Quand les murs prennent la parole

Quand les murs prennent la parole

Depuis le siècle dernier, plus précisément depuis 1968, une bande d’inorganisé-e-s plutôt bien organisé-e-s imagine et imprime des affiches militantes à Toulouse. Ces artistes activistes ont eu la bonne idée d’éditer un livre retraçant leur passionnante aventure.

C’est bien connu. On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Alliant leurs talents d’agitateurs, de graphistes et d’imprimeurs, les membres de l’Association pour l’art et l’expression libre (AAEL) et les travailleurs de la Coopérative d’imprimerie 34 ont fouillé dans leurs archives pour publier un livre décapant.

Tout part de l’après mai 68. Époque où quelques naïfs voulurent prolonger le printemps et profiter de la plage, celle qui se cache sous les pavés. Rentrer dans le rang ? Vous rigolez ! L’esprit de l’atelier populaire des Beaux-Arts n’était pas prêt de mourir. Une idée rebelle. Quelques heures de sérigraphie. Un seau de colle et l’affaire était réglée. C’était l’époque du « aussitôt dit, aussitôt fait ». « Sois chômeur et tais-toi ! », « Se soumettre ou résister et vaincre ? », les slogans n’ont pas vieilli. Beaucoup de ces premières œuvres éphémères ont hélas disparu. Certaines ont été sauvées par le Musée de l’affiche de Toulouse.

Puis vint le Contre-journal, « Le seul journal avec lequel on ne peut pas se torcher le cul ». Ce journal mural, anti-Dépêche du Midi, était collé dans Toulouse tous les mois. Le premier numéro est sorti en septembre 1970. Dessins, BD et slogans tiraient à boulets rouges sur les patrons, les flics, l’armée, les prisons, les médias, la publicité, Franco… L’aventure continua dans les années 80 et en 2005-2006 avec des moyens plus modernes.

En 1973, nos affichistes autonomes ont créé une structure ouverte pour fédérer luttes et résistances. L’Association pour l’art et l’expression libre naissait. Sérigraphie et offset de bureau, puis, en 1974, offset 4 poses allaient imprimer des tonnes de papier, affiches, tracts, journaux, livres hors normes. L’activité de l’imprimerie 34 naissante ne plaisait pas à tout le monde. Entre 1974 et 1976, quatre attentats d’extrême droite tentèrent de réduire à néant l’entreprise coopérative. Grâce à une large solidarité, les imprimeurs purent reprendre le boulot pour des semaines qui dépassaient souvent les 35 heures…

Illustrations à l’appui, le livre remonte l’histoire chargée des compagnons. Nous suivons la publication de Basta, un journal underground où les dessinateurs Soulas et Nicoulaud officiaient, la création de la Scop (société coopérative ouvrière de production) sans hiérarchie salariale, le procès en diffamation intenté par Lucien Engelmajer dit « le patriarche » contre l’AAEL, la violente descente de police qui embarqua travailleurs et clients suite à des actions du SCALP (section carrément anti Le Pen) contre le Front national, la création d’un espace socio-culturel plein de promesses. C’est que, si les membres de AAEL savent se positionner CONTRE toutes les saloperies, il/elles savent aussi être POUR toutes les alternatives qui rendront l’existence meilleure tout de suite.

« Chômeur, tu es sur le pavé, prends-le et jette-le ! », « Confinez les poulets malades de sarkozite aigüe », « Moulinex, Bata, Péchiney… Vautours gare à vos plumes ! », « La vidéo surveillance nous garde à vue », « Élections : La merde reste la même, seules les mouches changent », « Contre le sida, vive la capote, à bas la calotte ! », « Notre estomac n’est pas une poubelle ! »… Aucun sujet n’est épargné. Chapitre après chapitre, le lecteur revit quarante ans d’agitation graphique et politique. Du combat contre la peine de mort à l’explosion d’AZF (« Non au terrorisme industriel ») en passant par le mouvement social de 1995, la lutte contre le CPE, la connerie militariste, l’assassinat de Salvador Puig Antich, l’affaire Siné à Charlie Hebdo, le nucléaire, les OGM, l’Érika, la Kanaky, la Palestine, le Chiapas, la guerre du Golfe, le racisme… tout est là. Même la canicule n’est pas épargnée avec l’affiche « À nos anciens morts de chaleur, maudit soit l’égoïsme ! », détournement d’une photo du monument pacifiste de Gentioux.

Partisans de l’autodérision, les éditeurs libertaires nous offrent une conclusion légère avec une série d’affiches proclamant « Ni dieu ni maître (même nageur) » avec, au choix, un Mao Tsé Toung (comme on disait à l’époque) dans les eaux du Yang Tsé Kiang ou un coquet baigneur 1900 en train de montrer ses biscoteaux à une belle…

À ranger dans les bibliothèques à côté des Affiches des combattants de la liberté – Espagne 1936 de Wally Rosell et de La Lutte des signes – 40 ans d’autocollants politiques de Zvonimir Novak, superbes livres publiés par les éditions Libertaires et imprimés par… l’imprimerie 34.

Collectif, Affiches… contre de 68 à nos jours – Histoire des affiches réalisées par l’AAEL et la Scop Imprimerie 34, éditions AAEL, 288 pages. 30 euros.

Contacts :

- Association pour l’art et l’expression libre (AAEL) 8, rue de Bagnolet 31100 Toulouse. Téléphone : 05 61 43 80 10. Courriel aael@club-internet.fr Site Internet.

- Coopérative d’imprimerie 34 6, rue de Bagnolet 31100 Toulouse.

Au catalogue des publications de l’AAEL :

Nous vous recommandons les cinq tomes de L’Anthologie de la connerie militariste (un sujet hélas sans fin), mais aussi Toulouse septembre noir – De l’ammonitrate dans le cassoulet (BD sur AZF), Dans la forêt vierge il y a fort à faire (de Mauricio Gatti, livre d’un prisonnier politique pendant la dictature uruguayenne), Mes emmerdes (dessins de Philippe Soulas), Manuel d’économie à l’usage de celles et ceux qui n’y comprennent rien (de Patrick Mignard), La Chair à canon (histoire des Algériens dans l’armée française, 1854-1954)…