SAUVONS LES BALEINES !!

SAUVONS LES BALEINES !!

Je crois que c’est Cioran qui écrivait qu’un livre qui n’est pas dérangeant est un livre inutile. J’irai plus loin, je prétends moi qu’un éditeur qui n’édite pas des livres dérangeants est un éditeur inutile, qu’un libraire qui ne vend pas des livres dérangeants est un libraire inutile, qu’un lecteur qui ne lit pas des livres dérangeants est un lecteur inutile !

Bien sûr, cette introduction est une provocation, mais une introduction qui n’est pas une provocation est une intro inutile ;-)
Mais les lecteurs sont si décevants, que voulez-vous ?... Il faut bien que quelqu’un ose le leur dire, au pays des vils flatteurs où l’on vend du livre comme du saucisson ! De la littérature convenable pour lecteurs convenus, des « lus à la télé », des montgolfières gonflées d’indignations consensuelles et de fausses polémiques… En réalité, les lecteurs sont un troupeau moutonnier qui choisit ses livres comme il regarde TF1 ! Car le livre ne se porte pas si mal que ça, les chiffres le prouvent dans leur ensemble, à mon avis ce sont plutôt les lecteurs qui se portent mal… Franchement, et je m’en désole, le lecteur n’est plus qu’une ménagère de moins de 50 ans comme les autres, qui consomme avant tout de la pub. Les éditeurs qui ne prennent pas les lecteurs pour des cons plient boutique, les uns derrière les autres, faute de lectorat, tandis que la vulgarité se goberge en tête de gondole…
Je ne grossis, hélas, qu’à peine le trait…

Voilà le raisin de ma colère ! Et parmi ces éditeurs héroïques, s’il en est un qui se distingue autant par ses choix que par ses difficultés, c’est bien Baleine ! Editeur historique du Poulpe et certainement celui qui aujourd’hui, en la personne de Jean-François Platet, édite les romans populaires les plus improbables, dans sa collection Baleine Noire.

Autant dire qu’il va aussi mal que ses choix sont courageux et ses publications utiles ! Il ne manque donc plus à Baleine Noire qu’à trouver ses lecteurs utiles… C’est-à-dire ceux qui vont sauver les Baleines, avec leur couverture si particulière - il s’agit de cires anatomiques de la collection Spitzner. Mais soyez prévenus que vous ne lirez pas ça ailleurs, il ne faudra pas venir vous plaindre après !

Pour ma part, il est certain que sans les cinglés de Baleine Noire, jamais mon manuscrit Massacre à l’espadrille, mon chef-d’œuvre de l’art, n’aurait trouvé preneur… Je connais d’ailleurs des libraires qui refusent toujours de le vendre - parfois, j’en serais presque fier - dont un qui lui reprochait d’avoir dû en rembourser les 5€ à un client scandalisé qui l’avait rapporté ; étrange pratique… Je me souviens aussi d’une dame, genre bobo bling-bling, qui par contre l’avait acheté sur les conseils de son libraire, mais en salon s’était vantée auprès de moi d’avoir dû le brûler ! Je lui avais donc demandé s’il brûlait bien : « Vous prenez décidément tout à la légère ! », s’était-elle indignée d’importance. Je lui avais répondu que je n’avais rien contre le fait qu’on brûle les livres, après tout l’inquisition ou les nazis le faisaient bien… « Parce qu’en plus il faut que vous ayez toujours raison… ? », avait-elle finalement lâché prise, après que je lui ai fait avouer l’avoir lu jusqu’au bout : « Je voulais voir jusqu’où vous oseriez aller… » Je crois surtout qu’en jetant mon livre au feu, cette brave dame avait voulu exorciser le malin plaisir qu’elle avait pris à sa lecture, et c’est le plus grand compliment que me fit jamais un lecteur !

Le plaisir n’est jamais coupable, surtout pas le plaisir de lire, et il ne faut pas le bouder ! Alors sauvez les Baleines, vous ne le regretterez pas ! C’est l’occasion ou jamais, car l’année prochaine ce sera peut-être trop tard… Mais si chaque lecteur de cet article fait œuvre utile en commettant l’emplette coupable d’un de ces petits livres honteux, et propage la nouvelle de ces saines lectures, bientôt la différence et le décalage règneront en maître à l’étal des libraires de qualité.

Je vous signale donc les deux derniers nés :

CORNELIUS CRASSIUS AGENT DE JESUS, par Eddy Piron
Un livre à conseiller aux blasphémateurs et autres mécréants, comme aux bons catholiques, car il n’est jamais inutile de réviser son catéchisme ! Réviser l’histoire, ce n’est pas toujours bien vu, mais celle-ci vous amusera : c’est l’histoire de Cornélius Crassius, un ancien légionnaire, qui après avoir dû quitter Rome précipitamment (je vous laisserai découvrir pourquoi), s’est installé en Galilée comme éleveur. Il y lance La Chèvre de Monsieur Cornélius, avec un certain succès, avant que ses nouveaux voisins, Marie et Joseph, lui confient l’éducation de leur petit Josua… Un drôle de paroissien, que le futur Jésus ! Entre subterfuges, mensonges, adultères, trahisons et production de chèvre frais, Eddy Piron, aussi fin qu’érudit, nous conte avec ironie la vie et la formation de Jésus à travers les yeux de son agent et mentor, l’inaltérable Cornélius Crassius.
DEMOLITION, par Nada

C’est la chouette histoire de Cordélia, icône du X accro à l’héroïne, qui est assassinée durant le tournage d’un snuff-movie. Vous voyez que ça commence bien… Ca continue avec Verlaine, un admirateur de Cordélia, décidé à la venger. Avec ses acolytes Vulcain, comme lui un ancien de la légion, et Van Gogh, un flic dévoyé de la brigade des mœurs, il entame une mission rédemptrice inracontable… Au côté de ses personnages, Nada, auteur trop rare, nous entraîne avec jubilation dans une croisade poétique ulta-gore au cœur de l’industrie du sexe !

Ca a l’air sympa, non ? Alors laissez-moi vous signaler encore, hors collection mais toujours chez Baleine, le dernier Jean-Bernard Pouy, qu’on ne présente plus : ça s’appelle COLERE DU PRESENT, et il faut espérer que ce soit quelque part prophétique ! En couverture, Jean-François Platet a pensé aux pédophiles et a mis une jolie photo de son petit garçon, avis aux amateurs…

http://www.editionsbaleine.fr