Joan Pau Verdier, « la graine d’ananar » d’Oc !

Joan Pau Verdier, « la graine d'ananar » d'Oc !

Frangin d’un Léo Ferré d’Occitanie, Joan Pau Verdier jacte et s’accorde une langue multiple, « c’est savoir te parler malgré les dictionnaires ».Il déploie de sa voix chaude et grave des vers chantés de la langue verte et française, en litanies d’oc sur des angliches rapsodies folk rock, blues jazz, reggae… aux timbres d’anarchie de l’En-dehors. Il décanille les frontières depuis 1973 et nous sort un nouvel opus « Les rêves gigognes » (2010). Encore de nouveaux horizons et, cerise sur le gâteau, Joan Pau nous offre, comme un Cri dans un tableau, la réédition en CD de « Tabou-le-Chat » (1977), chef d’œuvre absolu ainsi que « Le Chantepleure » (1979) et en plus une scène dans son pays, le 5 février. C’est trop ! Encore bravo, merci. Fraternité l’anartiste !

Tout a commencé par un article dans Sud-Ouest de janvier 2011 informant de la sortie de son album Les rêve gigognes. Le Bartos me l’a brandi sous le pif en me piaillant son amour de ces régions retirées, qui aurait comme raison d’être un nom, celui de Joan Pau Verdier ! Déjà ado parfait parigo tête de veau boutonneux en banlieue, le Franckos ne rêvait que d’une chose : se barrer de ces contrées polluées et surpeuplées à outrance. L’oreille collée au poste radio, il déménageait déjà de la pensée en voyages lointains. De José Arthur sur France Inter qui surnommait Joan Pau : le cocker, du fait de sa crinière rebelle, à Claude Villers, qui un soir squatta la station Auber pour inviter en direct dans son émission Joan Pau, Djamel Allam le kabyle… à venir réveiller les rats des villes du métro boulot dodo tombeau. J’y étais pardi, quel pied ! Puis je l’ai revu entre autre au Soleil dans la tête, un café-théâtre à Champigny (94), ancêtre par l’esprit du Forum Léo Ferré à Ivry sur Seine. Il a débuté à se chauffer du bois aux planches des cafés théâtres avec sa guitare en bandoulière, comme du temps de son premier 33 tours Occitania Sempre / Occitanie toujours en 1973, sobre et dépouillé avec moitié de face en occitan et l’autre en français. Sur scène il électrisait son public. II se démenait aux accents rock coco. Figurez-vous que Joan Pau a toujours refusé de se laisser enfermer dans les carcans des intégristes occitans, qui le conspuaient d’être entré chez une major pour cultiver son art de la chanson et se mélanger les pinceaux entre la langue franchouille et l’occitane. Gilou Servat depuis sa Bretagne, encore un autre insoumis aux dogmes en vigueur, avait raisonné tout comme lui. Ces deux poètes que j’admire se ressemblent.

Je suis la témoin de la fête. Et même que le Franckos devenu enfin grand a effectué sa mue pour quitter définitivement Paname pour le Sud-Ouest (la Pointe du Médoc). Merci Joan Pau, voisin du Périgord, pour le passage du témoin vers ces contrées où il est si agréable de vivre !

Si je devais évoquer toutes les révolutions et les rencontres déterminantes de Joan Pau, tant avec des poètes occitans que de musiciens, un cinéaste… au cours de ses différents albums, je devrais noircir au moins dix feuillets. Chaque nouveauté est le fruit muri d’une démarche poursuivie pour se démarquer de ses précédentes. Le folk additionnel et ses accords occitans de ses débuts ont vite laissé place rase aux sons rock. Surtout je trouve à partir de Vivre (1976), une chanson reprise d’Occitania sempre électrisée, qui donna son nom à l’album. C’est une merveille de joie de vivre !

Vivre à la déraison jusqu’à ce qu’amour suive et se laisser bercer par un sommeil d’été au bord de la folie au sommet d’un délire. Vivre chaque désir, et ne mourir… jamais. Vivre ! Vivre !

Le Franckos la fredonne tous les jours et s’en réjouit comme d’un art de vivre ! Dans cet album encore, La malvesine est un hymne universel à toutes les femmes libres de la révolution libertaire espagnole et à toutes les autres actuelles des villages qui s’émancipent et réfutent les enfermements dans la norme et les apparences rances. Je l’ai parfois croisée à l’orée des chemins et même dans la série de la Tendre Violette du dessinateur Jean-Claude Servais. Avec sa sensualité à fleur de peau, Joan Pau a rendu un hommage à cette femme incarnation de la rebelle indomptable, si rare dans le domaine de la chanson que c’en est une véritable réjouissance.

Je pense que l’anartiste, qui se respecte, ne vous aura pas échappé dans la riche et expressive personnalité de Joan Pau Verdier. Il faut être foutrement anar pour se jouer des langues sans frontière, les mélanger, les baiser les unes entre elles pour en jouir des mots d’occitan, d’argot, de poétique ciselée et même d’anglich. La filiation avec le père Léo Ferré saute aux esgourdes. Et ce n’est pas du tout un hasard si Joan Pau dès son second 33 tours (L’exil en 1974) lui dédie Maledetto Léo ! Puis un an plus tard il brise encore ses chaines avec son adaptation très réussie de Ni dieu, ni maître qui s’intitule en occitan : Ni diu, ni mestre qui apparait pour la première fois dans son album Faits Divers.

