Interview : « C’est extra » et quel pied : Joan Pau Verdier !

Interview : « C'est extra » et quel pied : Joan Pau Verdier !

J’ai eu l’immense joie d’assister aux répétitions de Joan Pau avec ses excellents musiciens et toute son équipe technique à la Fabrique de Saint-Astier en Dordogne. Un long entretien s’en est suivi très instructif quant au parcours ouvert de ce poète musicien anarchiste d’oc. Et le soir, devant une salle comble et O combien enthousiaste, quelle ovation de Joan Pau au mieux de sa forme, exultant le verbe et la verve de tout son répertoire, avec Léo Ferré sur des sons rock d’oc, durant plus de deux heures de liesse. Merci Joan Pau et bonne continuation à toute ton œuvre et ton esprit rebelle et si fraternel.

Le Mague : Pour être raccord avec mon article, comment t’es venue cette graine d’ananar qui te caractérise dans ton être et ton œuvre ?

Joan Pau : En dehors de l’amour que j’ai eu pour Ferré assez vite, je crois que dès mon plus jeune âge j’ai été allergique à toutes les formes d’injustice. Très jeune j’étais révolté. Quand j’étais gosse, j’étais maigrelet. J’avais un prof de gym qui ne pouvait pas me saquer. Parce que, évidemment j’étais premier de la classe dans toutes les autres matières, donc j’étais le sale con. Et puis j’ai grandi, je suis devenu bon en rugby etc… et le mec a commencé à m’adorer. Mais il y avait dans ma classe un mec qui était bien plus fort que moi. Et un jour on fait de la compo sur 6o mètres. Je cours, il me chronomètre. Je vais à côté de lui et il y a l’autre qui fait aussi sa course. Et là j’étais à côté du prof, il laisse passer une seconde avant d’appuyer. J’ai été outré de cette injustice même si elle était en ma faveur. Là, je crois que je suis devenu anarchiste ce jour-là.

Le Mague : Et une fois adulte, comme cette graine s’est développée ?

Joan Pau : Je ne suis pas un violent quand même, mais j’ai toujours essayé de développer au maximum le sens critique. Ne jamais prendre pour argent comptant tout ce qu’on vous dit. Quand j’étais gosse, j’avais un grand-père qui n’était pas un grand lettré mais qui était un mec de la terre. Il avait lui aussi un regard comme ça très critique sur les choses. Mon père aussi, quand De Gaulle est arrivé au pouvoir, il m’a dit, je ne voterai jamais pour un militaire. Ca marque un peu dans la vie ! Puis quand j’ai découvert la littérature, ça tout de suite été, Villon, Rutebeuf. Les classiques, Verlaine, Rimbaud, et le vieux Ferré quoi et Brassens évidemment !

Le Mague : Dans tes chansons, tu parles du prince Kropotkine, de Stirner et dans ton dernier album, tu rends hommage à Zo d’Axa dans « En defora / En dehors ». Pourquoi évoques-tu particulièrement cette haute figure de l’anarchisme individualiste ?

Joan Pau : Zo d’Axa était l’éditeur de ce journal qui s’appelait l’En dehors, et comme je voulais écrire une chanson qui s’intitule l’En dehors, j’ai trouvé cela assez normal de lui rendre hommage, même si je ne parle de lui dans la chanson. C’est un petit clin d’œil. De même que dans « Phalanstères », j’ai rendu hommage à deux individus, « Serge et « Alain play Blessures ». Ce sont Gainsbourg et Baschung. J’ai essayé de travailler dans leur état d’esprit.

Le Mague : Pour en venir à Léo Ferré, que tu as connu et côtoyé, que ressens-tu encore pour ce fameux poète insoumis ?

