Dans l’enfer des colonies pénitentiaires

Dans l'enfer des colonies pénitentiaires

La BD de Galandon & Anlor, Les Innocents coupables, nous ramène au temps des colonies pénitentiaires. Dans ces féroces cloaques, des brutes ravageaient des mômes qui avaient le tort d’être pauvres, orphelins… ou rebelles.

Nous sommes en janvier 1912. Quatre jeunes parisiens voyagent dans un panier à salade d’époque tiré par deux chevaux de trait. À ce rythme, le périple dans la campagne enneigée donne le temps de faire connaissance. Il y a là Jean, Adrien, Miguel et Honoré. Ce dernier a un nom qui sent la poudre : Bonnot. Il assure être le fils de Jules. Les quatre larrons jurent de se serrer les coudes pour résister à la barbarie.

Les poulbots ne sont pas des criminels. Ils ont été condamnés pour des vols et des cambriolages, pour des « mœurs vicieuses et dépravées », pour des insultes et des coups à l’encontre de la maréchaussée… Direction la colonie pénitentiaire agricole Les Marronniers. Un endroit d’où l’on ne s’évade pas. Plus tard, on appellera ces lieux infernaux des bagnes d’enfants. Jacques Prévert les a dépeints dans son poème Chasse à l’enfant. « Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! C’est la meute des honnêtes gens qui fait la chasse à l’enfant… » Des primes étaient offertes aux braves « chasseurs ».

Les maisons de redressement abritent tous les coups tordus. Dans ce zoo humain tragique, les fauves font la loi. Les gardiens sont sadiques. Les mômes sont ratiboisés par des brutes de la trempe d’un Gourdin, le « bien » nommé. La menace est permanente. Malheur à celui qui se pisse dessus la nuit. Malheur à celui qui a faim. Il faut trimer dans le froid, se laver dans le froid, supporter les cellules glaciales, tourner au pas pendant des heures sous la neige avec des galoches pourries et se contenter d’une maigre gamelle de soupe froide et de pain dur. Malheur à celui qui n’a pas de protection d’une manière ou d’une autre. Honoré « Bonnot » qui laissait croire que son père viendrait le délivrer s’en rendit compte quand un gaillard vint brandir la Une du Petit Parisien qui annonçait la mort du « bandit anarchiste » survenue le 28 avril 1912.

Jean n’a pas le même profil que ses copains d’infortune. Son frère, Germain, était vendeur de journaux. Il s’est fait cravater parce qu’il volait pour soigner sa mère malade. Jean, devenu orphelin, veut devenir journaliste. Placé dans une famille d’accueil, il commettra volontairement un larcin devant des flics pour rejoindre Germain aux Marronniers. Ce tome 1 mêle quête et enquête sur le frangin mystérieusement disparu. Celui qu’on appelait L’Apache dans la colonie pénitentiaire avait une devise : « Le vrai courage ne se laisse jamais abattre »…

Laurent Galandon (auteur de Gemelos, L’Envolée sauvage, L’Enfant maudit, Tahya El-Djazaïr, Shahidas, Le cahier à fleurs chez Grand angle et de Quand souffle le vent chez Dargaud) et Anlor (qui signe-là sa première BD) forment un duo épatant. Le récit a du souffle. Le dessin est superbe. D’emblée, le lecteur est pris d’affection pour les quatre compères confrontés à la répression, aux humiliations et aux abus en tout genre. On attend la suite avec impatience.

Laurent Galandon & Anlor, Les Innocents coupables, tome 1/3 : La Fuite, éditions Grand angle. 13,50€.

Découvrez les dix premières planches de l’album sur le site de Grand angle.

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