Feuilleton « On n’en parle jamais ! » : 15. Panne au Pyla.

Feuilleton « On n'en parle jamais ! » : 15. Panne au Pyla.

Résumé du précédent épisode : de l’air enfin ! Les champs de betteraves inspirent Léa à confier son malaise de vivre en marge poursuivie pour survivre. Les autres essaient de lui soutenir le moral tandis qu’à Paname, Lebourrin accuse le coup de son incapacité à arrêter le trio infernal des activistes qui ont recruté Joël et son neveu Fred.

L’incroyable prototype glissa doucement sur la pente jusqu’à aller se loger sur le parking d’une station-essence, comme par miracle. Joël toisa son neveu avec sévérité.
- Mon cher Frédéric, comme tu ressembles à ta maman…
- Mais c’est une voiture solaire ! Sauf que j’ai du rajouter un petit moteur à explosion, au cas où le ciel serait couvert…
Comme pour souligner les propos bafouillants du génial inventeur, un orage vint crever au-dessus de la station-service, démontrant le peu d’étanchéité d’une carcasse de DS7 plaquée sur un prototype.
- Tu parles d’un abri anti-nucléaire ! D’ailleurs je pense aller me réfugier dans ce bar, qui semble plein à craquer de camionneurs, afin de me ressourcer…, lança Dagmar tout en serrant la main de Léa comme pour l’entraîner sur son coup de tête.

- Fais-nous de la place, poulette, on arrive… quand l’orage aura passé… Et au fait, tu veux que je te garde tes bottes ? tempéra Léa tout en se dégageant, délicatement mais fermement de l’étreinte.
- T’es vraiment prête à n’importe quelle saloperie pour me faire passer pour une conne, pas vrai ? cracha, vexée que son amante ne la suive pas aveuglément.
- Au fait, vous avez des sous pour la pause-café ? Parce que partir sans payer, étant sous le coup d’un avis de recherche et capture, ça ne la fait pas, que ce soit pour les cafés comme pour l’essence… ironisa froidement Nils.

