Pour faire simple, disons que trois grands courants animent le mouvement anarchiste : le communisme libertaire, l’anarcho-syndicalisme et l’individualisme. En attendant que d’autres auteurs écrivent des dictionnaires sur les deux premiers, c’est sur le dernier volet que Michel Perraudeau s’est penché.

L’individualisme dont il est question ici n’a rien à voir avec un quelconque narcissisme ni avec l’égoïsme qui mine notre société. L’individualiste libertaire est comme un chat échaudé. « Il ne succombe pas à l’autorité du porte-monnaie, des honneurs, des médailles, explique l’auteur. A la page quadrillée, il préfère la marge de libre expression. Il est hors-champ, en dehors. Il invente, il innove, il étrenne, il chamboule, il transmute, il métamorphose. Il avance sans violence, prend le contre-pied. C’est à la portée de tous : on ne naît pas libertaire, la vacuité politique invite à le devenir. »

Avec 320 entrées, 75 notes biographiques et 50 textes fondateurs, le dictionnaire présente une approche bien documentée. De A (comme Abstention, Autogestion, Autonomie...) à Z (comme Sophia Zaïkowska, Zo d’Axa), en passant par C (comme Chat, Compétition, Couple, Croissance...), par E (comme Emancipation, Equité, Etat...), par P (comme Peuple, Prostitution, Propriété privée...), par R (comme Raison, Responsabilité, Révolte...) ou par U (comme Unique, Utopie...), Michel Perraudeau décortique bien son sujet. Au fil des pages, on découvre la richesse d’une pensée qui a été portée par une quantité de journaux et revues (L’Anarchie, L’Endehors, Le Libertaire, L’Unique, L’Ere nouvelle, Hors du troupeau, Le Libre...) dont on retrouve la trace sur des sites Internet.

De nombreuses figures libertaires répondent à l’appel. De Max Stirner à Albert Camus en passant par Emma Goldman, Octave Mirbeau, Pierre-Joseph Proudhon, Joseph Déjacque, E. Armand, André Lorulot, Alexandra David-Néel, Georges Palante, Han Ryner, Voltairine de Cleyre, André Arru, Jules Bonnot, Georges Darien, Alexandre Marius Jacob, Eugène Dieudonné, Albert Libertad et bien d’autres. Certains de leurs textes sont reproduits pour illustrer divers aspects de l’individualisme libertaire qui s’ancre plus sur le présent que sur le futur. L’individualiste veut s’appartenir tout de suite pour être maître de sa vie en tentant de se soustraire ici et maintenant aux subordinations. « Peu m’importent les lendemains qui seront dans des siècles ! Je n’ai cure du Futur. La Terre Promise sera celle où nous pourrirons », disait le chansonnier, comédien, pataphysicien et franc-maçon Léo Campion.

Une option qui ne satisfait pas tous les anarchistes. La preuve avec la précaution prise par l’éditeur lui-même. Depuis l’île d’Oléron, Jean-Marc Raynaud signe en effet dans le Monde libertaire du 2 juin un papier peu ordinaire. « Je vomis ce livre qui est une ode au JE, un mépris du NOUS... » prévient ce partisan de l’anarchisme social en mettant sur le tapis un vieux débat. « L’exploitation, l’oppression et l’aliénation qui règnent ici bas depuis toujours ou presque sont-elles consécutives à un contexte social ou à une aptitude de notre espèce à la servitude volontaire ? » En d’autres termes, faut-il jeter aux orties tout processus de révolution sociale puisque ce n’est que de l’individu que la solution viendra ?

Que l’on se rassure, l’éditeur et l’auteur ne sont pas fâchés. « Ce livre magnifique à bien des égards, ne fait pas de cadeau à notre liberté, on l’aura compris. Et c’est pourquoi nous l’avons publié. Car nous avons trop souvent tendance à relativiser ou à nier cette part de nous-mêmes », reprend Jean-Marc Raynaud. Aux lecteurs/trices d’apporter leur grain de sel. Etes-vous tigre ou chaton, rebelle ou servile vis-à-vis des exploiteurs et des oppresseurs qui nous entourent ?

Michel Perraudeau, Dictionnaire de l’individualisme libertaire, 290 pages, éditions Libertaires. 15 euros.

Du même auteur aux mêmes éditions : Léo Ferré, poétique du libertaire (collection Graine d’ananar, 2008), Vendée 1793 – Vendée Plébéienne (2010).

Le site Internet des éditions Libertaires