Mortelle mélodie de la vie de bureau en sous-sol !

Mortelle mélodie de la vie de bureau en sous-sol !

« Fractale » de Marin Ledun ouvre la nouvelle collection Pièces à conviction aux éditions la Tengo. Tirée d’une pièce radiophonique d’une heure diffusée sur France Culture, Marin Ledun s’illustre cette fois dans un espace textuel court où six personnages employés d’une entreprise financière vont se tracter à boulet rouge bon gré, malgré, leurs quatre vérités au troisième sous-sol et ployer. Huit-clos parfait sur les besoins de survie basiques qui vont se tirer la langue à la vie de bureau. On ne peut plus lâcher le livre jusqu’à la chute finale et les remontées acides de ce milieu parfaitement analysé et décrit par cet auteur toujours au fait de sa littérature.

On retrouve avec beaucoup de joie Marin Ledun que l’on avait laissé aux bras de Mona Cabriole dans Le Cinquième clandestin aux éditions la Tengo. A 35 balais, Marin navigue la vue est belle dans le paysage du roman noir français. Il nous revient cette fois dans une thématique qui lui tient à cœur, le monde du travail. D’autant que déjà en 2010, avec Brigitte Font Le Bret, il avait déjà abordé les rives troubles de la débine au travail dans « Pendant qu’ils comptent les morts : Entretien entre un ancien salarié de France Télécom et une médecin psychiatre » (La Tengo 2010).

Avec Fractale selon la définition du dico : nom féminin, en math se dit d’une figure dont le motif se trouve indéfiniment répété à des échelles de plus en plus fines. Cette figure se prête parfaitement à cette pièce radiophonique, avec tous les ingrédients majeurs du genre. Poser une situation et faire évoluer les personnages autour d’une problématique jusqu’à ce que le mot fin s’entende comme un joyeux larron dans les amplis de votre radio. On écoute le souffle, les voix, les déplacements, les remords vivants, des six personnages, trois femmes et trois hommes, le compte est bon. Ils se connaissent, se côtoient au quotidien au sein de la Saudis Corporate, cabinet en placement de produits financiers. Un soir, ils se retrouvent conviés à descendre par l’ascenseur au troisième sous-sol, sous le prétexte de participer à un exercice d’alerte incendie. Un bel appartement tout équipé et meublé, style abri antiatomique suisse, leur tend les bras. Sauf que l’ascenseur pour l’échafaud referme ses portes sur leur existence terne en sévices commandés de leur divine entreprise. Durant au moins vingt-quatre heures pour les moins chanceux vont baliser, sans aucun moyen viable pour remonter à la surface. A moins de distiller un périscope par les trous de nez, bientôt le manque d’air de ne pas trop se blairer en continue va refluer.

Sous ce prétexte anodin, des rancœurs, des sauteries rentrées et autres frustrations sous tension, des craintes pour leur personne, leur emploi et tous les délires annexes dans le réseau de proximité imposé, ça va chauffer. Les humeurs s’emballent.

Pour ainsi dire, rien qu’avec des dialogues et quelques notions de lieu et de mouvement des personnes en présence, et au tout début des notes indicatives sur les personnages, Marin Ledun, avec ce matériau pourtant assez mince, parvient à donner libre court à son intrigue et à nous émouvoir. On est rivé à leurs propos qui font avancer le récit. Entre les vraies et les fausses pistes, on suit le déroulement de l’action, les sens en éveil. Et puis quand vient le moment de se pieuter, trois chambres doubles pour trois couples improbables dans la vraie vie, il faut se répartir les corps morts et les esprits en goguette. La face cachée terne des employés de bureau si terme à terme, sauve ce qui peut de la vie qui bat dans leur palpitant pour se préserver et persister dans l’existence. « Ce faux côté maternel que tu affiches. Laisse tomber avec moi, tu veux ! Tu es comme les autres ! Tu veux garder ta place dans la boîte et si possible grimper dans la hiérarchie. Ça n’a aucune importance, d’ailleurs, étant donné le contexte actuel. Fais ce que tu veux, mais laisse-moi tranquille ». (page 46, dialogue entre Sam et Marie, les deux meilleures collègues du monde !).

Jusqu’à bien entendu la chute finale en page 91 depuis le troisième sous-sol sans ascenseur. Etonnant non ? Je n’aurai jamais pensé que l’on puisse tomber encore plus bas ! Et moi qui m’attendais au minimum à une remontée fatidique. Décidément, Marin Ledun donne son code bien à lui et c’est d’autant plus agréable de nous piéger par cette situation absurde. Il nous donne la clé à sa mesure qu’à la dernière page de cette pièce radiophonique. Mais oui c’est bien sûr ! Justement, rien est n’est jamais sûr avec Marin et tant mieux. Rappelez-vous la définition de fractale !

Fractale se cale dans un dédale de caractères humains via les couloirs de la mort et sus aux collègues. Il faut sauver sa peau, tous les moyens sont bons. Pas vrai ? Une seule arme tragique : les maux des mots.
Après m’être vraiment régalée de cet ouvrage, je serai très tentée d’entendre la mise en onde par France Culture de ce texte détonnant. Marin Ledun sait s’affirmer dans de nombreuses littératures. Etant donné son jeune âge, je subodore que l’on est parvenu juste aux débuts de notre étonnement. A suivre encore et encore cet auteur surprenant et si vivant dans sa littérature où les natures humaines de ses personnages n’ont plus rien d’humain. Si l’homme est un loup pour l’homme, la Singette n’a plus qu’à se tailler à la plus haute cime de son pin favori et basta les humanos ! Tout n’est que fiction. A peine, avec Marin Ledun. Mais quand même !

A suivre aussi le second opus de la nouvelle collection Pièces à conviction, prévu pour le 11 mai 2011 !

Fractale de Marin Ledun, collection Pièces à conviction, éditions la Tengo, 91 pages, 4,80 euros, 2 mars 2011