Tous tentèrent alors de repêcher jusqu’aux centimes d’euros hantant le fond de leurs poches, avec un bien maigre résultat. Dagmar grogna.
- Himmel. Mais toi, le Grand Inquisiteur de mes deux, t’as des thunes pour poser une question pareille ?
- Ouais… du pognon extracommunautaire… des couronnes norvégiennes…, avoua Nils
Le silence pesa sur les têtes et boosta les neurones affolés : comment subsister sans argent alors que l’on est en cavale dans une bonne vieille société capitaliste ? Joël était coutumier du fait, éternellement dépourvu de fonds, il avait fait plusieurs fois le tour du monde de cette façon. Sa joyeuse et élégante attitude militante lui ouvrait toutes les portes, débloquait toutes les aides nécessaires. Mais ici, dans la Brie profonde, cela fonctionnera-t-il ? Frédéric, quant à lui, retournait en vain la doublure de son blouson. Un orage éclata, soulignant le peu d’étanchéité d’une carcasse de DS7 posée à la hâte sur un prototype de voiture solaire. L’adolescent soupira en s’abstrayant dans la contemplation de l’obscur restaurant de la station-service.
- Ils n’ont même pas le logo « carte de crédit » sur leur porte…. Au troisième millénaire, ça craint et je crois…. Observa-t-il, dépité.
- SHHH !!! Ça y est, je tiens le bon bout ! interrompit Joël, les synapses en accéléré. Frédéric, mon petit, en dépit de notre panne de moteur, la connexion wifi serait-elle en état de transmettre ?
- Affirmatif mon capitaine, rugit Dagmar qui avait déjà ouvert et connecté son mini ordinateur portable.
- Bien, ma petite Dagmar. J’ai horreur qu’on m’appelle mon capitaine. C’est pas pour rien que j’ai déserté quand j’avais ton âge. Peux-tu te rendre sur http://dsk.1357.hjfyk.8429.kr comme nom d’usager tu mets « Ltd. International » comme mot de passe « admin ».
- Sans blague ? Ça marche encore ? Mis à part ça, je ne te reconnais pas le droit de m’appeler « ma petite Dagmar »… Putaaaain. Mais qu’est-ce que c’est que ce bin’s ?
- Disons le coffre-fort d’une multinationale spécialisée dans le blanchiment industriel, avec des agences dans tout paradis fiscal qui se respecte. J’ai eu les codes par leur comptable, qui, se mourant des conséquences du Sida, désirait se racheter son Karma… Donc, tous ces comptes et la fortune qu’ils représentent…
- Est de l’argent qui ne sera jamais réclamé ni dénoncé par les véritables propriétaires ! termina Dagmar.
- Bravo ! salua Joël, mais nous devons aussi nous protéger car ces gens-là peuvent être très très dangereux. Donc Dagmar peux-tu transférer quelques dizaines de milliers d’euros, de préférence depuis plusieurs de ces comptes ? Le compte de destination quant à lui doit avoir été peu utilisé, ne doit pas être repéré. Il sera fermé aussitôt la transaction achevée et l’argent retiré. Nous devons nous rendre dans une ville suffisamment importante pour que la succursale bancaire dispose des fonds qui nous sont nécessaires. Je pense que Frédéric mon neveu est le plus indiqué d’entre nous. Il n’est pas surveillé ni même repéré. Mais j’ai des scrupules quand je pense au savon que va me passer ma sœur...
- Ça y est, glapit Dagmar pianotant sur son clavier, j’ai une succursale de la BNP à Douai, à côté de l’Imprimerie Nationale. C’est de là que partent les billets pour la France entière…
- Tonton, les amis… Juste pour vous dire que je suis très honoré de mettre mon compte en banque à votre disposition… Je suis tout juste majeur et vacciné et je viens d’ouvrir un compte à la BNP… Allez, on est presque obligés de le faire, avec tous ces billets neufs et non marqués qui nous attendent…
- Mon petit, je suis fier de toi…avoua Joël, les larmes aux yeux
- T’inquiètes, je t’arrangerai le coup avec maman… le rassura Frédéric
- Les transferts sont en chemin vers ton compte, confirma Dagmar
- Il faut juste trouver le moyen d’arriver jusqu’à Douai avant 13h… soupira Léa, tête basse.

Un rutilant poids-lourd design d’une entreprise suédoise de téléphonie fit miraculeusement apparition sur l’aire de parking de la station-service tandis que l’orage se calmait. Nils parut se réveiller soudain. Il s’éjecta de la voiture, déplia son grand corps et se dirigea vers le camion. Le conducteur baissa sa vitre, il était blond comme Nils, il parla un instant avec ce dernier avant de le faire monter dans son camion.
Lorsque Nils revint vers la voiture, il arborait son sourire des grands jours.
- C’est un suédois, mais il vit juste à côté de chez moi, de l’autre côté de la frontière. Il nous emmène à Douai, mais pas question de lui proposer de l’argent. Il a catégoriquement refusé à l’avance et je m’en voudrais de le blesser…

Dagmar, à son plus profond dépit, fut consignée de garde à la voiture. Joël jugea prudent de lui adjoindre sa chérie. Léa se chargea d’étouffer les dernières récriminations de sa copine entre embrassades et missions spéciales.
- Partez tranquilles les garçons, on va étudier les itinéraires en votre absence et on vous fera plusieurs propositions…

Une fois l’équipe masculine embarquée dans le poids-lourd, Léa tenta de réfléchir. Il n’était pas question de continuer à fuir droit devant, il leur fallait un plan d’action. Il fallait tout d’abord estimer ce que l’ennemi penserait qu’il serait. Probablement les flics contrôleraient les voies d’accès à l’Allemagne. La transaction de Douai serait certainement repérée rapidement et les confirmerait dans leurs intuitions. Il fallait donc s’enfuir vers le sud-ouest, alors que les forces de contrôles seraient orientées vers le nord-est. Ils s’attendraient à nous voir sur les routes secondaires, ce qui rendait les autoroutes une option plus sûre, en dépit des caméras des radars. Léa se plongea dans l’étude du côté gauche de la France. D’après la carte, il semblait y avoir une large bande de côte Atlantique, en-dessous de Nantes, relativement peu peuplée. Pas de grandes villes, peu de villages, beaucoup de forêts et une plage infinie pour y être perdu de vue.

