Histoires de nuls...

Histoires de nuls...

Nous connaissons bien nos grands hommes : mais connaissons-nous nos grands nuls, nos piteux, nos médiocres, tous ces losers que l’histoire tient pour responsables de nos fiascos ? Dans Grands Zhéros de l’Histoire de France, un ouvrage érudit et plein d’humour, l’historienne et journaliste Clémentine Portier-Kaltenbach nous en dresse une liste pas piquée des hannetons…

L’Interview :

Thierry de Fages : Quand a mûri cette idée de ressusciter tous ces « grands zhéros de l’histoire de France » ?

Clémentine Portier-Kaltenbach : Lorsque j’étais chroniqueuse à Paris-Obs, j’avais consacré l’une de mes chroniques à Mirabeau, qui fut à la fois le premier grand homme à entrer au Panthéon et le premier à en sortir ! J’avais constaté qu’étant déjà bien en peine de citer une quinzaine de résidents du Panthéon sur soixante-treize qui y reposent, je serais absolument incapable de donner les noms de ceux qui en étaient sortis. Pourtant, il y en a une poignée. Mais qui étaient-ils ces infortunés héros « dépanthéonisés » ? Ceux qui frôlèrent la gloire pour être ensuite honnis de tous ? En partant à leur recherche, j’ai réalisé que nul historien ne s’était jusqu’alors intéressé à tous ces « ex grands hommes » et partant, à tous ceux ces grands médiocres qui « firent parler d’eux non pour le meilleur mais pour le pire » !

Quel lien établiriez-vous entre Grands Z’héros de l’Histoire de France et Histoires d’os et autres illustres abattis [Lattès, 2007], votre précédent livre ?

Clémentine Portier-Kaltenbach : Ce qui caractérise ces deux livres, c’est une fâcheuse tendance à prendre systématiquement les sujets à « rebrousse-poil ». La plupart des historiens se consacrent à nos grands hommes ? Eh bien moi, je vais m’intéresser à nos nuls ! Ce qui à l’évidence compte dans la vie d’un grand homme, c’est l’œuvre accomplie de son vivant et non ce qu’il advient après sa mort de ses dents, de ses cheveux ou de son tibia… Eh bien, c’est précisément ce à quoi je me suis intéressée dans Histoire d’os. Mais cette compilation d’histoires ahurissantes et souvent drôles sur les restes de nos grands hommes, du cœur de Voltaire au crâne de Charlotte Corday, en passant par le pénis de l’Empereur Napoléon Ier, nous dit quelque chose sur nous-même, sur notre rapport à la mort, à la mémoire. De même pour les zhéros : passé le récit de leurs bourdes, notre volonté manifeste de les oublier définitivement, notre incapacité à « digérer » nos grands échecs collectifs, à en parler, à en tirer les leçons, à les surmonter, cela dit quelque chose d’important et de profond sur le peuple que nous sommes. Donc, je démarre toujours par ce qui pourrait passer au mieux pour secondaire, au pire pour trivial (les os des grands hommes, les nuls de l’histoire), mais je finis toujours par réaliser « à l’insu de mon plein gré » que le petit bout de la lorgnette en histoire peut être très « signifiant ».

Vous signalez dans l’introduction de ces Grands Zhéros de l’Histoire de France que chez nos amis anglais la nullité de leur classe politique et celle de leur armée sont d’intarissables sources d’inspiration. Pourquoi cette différence avec la France ?

Clémentine Portier-Kaltenbach : C’est là une chose que j’envie beaucoup aux Anglais ; vous l’aurez peut-être remarqué, je ne perd jamais une occasion de les épingler dans mon livre : je manifeste une mauvaise foi et une anglophobie totalement assumées. Qui aime bien châtie bien dit-on : les Anglais ne sont-ils pas nos plus anciens et nos meilleurs ennemis depuis Guillaume le Conquérant ? Plus sérieusement, je pense que leur capacité à se moquer d’eux-mêmes – et ils le font avec tant d’humour – provient de la confiance qu’ils ont en eux-mêmes en tant que peuple. Ils sont convaincus d’être le plus grand peuple de l’histoire de l’humanité. Facile, de se moquer de soi même quand on ne doute de rien ! Tandis que nous Français, derrière nos fanfaronnades, doutons bien davantage de nous-mêmes.

Vous établissez une savoureuse hiérarchie chez tous ces « Zhéros »… Et souvent, on peut même leur trouver des circonstances atténuantes. On songe par exemple à ce pitoyable Medina Sidonia, qui face à un suzerain borné, lui signale – en vain – sa totale inexpérience de la guerre en haute mer…

Clémentine Portier-Kaltenbach : C’est le seul exemple étranger que je me sois autorisée à citer dans le livre, mais vraiment pour Medina Sidonia, je ne pouvais pas résister. Le grand amiral des mers océanes écrivant à son roi qu’il ne saurait accepter la responsabilité de la flotte pour cause de mal de mer… avouez que c’était du caviar pour une dénicheuse de nuls ? Bien sûr, le roi d’Espagne Philippe II a une grande part de responsabilité dans cette histoire : il s’est entêté dans son choix d’un parfait marin d’eau douce pour diriger la plus grande flotte jamais réunie jusqu’alors. Le plus nul des deux n’est pas forcément celui qu’on pense. Mais « un général a toujours tort lorsqu’il a perdu », tandis qu’un roi n’a de compte à rendre à personne, sinon à la postérité.