Joan Pau : Léo était quand même un mec assez secret. Il était gentil mais il n’aimait pas se faire bouffer. Je pense que des gens comme Lavilliers et comme moi, il nous aimait bien. On le voyait quand on faisait des galas ensemble. Mais aussi bizarre que cela puisse paraitre, je ne suis jamais allé chez Léo en Italie de son vivant. Alors que j’y suis allé depuis avec sa femme. C’est quand même drôle. Je crois que dans le livre : (Léo Ferré : Avec le temps / Coma lo temps, éditions le Cherche Midi), j’ai à peu près tout dit ce que j’avais à dire. Ce côté faussement agressif qu’il avait. Et inversement quand il t’avait adopté, il était presque trop gentil. Il était entouré par un paquet de connards de pique-assiettes qui lui tournaient autour. Et comme il était gentil, il ne disait jamais non. Mais je pense que les vrais amis de Ferré, c’était Jean-Roger Caussimon, Maurice Angeli, Paul Castanier, Maurice Frot, c’était sa génération.

Le Mague : Selon quels critères as-tu réalisé le choix des chansons de Léo que tu as traduites en occitan pour l’album que tu lui as consacré ?

Joan Pau : J’ai voulu qu’il y ait un panorama assez global de son œuvre. Il y avait aussi le critère de choix de pouvoir les traduire de façon assez intéressante en oc et l’autre, comme j’avais décidé que l’on ferait des musiques sur des rythmiques, donc avec basse batterie et guitare, on sortait complétement de l’univers classique de Ferré. Il fallait que je choisisse des musiques qui s’adaptent.

Le Mague : Toi qui chante Jour de flemme dans ton dernier album, comment as-tu vécu les grandes grèves d’automne 2010 contre le projet des retraites jusqu’à ce que mort s’en suive ?

Joan Pau : On les a suivies, nous y sommes allés. Que ce soit ce motif là ou les autres, ce qui est insupportable aujourd’hui c’est qu’on est dans une société où le pouvoir n’écoute plus personne. Il n’y a plus de contrepouvoir. Quand j’étais jeune je ne pensais pas que cela pourrait arriver. Aujourd’hui, les De Gaulle, Pompidou, Giscard nous paraissent presque être de braves types par rapport à celui qu’on connait. D’abord, je pense que c’était des gens intelligents même si c’était des gens de droite. Pompidou était un mec très cultivé. L’autre, tu as vu les gens qu’il aime dans la musique et le cinéma, quoi ! Il est con comme un balai. Il est à la solde des grandes sociétés. On est dans une société bloquée complètement. Pour en revenir à ta question, que des grèves aussi importantes n’aient pas donné de suite, c’est insupportable. Cela dit, c’est mon vieux côté anar CNT, je pense que si on avait fait une grève générale d’au moins trois jours de suite, ils auraient cédé. Dans les manifs, on était, 1000, 2000, puis 3000, ça ne changeait rien. Le mouvement il est mort de cela. Si on avait fait des grèves générales de plusieurs jours d’affilée, on aurait vu ce qu’ils auraient fait ses copains bling bling.

Le Mague : Pour en revenir au bon vieux temps des années 80, je parle dans mon article de Claude Villers et José Arthur. Que t’évoquent ces personnes comme souvenirs ?

Joan Pau : José Arthur, c’est quelqu’un qui compte pour moi. C’est le premier mec qui a programmé une de mes chansons à la radio nationale. Et après, il m’a invité régulièrement au Pop Club. Villers, pareil, c’est un gars très intelligent et très cultivé. Je veux dire c’était des vrais gens de radio. Ce n’est pas les têtes de con que l’on a aujourd’hui. Dans une société, tout est lié. Les mecs qui font de la radio aujourd’hui, ils ont la culture de Sarkozy. Quand ils te présentent des chanteurs de merde qui alignent trois mots, et te disent que c’est le fils de Ferré, c’est à hurler de rire.

Le Mague : Quels ont été tes influences musicales rock et textuelles ?