Les hommes étaient revenus en taxi anglais, égaré dans le Nord de la France, avec des sacs bien remplis et une bouteille d’un bon champagne Veuve-Clicquot.
- C’est pour fêter mon entrée en dissidence ! proclama Frédéric
- Dis plutôt en délinquance, mon trésor… grimaça Dagmar.
- N’exagérons rien… Tout au plus un impôt révolutionnaire… Faisons plutôt le plein de cette foutue voiture solaire…

Léa déploya la carte de France et signala la zone qu’elle avait repérée. Frédéric réagit immédiatement.
- Oh, super, la dune du Pyla ! J’ai des potes qui font du surf là-bas !
- Parfait, conclut Joël. Ils vont nous apprendre à tenir sur une planche.
- Euh… tonton, ça m’étonnerait… Ils sont tous en train de s’entraîner pour passer dans le circuit professionnel… Mais ils nous feront certainement de la place dans leurs caravanes…
- Bon, je m’occupe du plein et on fonce vers la dune du Pyla.

Nils s’activa aussitôt et, sans que l’on puisse déterminer si de sa prestance ou de celle des billets de cinquante euros frais, lisses et encore craquants avait emporté le zèle du pompiste, qui alla jusqu’à nettoyer l’immense pare-brise de la DS7. Le soleil brillait à nouveau dans le ciel et les batteries chargeaient correctement.
- A2, A11, A33, A20, dicta abruptement Léa.
- Tu joues à la bataille navale ou c’est un mantra ? pouffa méchamment Dagmar
- M’enfin ! C’est la route qu’on doit prendre si on veut éviter Paris !
Quelques centaines de kilomètres plus loin, Dagmar avec acharnement bouffait du sable blond, cramponnée aux oyats tandis que Léa lui criait d’abandonner, depuis l’escalier qui montait au sommet de la dune du Pyla.

- Ach so ! Parce que sans doute tu t’imagines avoir une vision réaliste de la situation ! Moi, ce qu’on m’a appris c’est que pour avoir une vue générale, il faut prendre de la hauteur ! Tu préfères prendre le chemin marqué, quitte à toi. Moi, je choisirai toujours la voie alternative !
La réponse de Léa lui parvint entre les hululements du vent :
- Tu n’as aucune chance contre ces millions de mètres cube de sable ! Evite le ridicule, redescends !
- Je ne redescendrais que dans une glissade de 250 mètres, depuis le sommet de la plus haute dune d’Europe !

Tout là-haut, on était à hauteur des mouettes, qui se laissaient bercer dans les courants ascendants en fermant les yeux. Le silence était zébré de leurs rires et des feulements des vents, qui parfois s’opposaient en tourbillons spectaculaires. Seuls les oyats parvenaient à y résister. Les deux filles se rapprochèrent de la pente douce de la dune, d’où elles aperçurent Nils, transformé en surfer norvégien, menant la bande de copains adolescents de Frédéric à l’assaut des vagues. Ils lui confièrent ensuite avoir eu la sensation d’un assaut à un char de CRS, c’était très exaltant le surf arctique !

Mais où était donc Joël ? Planqué dans la caravane des jeunes surfeurs, il réactivait certaines connections siennes avec l’Islande. Pas question de laisser Webactu planté là, Titanic d’Internet, à cause des jaloux saboteurs amateurs de la DGSE. La réponse, sous connexion belge, ne se fit pas attendre. « Toi et ton équipe sont invités en pension complète à Rejyavik ». Ce qui signifiait que Julian Assange, l’âme de Wikileaks serait présent dans la capitale islandaise, lui aussi…

(Texte Fred Romano et Franck dit Bart / illustration Fred Romano)
A suivre….. mercredi 15 juin !!!!!