Enfin, en 2001, parait Léo, domani, 17 titres ! On peut aussi tirer des plans en parallèle entre leurs deux Marseillaises qui se répandent et se répondent à l’unisson.
Laisse-les se leurrer, se goinfrer d’uniforme / Laisse-les ces voyeurs d’un pays décadent / Lorgner leur beau drapeau sans chatoiement ni formes / Sous ma feuille de vigne je réinvente Adam. (Joan Pau Verdier)

D’ailleurs de son vivant, Léo avait offert son accolade fraternelle à Joan Pau mais aussi à Mama Béa Tekielski et son admirable interprétation pour Les anarchistes à la guitare électrique.

Autre filiation de son époque, François Béranger et son Paris Lumière (in L’alternative, 1975) me renvoie au concept autour d’un groupe soudé qui délie son fil conducteur. Chez Verdier, ce sera entre les pattes de Tabou-le-chat noir (1977) porté par un Alain Markusfeld guitariste pas manche du tout. Un cri primal, un cri d’animal.

Achagadabra / C’est un cri d’amour / En langue chat / Trois p’tits tours / S’en va puis revoilà / Tabou-le-chat.

J’aime aussi son optimisme et son sens de l’hospitalité à la marginalité qui tonne la tempête ras les murs. Mais si un jour t’en as trop marre. / Sois pas tout seul paumé, viens donc nous voir. / Peut-être qu’à plusieurs on peut changer ce fourbi. / Et fleurir-mérogis en paradis… (Ballade pour un paumé)

Tabou parfait en tout, sans doute l’album le plus marquant et le plus réussi de Joan Pau. Et O joie, il est enfin réédité en CD depuis 2010 par L’Yeuse Productions ainsi que Le Chantepleure (1979) avec l’accord d’Universal (ce n’est pas trop tôt) qui les laissait gentiment croupir dans l’oubli. J’ose espérer que ce n’est qu’un début, continuons le combat avec Joan Pau pour que tous ses 33 tours ressortent au grand jour sous le control total de son auteur. Ce ne serait que justice et respect pour lui.
Ce Chantepleure à la Villon, sa poétique irradie en français tout l’album. Tristan-la-Poisse, en contre point masculin d’une divine malvesine, décline ses rêves fous en berne. Laissez-moi le droit de rester fou. / Loin de vous malgré vous / Tout seul dans mon coin comme un hibou / Je sais tout je vois tout / Sous mes projecteurs je m’émerveille / J’appareille n’importe où / Moi, j’irais plus loin que vos soleils / Vos soleils je m’en fous. Il y a aussi le flip qui écorne la vie d’artiste. Au firmament des décibels / où l’on se gave de messages / le décorum s’est fait la belle / mais toi t’as raqué au péage / ne croit jamais ce qu’on te dit / y’a pas plus salaud qu’une idole / même en chialant le vendredi / c’est pas Dimanche qu’on rigole / Je te montrerai ce décor / d’après concert d’après suicide / quand le dernier bravo / s’endort sur la lucidité du vide (in le droit à l’oubli). Oh yeah, la superbe gratte de Pierre Fanen qui tire les cordes de son archer sur ce texte d’orfèvre. La qualité de l’artisanat, c’est l’artiste dans tous ses états !

Tout chaud comme un cœur d’artiste qui bat à l’unisson au tempo de ses accords changeants, Joan Pau le rêveur éveillé pose ses battements entre vos mains ouvertes. Il révèle alors Les Rêves Gigognes, (2010), 59 ‘ 57 de frondes textuelles orchestrales. La parité occitan / français est respectée. J’adore son Jour de flemme et m’y retrouve. C’est un jour-farniente / Re Nada ou Niente / Une journée occitane / Comme un reflet de Toscane / E bene, è quasi bene. C’est extra, Bradint-Bradau e Fau que Brau / En désordre et vaille que vaille, rock occitan prononcé qui me dézingue les guiboles en fariboles. Ses Phalanstères qu’il dédie à Serge et Alain « Play Blessures », il assure le verbe en verve. J’ai revu ma revue d’affectif / Mes imparfaits du subjectif / Je fuis la fugue / Et te conjugue / de repères / En repaires / Phalanstères. Il nous offre même un instrumental : Capforcas / Croisées des chemins qui friponne un accordéon au souffle chaud à se bouger les crocus. J’ai craqué au refrain en chorus occitan de Nuéit de l’euse / Nuit de l’yeuse. J’ai été subjuguée par son reggae En-defora / En-dehors en souvenir de Zo d’Axa l’éternel insoumis anarchiste individualiste.

La place me manque pour vous conter tout mon enchantement à l’écoute de son dernier opus. Je perçois encore une osmose avec ses musiciens, j’y reviendrai forcément puisque je serai présente au concert de Joan Pau à la Fabrique de St Astier, le samedi 5 février à 21 heures.

Juste un mot pour vous dire que vous pouvez écouter Joan Pau jouir avec la langue occitane et lui rouler des pelles de sa belle voix grave, sur les ondes de France bleu Périgord.

Pour l’amitié des insoumis / de Villon à Wooddie Guthrie / pour l’ombre qui règne à minuit / sur une armée de déserteurs / je suis le dernier chantepleure.

Joan Pau Verdier : Les Rêves gigognes, 16 titres, 59 ‘ 57, produit et distribué par L’Yeuse Productions, 2010
Joan Pau Verdier : Tabou-Le-Chat et Le Chantepleure, produits et distribués par l’Yeuse Productions, en vente exclusivement sur internet en paiement PayPal ou chèque sur le site officiel de Joan Pau : www.joanpauverdier.com
Concert Joan Pau Verdier à la Fabrique de Saint Astier, le samedi 5 février à 21 heures

A suivre l’interview de Joan Pau Verdier…