les Trolls s’étaient donnés rencard pour qu’il ne parvienne jamais en Islande à temps. Sous le nom de Grimsvoetn, un volcan crépitait ses fumées et entachait le trafic aérien. Il fulminait sa rage. Ce style de nouvelles en principe le mettait en joie d’économiser des millions de litres de kérosènes à ne pas cracher les poumons de notre atmosphère terrestre. Mais quand les retombées le concernaient lui directement, il redevenait le pékin moyen débile à trop regarder son nombril. Encore un rencard raté avec Julian Assange ! Il était coincé à Barcelone pour une durée indéterminée….

En raccourci et en langage codé par le bigot phone, Joël apprit de la bouche de sa sœur que le manque à l’appel de Frédéric à son bahut avait éveillé quelques soupçons. Elle inventa quelques bobards et raisons de santé d’un concombre espagnol mal passé qui avait dû nécessiter l’hospitalisation de son rejeton en vacances chez ses grands-parents. Tous les profs s’étaient mis en cinq pour faire parvenir les cours à leur élève prodige. En attendant celui qui ne se foulait jamais le derche pour cogiter ses équations et qui se passionnait pour la philosophie de Nietzche apprenait à buller et butiner les surfeuses, du moins une en particulier. Une certaine Hegoa à la chevelure tournesol qui lui tourneboulait tous les sens, qu’il en perdait la boussole. Une peau tannée, un joli nez bien droit dessiné au milieu du visage soulignait des quinquets très noirs et perçants qui riaient tout le temps. Elle portait son prénom à contenter la merveille du monde. Quand elle lui confia la signification, il lui jura qu’elle le portait à la perfection. Les montagnes qui se jettent dans l’océan Atlantique, c’est forcément le sud et le sud c’était Hegoa à la perfection. Athlétique et de sept ans son ainée, elle se fichait pas mal de détourner un ado de sa puberté pour l’initier aux arts des corps à corps avec tous les plaisirs de la vie. Le bigleux boutonneux un peu rachitique, tout le contraire de ses amis surfeurs, avait un œil pétillant et de l’esprit avec des mots à lui et des autres qu’il conjuguait au présent d’une poésie réaliste qui la touchait. Il n’avait pas l’insolence de ces parigos outranciers et si méprisants pour les autochtones et qui se croyaient toujours en terrain conquis. Au début, elle s’amusa avec ses allures de môme un peu paumé, puis elle perça sa finesse et son humour charmeur. Résultat des vagues sur le calendrier, Frédéric aspirait à la couche dans la caravane de sa bonne copine et avait oublié tous les rudiments du lycée caserne. Il n’ouvrait plus sa boite courriel mais seulement son corps à elle.
Nils le thésard en physique quantique cachait bien son jeu. Lui qui n’était jamais monté sur une planche apprenait avec une observation minutieuse des ondulations marines dans un vrombissement assourdissant et la force des courants selon les marées, à calculer les courbes et choisir la bonne vague, la vague ! Il progressait et affinait sa technique. Il avait tout de suite été accepté parmi la communauté des surfeurs. Un certain succès d’estime était partagé envers lui au grand dam de Léa qui ne le voyait pas de ce regard. D’autant que Dagmar escaladait au moins deux fois par jour la dune de Pyla les pieds nus. C’était bon pour son entrainement, et dès fois qu’il faille manger du sable des déserts, elle disait. Léa commençait à s’ennuyer ferme. Joël lui manquait. C’était le seul adulte de la bande qui avait vraiment les épaules larges et la tête au clair. Une envie de bouger de ne pas s’encrasser la turlupinait. Insouciants et pas vraiment conscients de la situation, Nils, Dagmar et Frédéric décompressaient pendant que Léa bouillait de l’intérieur.
Une manif était prévue cette prochaine fin de semaine à la centrale du Blayais dans le département de la Gironde. Ses petons la démangeaient de se manifester avec les personnes un peu conscientes et militantes, tout du moins un minimum informées des dangers de l’atome et qui savaient parfaitement que Fukushima était un clone de toutes les centrales nucléaires en activité sur la planète. Bon vent ! Seulement c’était très risqué. Les flics en visionnant les bouilles des manifestant(e)s pouvaient la repérer. Mais qu’à cela ne tienne, une activiste derrière son écran était une activiste à moitié crevée. Contrairement à Dagmar. Elle ne croyait toujours pas à la pertinence des appels à la révolution par ondes interposées. Rien ne valait le contact charnel des corps qui meuvent leur pas dans la même direction d’une même voix forte. Alors, j’y vais ou j’y vais pas ?

(Texte Fred Romano et Franck dit Bart / illustration Fred Romano)
A suivre….. mercredi 22 juin !!!!!