Jano Xhenseval, poète des couleurs et de la lumière, Peintre de l’exigence

Jano Xhenseval, poète des couleurs et de la lumière, Peintre de l'exigence

Pour quelques jours encore, jusqu’au 25 mai, se tient en ce moment, dans le Hall de l’Hopital de la Fondation Cognacq-Jay, à Paris (15, rue Eugène Million, XVè arrondissement) la nouvelle exposition de l’artiste peintre Jano Xhenseval. C’est à nos yeux un évènement, d’abord parce que les expositions de l’artiste sont rares, et en raison de la qualité particulièrement exceptionnelle de son travail. L’affiche de son exposition est disponible sur son site, en cliquant sur le lien : http://janox.free.fr/expocognacqjay.htm.
Courez-y sans tarder : pratiquement, le hall est ouvert en permanence, en journée. Le voyage que l’œuvre de l’artiste vous propose n’a pas d’équivalent dans le paysage des arts plastiques d’aujourd’hui, sinon peut-être dans l’œuvre du sculpteur et ami Jean-Marie Tézé.

Est-il un domaine artistique plus difficile à analyser, aujourd’hui, que la peinture, particulièrement dans les courants contemporains ? Comment parler efficacement de peinture, de formes, de techniques, de signification, de recherche, à une époque où il est convenu de dire que tout a été fait, tout a été tenté, et où les règles s’évanouissent devant le geste créateur ? Même dans le domaine de la musique, les cadres demeurent, qui permettent de définir les genres, d’articuler les œuvres, de guider l’auditeur.

Précisément, loin des courants contemporains, l’artiste d’origine wallonne revisite les règles, des règles puisées à l’histoire de son art, à la tradition médiévale, ou renaissante, mais aussi à Matisse, ou encore à d’autres traditions, telles les estampes japonaises ou les peintures indiennes. Mais c’est aussi une réflexion sur la vision même, sur la couleur, sur la lumière (où la peinture se confronte à tout le réel, minéral, aquatique, végétal, ou cosmique), qui est au cœur de tout son travail, une patiente recherche, animée d’une conviction profonde, qui la porte sur un chemin où, élaborant son œuvre et ses tableaux, elle continue de sculpter sa propre personnalité, faite d’une saisissante beauté, d’un souffle puissant, et d’une étonnante force spirituelle.

Laissons la parole à Jano Xhenseval elle-même :

« Le professeur de peinture de mon enfance disait : « Aujourd’hui nous allons apprendre à faire les ombres. » Jamais je ne l’ai entendu dire : « Nous allons apprendre à peindre la lumière. »
On n’apprend pas la lumière, elle est donnée, réservée déjà au premier jour du monde, introduite avant l’œuvre… liquide… initiale… nacelle de l’âme, il n’y a rien à en dire, rien à en ébruiter : elle parle ! »

De sa quête de la lumière, elle propose quelques toiles et dessins s’étalant sur plusieurs décennies de sa création, qui forment une passionnante rétrospective de son travail, et une formidable introduction pour ceux qui ne la connaissent pas. L’artiste est poète des couleurs et des lumières. Dans un geste qui doit autant à Matisse qu’à son maître, Bazaine, elle déploie ses propres rayons, travaillant sur l’ambivalence et la polyvalence de la matière donnée à voir, et du regard, introduisant le danger du reflet, de la brillance, intégrant les changements de lumière, tout comme les changements d’orientation (certains tableaux sont même présentés à l’envers : une bonne toile doit pouvoir être également lisible, quel que soit le sens dans lequel on la voit), les variations de matière et de relief.

Travaillant sur des matières variées, allant de la toile au bois, en passant par différents accidents de surface, comme le sable, elle ouvre l’espace, créé le mouvement, met en danse le rythme, organise de savants chromatismes. Ses peintures sont des partitions en mouvements, des ensembles d’instruments résonnant de musiques célestes et envoûtantes.
Les titres des toiles disent la rareté, l’exigence, et le choix de l’isolement créateur : « Finistère », c’est le bout du monde (une jeune fille a laissé une saisissante appréciation de la toile « Le Grand Finistère » dans le livre d’or), « Pousse en sol rare », « Diamantelle », « Cil-en-ciel », doublé de « Silencièle », « Petit gravier d’eau douce », ce sont des cristallisations de raretés, d’excellence, d’exigence, que nous offre l’artiste, avec finesse et humour.
Les dessins sont saisissants et majestueux : réalisés dans l’urgence, presque à l’inverse des peintures, à l’encre de Chine sur l’eau, pendant le bref moment où le papier absorbe le liquide, ils brossent des portraits où le mouvement retenu est à mi-chemin du mouvement et de l’expression saisis du modèle, et du mouvement de l’artiste elle-même, ou encore des arbres, des montagnes, d’une écriture presque orientale, grave et profonde.
Un texte de Fra Angelico invite le visiteur à suivre l’artiste sur son chemin d’exigence pendant quelques pas. On reste troublé de la proximité des paroles du peintre italien avec celles de l’artiste franco-belge.

L’isolement de l’exigence a un prix, que Jano Xhenseval paie très cher. L’œuvre rejoint la biographie dans la difficulté bouleversante des conditions matérielles dans lesquelles elle vie. Le bois étant plus accessible que les toiles, elle peint essentiellement sur des matériaux de récupération, et répète que la couleur est chère.

La France est le pays qui honore ses poètes… une fois disparus ! Il est fort à craindre qu’il en soit de même de tous ses artistes. En 2011 l’exigence conduit l’artiste au seuil de la pauvreté, exactement comme le passionné Bernard Palissy à la Renaissance. Le plus sûr moyen de lutter contre cette injustice est d’aller voir les œuvres de Jano Xhenseval, de se laisser entraîner dans son monde de lumière, dans le rythme de ses danses lumineuses, et de se laisser nourrir par la parole qu’elles délivrent, comme un patient et bienveillant oracle !