PROMETS-MOI DE MENTIR, par Nicole Delor

PROMETS-MOI DE MENTIR, par Nicole Delor

Nicole Delor s’était faite favorablement remarquer dès son premier roman, Vérités égarées, publié chez le même éditeur l’année dernière. Pas une mauvaise critique, ç’aurait d’ailleurs été injuste, et le respect immédiat du landerneau des Belles Lettres ! La voilà qui nous revient déjà, avec un nouveau roman tout en émotion, entièrement voué à l’humain et à l’exploration des sentiments, écrit dans une belle langue qui nous entraîne au cœur de la Provence…

« Au secours !! De la lavande et des cigales !! » J’entends déjà les sirènes germanopratines et tirer la sonnette d’alarme du régionalisme, comme si la littérature se limitait aux frontières mondaines de deux arrondissements de Paris. Eh viémon !..
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Voilà en réalité un roman fort intéressant, écrit plus largement qu’alentour du nombril et disséquant les âmes sur trois générations d’égarés…, comme nous le sommes un peu tous. Chacun s’y reconnaîtra, chacun reconnaîtra les siens, le Bon Dieu comme les autres, qui dans Camille, la jeune femme qui est l’héroïne de ces pages, qui dans cet homme retranché dans son mas et dans son mystère, qui dans cette vieille tante qui est la jeunesse même, libre et truculente, comme on en a tous croisé une, de ces mères Noël qui distribuent le bonheur de vivre autour d’elles…

Voici pour les personnages, je ne voudrais pas déflorer l’histoire, ça pourrait être à l’eau de rose, c’est au vin de Bandol ! Des êtres qui se cherchent, qui se rencontrent, qui se trouvent et se retrouvent, entre la vérité et le mensonge… C’est comme du Anna Gavalda, je dis ça pour les lecteurs d’Anna Gavalda qui sont nombreux et qui ne seront pas déçus en découvrant Nicole Delor… Mais c’est du Nicole Delor, je dis ça pour les lecteurs qui se foutent comme d’une guigne d’Anna Gavalda, et qui sont au moins aussi nombreux.
« plongez-vous aussi dans cette histoire, vous y retrouverez des goûts d’enfance, des histoires d’amour et si vous n’avez pas, comme nous, la chance d’être habitué à cet endroit magique, allez-y faire un tour pour en goûter à votre tour la saveur », écrit Marcel Rufo dans sa préface… et il a raison ! Quant à nous, faisons déjà un tour du côté de l’auteur, en lui posant quelques questions, car au Mague on aime les interviews exclusives !

Serge Scotto :
Joli titre…

Nicole Delor :
Ce n’était pas mon premier choix, c’est plutôt celui de l’éditeur, mais c’est vrai que c’est un roman qui utilise toutes les ressources du mensonge.

S.S :
Ton premier roman s’appelait « Vérités égarées » : le mensonge, c’est une obsession chez toi… ?

N.D :
Mais le mensonge, c’est la vie ! La vie serait intolérable sans le mensonge, il faudrait être fou ou pervers pour ne jamais mentir… Ainsi dans la vie de tous les jours, nos émotions brouillent parfois nos sentiments et on n’est plus toujours à la hauteur de la nécessité de mentir… et vous remarquerez que c’est là que les histoires commencent ! Au moment des quatre vérités, si tu veux…

S.S :
Y a une part autobiographique ?

N.D :
Oui et non, comme souvent dans les romans… Ce qui est vrai, c’est que, dans les mêmes conditions que je l’écris dans le livre, ma fille était persuadée que son père était mort et que je lui mentais. J’ai dû moi aussi l’amener jusqu’à l’hôpital, malgré que ce n’était pas beau à voir, pour que comme saint Thomas elle me croie.

S.S :
Tu t’es offert une préface de Rufo, suivie d’une introduction superbe de Robert P. Vigouroux, l’ancien maire de Marseille, auteur lui-même, mais qui ici apporte surtout son regard de fin lecteur et de neurochirurgien ! C’est tout, mazette ?! Le Pape n’était pas libre pour un petit mot… ?

N.D :
(rire poli) C’est une histoire d’enfants et de mensonges, d’où le choix des contributeurs. Mais c’est vrai que je suis très gâtée, j’ai eu les deux que je voulais, qui tous les deux ont aimé le manuscrit. Marcel Rufo m’a demandé « Dans votre histoire, est-ce qu’au moins les animaux sont vrais ? » Oui, je lui ai répondu, tous les animaux du livre ont par contre bel et bien existé… J’aime beaucoup les animaux, ils nous apportent énormément.

S.S :
Tu en parles très bien… Tiens, d’ailleurs, d’auteur à auteur, qu’est-ce qui t’es le plus difficile à l’exercice de l’écriture ?

N.D :
Les descriptions… Je les reprends, je les modifie, je les change, car ce n’est pas mon truc. Mais j’y arrive !

S.S :
T’as des astuces… d’auteur ?

N.D :
Je prends soin de toujours mettre le rire au cœur du drame. Je garde l’esprit du vaudeville… et d’ailleurs mon plus grand plaisir est l’écriture des dialogues ! Plus jeune, j’écrivais du théâtre et j’adorais ça : je crois que je continue d’écrire mes romans comme du théâtre.

