Les Fleurs gelées

Les Fleurs gelées

Le metteur en scène Léonard Matton surfe sur d’énigmatiques Fleurs gelées au Théâtre 13 : rythme endiablé, réalisme grinçant, fureur baroque et vapeurs nordiques au programme…


Les Fleurs gelées ? Drôle de titre pour une pièce qui se profile comme un drame historique… En fait, cette appellation a pour origine une phrase prononcée par l’un des principaux personnages – Sygne, la sœur de Margit – qui déclare être « une fleur touchée par la gelée ». Mais avant d’aborder cette histoire aux engelures diversifiées, un léger retour s’impose. Nous sommes dans la salle du Théâtre 13, pleine comme d’habitude. Selon un rituel immuable, la directrice de ce lieu théâtral réputé recommande à ses ouailles d’éteindre leurs portables.

Puis la tragi-comédie commence… Petit clin d’œil à notre monde contemporain, les comédiens de la Compagnie A2R renchérissent d’une voix d’outre-tombe sur ce précieux conseil – la sonnerie du téléphone portable étant le fléau des salles de spectacle ! Puis ils attaquent mine de rien leur petite entreprise théâtrale. Nous sommes plongés au XVIIe siècle dans un décor onirique mais sobre, qui nous renvoie à l’univers médiéval : un château, quelque part dans le royaume de Suède.

En fait, Les Fleurs gelées est une adaptation libre de pièces de jeunesse – La Fête à Solhaug et La Femme de Sire Bengt - des deux principaux dramaturges scandinaves du XIXe siècle : le Norvégien Ibsen (1828-1906) et le Suédois Strindberg (1849-1912). Au premier abord, l’histoire des Fleurs gelées peut paraître conventionnelle avec ses personnages typés : les deux sœurs (Margit et Sygne) éprises du même seigneur, le bailli puissant, jaloux et plutôt harceleur (Knut Goesling), un roi soupe-au-lait et grotesque (Gudmund Gauteson), l’amoureux inquiet et bon bougre (Bengt Alfson)… Mais au fil de cette pièce des plus baroques, les divers protagonistes des Fleurs gelées - par l’étalage de leurs échecs - nous amènent à un constat psychologique plus nuancé, nous éclairant davantage sur les motivations de chacun.

Quant au jeu théâtral, nous sommes quelque part entre Molière et Shakespeare avec une touche de fatalisme nordique. Ecrin idéal, le décor médiéval abrite les mille péripéties qui agitent le château : coups d’épée, fioles de poison, meurtre à la suite de la fête de mariage… Mais ce cadre romantique semble surtout de faire-valoir aux textes d’Ibsen et de Strindberg qui à travers ces pièces de jeunesse s’interrogent sur l’évolution de la société du XIXe siècle, confrontant sa modernité « arrogante » à un environnement barbare. Dans Les Fleurs gelées, les phrases crépitent, aussi drôles qu’imprévues, mêlant humoristiquement un quotidien bordélique aux vagissements existentiels comme dans le « Hélas, nous sommes mariés » lancé par Bengt à Sygne.

Le système narratif des Fleurs gelées, qui s’étale sur trois journées d’été et trois années, permet de décrire le tiraillement du couple Bengt/Sygne, confronté au désir, à la solitude, au pouvoir ou à la liberté. La mise en scène de Léonard Matton évite habilement les effets faciles. Ce qui frappe dans cette création des Fleurs gelées, c’est cette parfaite aisance du jeu des comédiens et cette diabolique efficacité dans les transitions, qui cohabitent avec habits, lumières et musiques. La scénographie, à la fois prenante et discrète, rend hommage à la flamboyance des mythologies scandinaves.

Une musique contemporaine enveloppante, d’opportuns jeux de coupes lumineuses et des chants humoristiques entonnés par la troupe AZR contribuent à la séduction trouble de cette tragi-comédie décapante. L’on signalera également les costumes extravagants d’Agatha Ruiz de la Prada, lorgnant vers les univers du cirque et de la haute couture fantasque. Leurs couleurs bigarrées et formes géométriques déroutantes accentuent l’ambivalence comique des personnages.

Au final, une pièce déconcertante, à la fois drôle et ténébreuse, qui offre un fort climat et un superbe jeu théâtral !

Durée : 1 h 20 (sans entracte)

A signaler : Rencontre avec Léonard Matton, et toute l’équipe artistique, dimanche 23 janvier 2011 à 17 h (à l’issue de la représentation de 15 h 30) – entrée libre. Rencontre animée par Juliette Rigondet du magazine l’Histoire, avec la participation de l’historienne Corinne Péneau

Les Fleurs gelées (création)

Tragi-comédie baroque de Henrik Ibsen et August Strindberg

Mise en scène de Léonard Matton

Texte édité aux éditions Les Cygnes, collection « les inédits du 13 » - en vente à l’issue de la représentation (10 euros)

Du 4 janvier au 13 février 2011
Représentations le mardi, mercredi, vendredi à 20 h 30, le jeudi et samedi à 19 h 30, le dimanche à 15 h 30

Théâtre 13 – 103A boulevard Auguste Blanqui – 75013 Paris (métro Glacière)

photos © : Ludovic Sigaud