Joan Pau : Ca a démarré très jeune pour moi avec le rock, avec Gene Vincent, Eddie Cochran, Bill Halley. Après, j’ai suivi, les Doors, Deep Purple, Pink Floyd, ect… toute cette culture anglo-saxonne était d’une très grande force à l’époque. Autant je suis un anti américain dans leur way of life, autant au niveau de la culture ça été extraordinaire. Il y a eu évidemment Dylan, Cohen. Et en France, Ferré, Brassens, et des gens comme Gainsbourg dans leur manière de travailler, mais aussi Gérard Manset. Tous ces gens, ça fait partie de toutes les influences qui expliquent ce que je fais aujourd’hui. J’ai une extrême admiration pour Noir Désir. C’était le groupe majeur de la scène française de ces quinze dernières années. Un groupe qui chantait en français avec des textes intelligents.

Le Mague : Par rapport à tous tes albums qui n’ont toujours pas été réédités, penses-tu pouvoir un jour les ressortir chez ta maison de production de L’Yeuse ?

Joan Pau : Cette maison de production n’est pas grosse. Tu as la présidente à côté de moi. On a réussi à obtenir les droits de Tabou et Chantepleure, mais il faudrait racheter tous les droits. Si un jour, beaucoup d’argent rentrait dans la boite, on aimerait bien le faire.

Le Mague : Et as-tu pensé au mode de souscription comme ça se fait beaucoup dans l’édition militante et alternative ?

Joan Pau : Non, on n’y a pas encore pensé. Il faut quand même que je te dise que pour Tabou le chat et Chantepleure, on a réussi à obtenir les droits, seulement pour trois ans ! Universal a gardé encore les droits numériques et ils préservent uniquement leurs intérêts.

Le Mague : Pour en venir au thème de l’occitan, quand tu écris une chanson, tu entends d’abord les paroles en occitan ou en français ?

Joan Pau : Indifféremment, et j’essaie si possible que si le premier jet est venu en oc, je le laisse en oc et si c’est en français, je le laisse en français. Ça veut dire qu’au départ, j’avais déjà une musique dans la tête qui m’avait inspiré quelque chose. Faire de la traduction, je ne vois pas trop l’intérêt.

Le Mague : Actuellement, qu’en est-il de la culture occitane et comment se manifeste-t-elle ?

Joan Pau : Contrairement à ce que pensent les Jacobins, au sens global du terme, la culture oc est très riche. Elle se développe énormément. Dans les années 68, ça marchait bien mais c’était très militant au sens un peu borné. Il y a eu un gros creux dans les années 80. Et tu as eu une cliquaille de jeunes qui ont déboulé, qui t’ont vidé les greniers, et créé des trucs intelligents et plein de choses. Tu as des groupes de rock, jazz, rap, reggae… Familha Arthùs qui est un groupe gascon, ils font de la musique traditionnelle, et quelques fois, tu te demandes si ce n’est pas King Crimson, tellement c’est inventif. C’est d’ailleurs ce qu’ils appellent du « cosmo-trad » (« musique radicale de Gascogne »). Quand je vois le peu d’attention que les programmateurs en radio portent à toutes ces voix, je ne comprends pas. Certains pensent que des analphabètes sont les nouveaux Ferré. Ils ne considèrent pas que ces mecs-là sont créatifs. Autant je trouve que la chanson française aujourd’hui qui passe sur les médias est stérile. Ceux qui font des choses sympas, souvent ce sont des redites. Ils n’inventent rien ou alors c’est rien, ça ne dit rien. C’est du nombrilisme, j’ouvre mon frigo, y’a des yaourts. A Paris, ils adorent ce topo ! Alors qu’il n’y a pas du tout cela dans la culture occitane.

Le Mague : Tu peux nous parler de l’émission de radio que tu animes sur les ondes de France bleu Périgord ?

Joan Pau : Ca va faire maintenant 16 ans. Je fais soit des petites chroniques tous les jours de deux ou trois minutes où je présente des mots en oc, j’explique tout ça. Et le magazine, c’est le dimanche durant une heure, dont le principe est tout bête : on parle en oc. Mais on peut parler de n’importe quoi.