Certains personnages historiques évoqués dans Grands Z’héros de l’Histoire de France frappent par leur penchant à la mythomanie. On songe à ce très atypique Yves de Kerguelen, dont vous contez par le menu la curieuse trajectoire…

Clémentine Portier-Kaltenbach : J’aime beaucoup le personnage de Kerguelen. C’est un grand baratineur, mais c’est aussi et surtout un excellent marin. Certains lecteurs m’en ont voulu de le faire figurer parmi les grands zhéros. Mais c’est oublier que le principe qui préside à ma recherche n’est pas d’accabler quiconque, mais plutôt de tirer de l’oubli avec indulgence certains personnages parfois très injustement « jetés avec l’eau du bain » de l’histoire. Kerguelen raconte n’importe quoi à Louis XIV à propos de sa supposée extraordinaire découverte ! Oui, c’est un menteur, mais il a bel et bien navigué jusqu’aux Kerguelen même s’il n’a pas mis le pied sur l’archipel.
Les seuls zhéros véritablement antipathiques à mon avis, sont Chaumareys, capitaine de la Méduse et Jean-Baptiste Suard, le censeur de Louis XVI.

Il y a également cette invraisemblable histoire de complot de Malet – que vous classez comme « faux-nul » aux côtés de Charles VI et de Paul Deschanel -, général d’opérette (!) qui propage la – fausse – nouvelle du décès de Napoléon Ier… Comment percevez-vous le cas Malet ?

Clémentine Portier-Kaltenbach : Malet est un malheureux dont les ambitions déçues ont fait un obsessionnel mégalomane. Un mot de l’Empereur reçu dans sa prison aurait probablement suffit à le rendre instantanément bonapartiste ! Mais ce qui est extraordinaire dans la mésaventure de ce piteux comploteur, c’est le moment où il a cette idée de génie de faire passer l’Empereur pour mort. Napoléon est à Moscou, les nouvelles mettent une semaine à arriver jusqu’à Paris, sa mort est donc crédible. Qu’aurions-nous fait vous et moi à la place de ces officiers qui voient débouler un général péremptoire (la femme de Malet lui a fait passer un uniforme) braillant des ordres après avoir lu une fausse déclaration aux armées.

Certains de ces « nuls » sont quand même un peu plus présents que d’autres dans notre mémoire historique, comme Bazaine, qui semble faire l’objet d’un mépris et d’une haine unanimes…

Clémentine Portier-Kaltenbach : Parmi les historiens rencontrés depuis la parution de mon livre, il ne s’en est pas trouvé un seul pour défendre Bazaine. Au hasard du Salon du livre de Metz, j’ai rencontré une dame assez âgée qui m’a dit que lorsqu’elle était petite et qu’on la grondait, ses parents lui disaient « Ach, welche Bazaine ! » c’est-à-dire « Quelle Bazaine tu fais ! » ce qui était pour un Messin la pire des insultes.

D’autres zhéros de votre livre nous apparaissent presque sympathiques voire compétents comme ce Dupleix, dont bon nombre d’entre nous connaissent davantage le nom de la station de métro…

Clémentine Portier-Kaltenbach : La postérité a rendu justice à certains d’entre eux jugés pourtant comme nuls en leur temps. Ce sera en effet le cas pour Dupleix : si les directeurs de la Compagnie des Indes n’avaient pas bêtement exigé son retour, les Indes auraient été françaises. C’est le cas également pour l’amiral de Grasse. Après être passé en cour martiale, il est exilé dans ses terres par Louis XVI pour avoir perdu le navire Amiral Ville de Parais au cours de la bataille des Saintes, alors qu’il est le grand héros de Yorktown permettant à la guerre d’Indépendance américaine de connaître un vrai tournant. De Grasse est un héros depuis bien longtemps pour les Américains avant d’être réhabilité côté français.

Parmi tous ces insolites personnages historiques, quels seraient ceux à votre avis qui mériteraient au moins une biographie ?

Clémentine Portier-Kaltenbach : Il existe des biographies de Kerguelen, de Boulanger, de Soubise, du comte Léon et même du général Malet (en tout cas un livre sur son complot), il me semble également que Bazaine a fait l’objet d’une biographie très récente [François Christian Semur, L’Affaire Bazaine, un maréchal devant ses juges, éditions Cheminement, 2009]. Mais voyez-vous, même si certains de nos grands zhéros ont été injustement jugés par leurs contemporains, ils ne sont pas forcément passionnants au point qu’on leur consacre un livre entier.

L’aspect tragique de l’Histoire prend parfois l’apparence d’un sketch des Marx Brothers. L’humour alerte qui se dégage de votre ouvrage rend finalement tous ces personnages très vivants et nous amène aussi à nous interroger sur leur subjectivité. Parmi tous ces personnages singuliers, lesquels pourraient faire l’objet d’une réhabilitation partielle dans l’historiographie à venir ?

Clémentine Portier-Kaltenbach : Il me semble que c’est le travail auquel s’attelle la dernière biographie consacrée à Bazaine. Peut-être une biographie de Chaumareys, tendant à alléger sa responsabilité dans la tragédie ne tardera-t-elle pas non plus à paraître ? Mais là, avant de parvenir à réhabiliter cet amiral de bateau-lavoir, son futur biographe peut s’accrocher au bastingage !

Grands Zhéros de l’Histoire de France, Clémentine Portier-Kaltenbach, éditions JC Lattès, 302 pages, 2010
Prix : 18 euros