Facebook, le meilleur ami des flics et des régies publicitaires !

Facebook, le meilleur ami des flics et des régies publicitaires !

Le meilleur des mondes existe. Sur Facebook, tu soignes ton look. Ton narcissisme en prend de la graine et ton voyeurisme s’exerce dans tes petits arrangements entre tes soi-disant(e)s ami(e)s à distance raisonnable. L’autofichage c’est ton gros lot pour la maison poulaga ! Et puis, avec l’annonce de ta personnalité révélée entre les lignes, tu es le client rêvé de la publicité. Y’en a même qui crèvent en direct l’audimat. La révolution contée dans les pays arabes via ses canaux des marques déposées Facebook et Tweeter, c’est surtout du pipo. Marre de la tyrannie de cette face de bouc qui inhibe tous nos rapports sociaux ! Jette ton nombril à la poubelle et réveille ton égo, sors de ton écran, la réalité et la vraie vie sont au-dehors.

Mark Zuckerberg est le jeune type inventeur de Face de bouc au bras vengeur. Il est tellement reconnu qu’on lui a consacré un film de fiction qui peut parfois dépasser la réalité. Tout a commencé, quand jeune homme richissime désœuvré, il voulait dénigrer sa petite amie qui l’avait laissé tomber au pied de son ordi. Il décida alors de pirater les serveurs de l’université d’Harvard pour se payer les tronches de toutes les étudiantes du campus. En 2004, Facebook le livre des visages est né autour du sexe en ébullition et des amis. De cet esprit de chapelle où on prie les grandes marques pour se retrouver entre soi, tout en restant toujours jeune, bienvenue dans le monde régressif et compulsif.

Face de bouc, c’est comme pour le développement durable, tu ne peux y échapper. Deviens mon ami est devenu le slogan révolutionnaire pour vous autres grégaires dans l’absolu. Dis-moi le nombre de tes amis sur Fesse de bouc et je te dirai qui je hais ! J’espère que tu causes la novlangue des réseaux sociaux, (qui n’ont de social que le nom dans son acceptation médiatique), si tu ne veux pas passer pour un(e) idiot(e) ! Bienvenue à la maison virtuelle. Ma maison est ta maison, fais-moi voir ton plus beau profil. Tu choisies tes nouveaux ami(e)s, les élu(e)s qui pourront accéder à ta face cachée. C’est un puzzle intellectuel pour un enfant de niveau moyenne section maternelle, qui dès le ventre de sa maman s’est éclairé aux néons des écrans.

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Attention, tu dois te muscler l’index si tu ne veux pas que le mulot te morde le doigt. En langage codé, c’est le binaire qui a trait à ton cortex. Tu cliques sur j’aime ou j’aime pas. Peu importe ton avis dans la célérité de tes réflexions. Tu es un veau qui broute ton écran au son du clavier dans la prairie des fesses de bouc. Tu peux aussi si tu n’es pas d’accord, par exemple avec la couleur des yeux de ta copine ou copain, te rencarder un sujet de conversation de café sur un groupe qui partage ton point de vue sur les coquarts, stimulant des quinquets bleus. Tu te crois fort, tu n’es plus tout seul à gueuler dans ton petit carré restreint. Ça fait du bien. Et plus on est de fou et plus on rit. Pas loin de 630 millions de membres sur la planète et près de un habitant en France sur trois, ça en fait des bits. De plus et pour ne pas gâcher le tableau, tu représentes une valeur ajoutée. Ton indice de popularité se calcule aux nombres de tes ami(e)s. Rien ne t’empêche d’arpenter le macadam des réseaux pour aller à la racole d’autres amitiés. T’es devenu une pute qui t’offre aux ami(e)s au prix fort. C’est toi qui va battre tous les reccords. C’est un sport à plein temps. C’est aussi surtout plus facile que dans la réalité triviale. En moyenne, on compte entre 130 et 150 amis. Vise un peu où tu en es et la pente du carmel que tu devras encore gravir pour entrer dans la norme établie. Quel boulot !

Sans parler des personnes qui se suicident parce que quelqu’un a diffusé à la postérité leur image en mauvaise posture. Ce monde de l’incommunicabilité peut même commencer très jeune. Je ne résiste pas à vous confier la lecture d’un extrait d’un courrier de Léa 16 ans, paru dans La Décroissance d’avril 2011, qui ne généralise pas, mais représente un cas, je suppose parmi tant d’autres. Un cas pathologique.