Le Mague : Et par rapport à ton dernier album : Les rêves gigognes constitué de 16 titres peaufinés de très grande qualité, comment as-tu travaillé ?

Joan Pau : C’est un long chemin. Parce qu’il y a des chansons qui ont été écrites il y a 6 mois et d’autres il y a 10 ans. Le principe de base a été simple. Pendant ces 10 ans, je chantais surtout du Brassens et du Ferré, mais en même temps j’écrivais. A un moment, je me suis rendu compte que j’avais envie de chanter du Verdier et que j’avais 30 ou 40 chansons. J’ai trié. J’ai choisi un certain nombre qui était cohérent. Ça ne veut pas dire qu’elles étaient meilleures, mais elles étaient cohérentes dans l’esprit d’un disque. A partir de là, Patrick Descamps avec qui je bosse depuis plus de 20 ans, est venu me voir chez moi. On a commencé à faire des maquettes. On a peaufiné et puis le disque était prêt sous forme de maquette.

Le Mague : Dans cet album, il est question à plusieurs reprises de références littéraires : Mallarmé, la Horla, Nicolas de Staël. Quelle place tient la littérature dans ton œuvre ?

Joan Pau : Si je n’avais pas été passionné de littérature, je ne serai peut-être jamais devenu chanteur. A 14 / 15 ans, comme je te le disais au début, j’étais passionné par les grands poètes. Parallèlement, c’est à cette époque que j’ai découvert Ferré. Pour moi c’est devenu une évidence. On pouvait faire de la chanson, de cette manière.

Le Mague : Peux-tu nous dire quelques mots concernant les musiciens qui t’accompagnent actuellement ?

Joan Pau : C’est des cons !

Le Mague : (Eclat de rire). On coupe. Je vous ai vu en répétition, ce sont des très bons.

Joan Pau : Patrick Descamps, on se connait depuis 91. Il est multi instrumentiste, basse accordéon, arrangeur etc… Didier Berguin, lui c’est pareil. Didier était déjà avec moi dans Bigaroc, cette espèce de groupe hybride que l’on avait formé en 89. Le disque on l’a bossé pendant un an avec Patrick Descamps. On avait besoin d’un autre guitariste, donc Didier et un batteur, Pascal Robert mais un batteur qui apportait quelque chose, qui soit inventif. Seulement hélas suivant les aléas de la vie de musicien, Pascal n’a pas pu se libérer pour nous accompagner sur scène et c’est Thomas Garrigou un jeune batteur qui le remplace et ce soir, ce sera sa première scène avec nous. Sans oublier Franck Lutton à la console son qui fait un travail admirable.

Le Mague : Et si après tout ce que tu as dit de très intéressant, tu as quelque chose à rajouter, oyez oyez ne te gêne surtout pas, c’est avec plaisir. Ou si nada, comment on dit fraternité et amitié en occitan ?

Joan Pau : Oh lala c’est d’une simplicité à pleurer, ça se dit fraternitat et amistats pour amitié. Tu sais que Ferré signait toujours fraternellement. Il ne mettait jamais amicalement. Si, je voudrais dire un mot technique. Autant je suis passionné par toutes les nouvelles technologies d’aujourd’hui qui nous font beaucoup de bien. Je suis horrifié à côté de cela, que les mômes d’aujourd’hui n’écoutent que de la musique en mp3. Ça me hérisse. On est en train de leur façonner l’oreille. On travaille en studio à faire des gros sons de grave. Et avec le mp3, c’est tout est un magma merdeux. Il faudrait dire aux mômes, il faut écouter au moins un cd. De fait, ils ne voient plus la différence entre un bon et un mauvais groupe. Tout est pareil. L’autre jour, avec ma femme Cathie, on écoutait un Deep Purple, et je lui ai dit, ça bouge ! Maintenant ce sont des machines qui donnent le tempo. Ça ne bouge plus mais c’est souvent bien triste…