S.S :
L’humour, c’est important pour toi, derrière ton côté sérieux de chef d’établissement (que tu es) ?

N.D :
Oui, mais je me rends compte que côté humour, je ne comprends que le mien. Oralement, d’ailleurs, je ne sais pas l’exprimer… mais à l’écrit, oui ! Mon mari et mon fils, par exemple, font de l’humour que je ne comprends jamais. C’est désolant…

S.S :
Dans chacun de tes romans, il y a une femme qui hésite entre deux hommes…

N.D :
En l’occurrence, là, elle n’hésite pas !... J’avais peur d’avoir un peu forcé le trait, mais je vois que plein de jeunes lectrices me disent « Pas du tout ! Des mecs comme ça, ça existe. » Les mecs, quant à eux, me disent, et Rufo me l’a dit aussi, que mes romans servent pour les hommes à une investigation de la nature féminine. Savoir ce que les femmes ont dans la tête éveille leur curiosité… et mon héroïne, Camille, agit comme je me regarderais agir, se parlant à elle-même en quelque sorte, et très franche du coup, parce que franche avec elle-même… Ce qui n’est pas forcément le cas dans la réalité, je le concède.
Pour moi c’est difficile, mais j’ai senti qu’il fallait que j’écrive l’histoire de cette jeune femme, réfugiée dans ce mas après sa rupture avec un sosie de Georges Clooney, qui ne me ressemble pourtant guère (la jeune femme NDLR)… sur le mode du « je ». On la regarde grandir dans sa détresse, comprendre et apprendre à pardonner. Tourner la page est une expérience toujours délicate…

S.S :
Excuse-moi d’y revenir, mais Camille, c’est quand même un peu toi ?

N.D :
Oui et non… Je me reconnais tout autant dans la tante farfelue, voire la grand-tante de 77 ans…

S.S :
C’est un peu le sujet du livre : jusqu’à quel point peut-on mentir à un enfant ?

N.D :
Il me semble que personne n’a la réponse… Ce qui parait certain, c’est qu’il faille mentir intelligemment, dans une juste mesure et avec efficacité…
Cet homme fait ce qu’il peut, lorsqu’il ment à son enfant pour tenir une promesse faite à sa femme, la mère, disparue. Dans la vie, et ça c’est sûr, on a tous besoin d’aide, parfois… et Camille apportera son aide à Raphaël, qui vit reclus dans son mas paradisiaque, cage dorée de son drame intérieur, avec ses deux enfants… Camille, elle, se dit d’abord que c’est un bel assassin, c’est quand même une femme… et elle est séduite. Elle veut le tirer d’affaire, c’est bêtement amoureux. Mais elle va découvrir la vérité entière et persuader cet homme d’accomplir un certain de voir de père, en révélant une partie de cette vérité à ses enfants.

S.S :
C’est un roman d’amour ?

N.D :
Tu dis ça comme un mec, avec une grimace dans la voix. C’est un livre d’amour, oui… J’y balaie tous les registres de l’amour, tous les amours possibles, l’amour tout court…, l’amour dans le couple, l’amour des enfants, bien sûr, mais aussi l’amour d’une région, du bon vin et des petits oiseaux, l’amitié… L’amour de la vie ! Comme cette grand-tante qui ne veut plus aller à l’aquagym, parce qu’il n’y a que des vieux qui se plaignent tout le temps, et qui s’achète un cabriolet pour s’éclater.

S.S :
T’as une écriture assez impressionniste, si tu vois c’que j’veux dire… J’aime bien…

N.D :
Je cherche une littérature qui tienne tous les sens en éveil… Je vois mes histoires comme des films et quand je les retranscris, en fait j’essaye d’en faire passer les couleurs, qu’on en entende même la musique, qu’on respire les parfums qui en émanent, les odeurs de cuisine…

S.S :
Une sorte de 3d littéraire et sensorielle… C’est vrai qu’on se sent bien, dans ta bastide !

N.D :
Merci ! Pour créer ma bastide, je me suis inspirée de la ferme de mon grand-père, c’était un vignoble, un « coteaux d’Aix », qui a été vendue quand j’avais cinq ou six ans… Je ne m’en suis jamais remise… C’est là où j’ai appris à grimper aux arbres, là où se cachent mes souvenirs d’enfance. Je suis une grande sentimentale en réalité, très attachée, même si professionnellement, en tant que chef d’établissement comme tu l’as rappelé, je joue la dure !
Mais ta remarque sur la bastide où il fait bon vivre est d’autant plus juste que ça m’a posé un problème d’écriture : je n’arrivais pas à rendre cette maison oppressante, alors j’ai cherché la solution ailleurs… et j’ai imaginé cette étrange piscine couverte dans les chais de vin, par moment idyllique, mais terrible en même temps, profondément angoissante…

S.S :
Hou ! Arrête, j’ai peur ! J’entends la musique des dents de la mer !...
Pour finir culturellement, quel est ton écrivain marseillais préféré ?

N.D :
(rire poli) Serge Scotto…

S.S :
Bravo ! Tu gagnes une interview dans le Mague, ce merveilleux webzine

PROMETS-MOI DE MENTIR, par Nicole Delor
Aux éditions Jacques-Marie Laffont