Léa aperçoit sa petite sœur de 8 ans à côté d’un petit garçon. « Tiens, elle s’est fait un ami me dis-je. Ils jouent chacun de leur côté à leur gameboy DS respective, sans se parler. En m’approchant, j’aperçois qu’ils ont leur « picto-chat » et qu’en fait, ils communiquent par l’intermédiaire de leurs consoles, dans un silence sinistre ». Ça me fait froid dans le dos !

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Et toi adulte, ce que tu oublies, c’est qu’en livrant ton intimité au moindre chaland, tu perds ta personnalité et ton identité et par la même ton identité. Tu rentres par toi-même volontairement tes données. Big Brother te regarde et te sourit. Tu te fiches par toi-même ! Tu deviens ton propre indic. Sur un simple clic, les fics te suivent partout, te déshabillent et s’en rincent les pupilles de tes données !

Alain Juillet des services secrets confirme : «  Facebook est très efficace, bien plus utile que les fichiers policiers comme Edvige. La C.N.I.L ((Commission nationale informatique et libertés) ne nous met pas des bâtons dans les roues »*. BRRR, ça peur !

L’amitié quel mot chiadé. Tu t’adresses à une masse opaque dont tu penses partager quelques goûts divers et variés sur des sujets ou des modes de vie. Quelques mots par-ci et par-là échangés et tu gagnes en pourcentage, tu montes dans les sondages. Je sais par exemple si tu as bien digéré ton repas un peu corsé de la veille, dans quelle position tu as baisé, avec qui et où et même quel déodorant tu utilises. J’en sais beaucoup comme tu sais tout de moi. Je suis devenue transparente, plus du tout vivante, complètement dépersonnalisée. Alors que les ami(e)s que je me revendique dans la vraie vie se comptent sur les doigts d’une main. Je sais que je peux échanger et compter sur elles et eux en cas de coup dur et que cette amitié se mérite et n’est pas toujours éternelle.

Ce repli compulsif derrière son écran en compatissant avec les distances et en branlant d’un air distrait son nombril, sépare les gens de la réalité et désacralise les valeurs de solidarité et des luttes sociales.

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Je sais, on va me fiche dans le tarin, peut-être en occident mais pas dans les pays arabes. L’exemple des révolutions dans ces pays contredit mon discours. Entendons-nous bien sur les mots. Une révolution qui consiste à fiche dehors un tyran est un acte de salubrité publique. Mais si cette révolution s’arrête en chemin en ne bouleversant pas le contexte social et historique qui a fourbi les armes à cet acte, c’est le flop. C’est aussi ce qui est en train de se dérouler. Et un peuple, qui fait confiance à son armée, a de quoi ne pas dormir tranquille sur ses deux oreilles. Ce que j’appelle les véritables révolutions, telle celles de la Commune de Paris, la résistance contre les nazis et la révolution espagnole ne connaissaient pas les réseaux sociaux mais les luttes acharnées et concrètes.

Il existe un frère jumeau de Face de bouc, Tweeter c’est encore plus rançonné au niveau de l’expression. Tu ne dois pas dépasser 140 signes par message. Avec tes cent cinquante mots de vocabulaire divisés par le nombre de signes disponibles, c’est le B.A B.A d’une langue littéraire riche à disposition, du style SMS sans le décodeur couleur, qui n’est pas fourni avec ton cerveau calibré.

Si Face de bouc se développe, c’est aussi que c’est une entreprise très juteuse qui traque les ami(e)s à son profit. « Sur un principe proche de Google, Facebook a lancé en 2008 Lexicom, son service de buzz tracking. Il permet d’analyser les tendances qui se dégagent de tout ce que les utilisateurs mettent en ligne. Et, moins coûteux que les traditionnelles enquêtes, il permet aux marques de suivre la réception de leurs produits. Facebook pourra même leur proposer de revaloriser leur image sur son réseau et de lancer des conversations à leur sujet ». (Cédric Biagini in La Décroissance d’avril 2011, page 9)

Si par hasard sur le pont des arts, tu croises ma farce de Singette sur ton réseau préféré, prend garde à toi, je ne suis pas ton amie. Je ne veux surtout pas l’être à ce prix. Perdre ma liberté de penser et agir à ma guise, tu peux toujours te gratter. D’ailleurs, je ne suis ni à vendre ni à acheter, comme un vulgaire produit manufacturé pour l’entrer dans ta norme. Je veux être celle qui jacte « Ce dont on ne parle jamais ! », comme dans le feuilleton de mes aminches Fred Romano et Franck dit Bart.

*Un très grand merci à Cédric Biagini pour ses articles parus dans La Décroissance Le journal de la joie de vivre, et tout particulièrement son dossier de deux pages dans le numéro d’avril : « Comment les « réseaux sociaux » désocialisent.
Deux illustrations proviennent également de La Décroissance.