Kinok.com : « un site d’amateurs de cinéma dans le sens de ceux qui aiment ».

Kinok.com : « un site d'amateurs de cinéma dans le sens de ceux qui aiment ».

Certes, il existe pléthore de sites de cinoche sur la toile ! Seulement, si rares est au rencard la qualité humaine à titre gratuit dans un esprit généreux de partage des connaissances et des analyses fines. Kinok.com est de ceux-là ! Il s’intéresse à la richesse de la diversité cinématographique et à la marginalité. Laurent, son érudit créateur, a bien voulu répondre à mes questions. Je vous souhaite à votre tour d’aller à la rencontre de ce site vraiment unique. Bonnes toiles à toutes et à tous en connaissance de cause et vive le cinéma vivant et singulier.

Le Mague : Bonjour Laurent, peux-tu présenter Kinok.com ?

Laurent : Avant Kinok, j’avais réalisé toute une série d’entretiens avec des cinéastes (Goupil, Depardon, Dumont, Haneke, Klapisch …) et des personnalités ayant un lien avec le cinéma (le dessinateur Gotlib, le critique André S. Labarthe, le chef opérateur Raoul Coutard …) pour « Désaxés », une émission de cinéma sur l’antenne de Radio Libertaire (89.4). Puis, internet est apparu et l’idée de donner une seconde vie à tous ces entretiens via un site a fait son chemin. C’est ainsi qu’en novembre 2003, Kinok.com est né sur le web.
Par la suite, Nachiketas Wignesan, un ami critique (que j’avais rencontré au sein de la revue « Repérages ») m’a proposé de mettre en ligne certaines de ses analyses. J’ai donc ouvert une rubrique « Critiques et analyses de films ».
Puis plus tard encore, une attachée de presse (Fleur Trokenbrock des Editions Montparnasse) a lu l’entretien avec Jean Rouch et m’a contacté pour me proposer de chroniquer un coffret DVD de ses films. J’ai donc ouvert une rubrique DVD au sein du site. Kinok évolue donc en fonction des suggestions des uns et des autres, c’est dans cet esprit que je parle de site « communautaire » même si je trouve ce terme un peu pompeux…

Le Mague : Justement, je lis toujours avec autant de passion et de plaisir la rubrique DVD.

Laurent : Aujourd’hui elle est la partie la plus active du site et s’est plus largement développée mais finalement, c’est intéressant de parler des films hors de l’actualité brûlante de leur sortie.

Le Mague : Comment se situe ton site dans le paysage cinéphile sur la toile ?

Laurent : Il est assez difficile de dire comment se situe Kinok par rapport aux autres sites et blogs de cinéma qui sont très nombreux sur la toile. En toute modestie, je pense que la pertinence de Kinok réside dans la qualité d’écriture de ses rédacteurs, la finesse de leurs analyses et dans l’intérêt pour un cinéma disons plus « marginal ».

Le Mague : Comment fonctionne le comité de rédaction et qui sont les rédactrices et rédacteurs ?

Laurent : Kinok ne fonctionne pas comme une revue de cinéma traditionnelle du fait même de sa géographie éclatée. C’est une pure création du web dans le sens où les rédacteurs écrivent aux quatre coins de la France et ne se sont pas forcément croisés dans la réalité. Les premiers rédacteurs étaient issus de mon entourage, puis dans un second temps, le comité s’est étoffé de « candidatures spontanées » mais je me suis aperçu que la qualité d’écriture était plus aléatoire et les approches de films pas très intéressantes. L’ère du blog est apparue et j’ai donc choisi de « caster » mon nouveau comité en contactant des blogeurs dont j’appréciais particulièrement le style. Kinok est donc un site d’ « amateurs de cinéma » dans le sens de ceux qui « aiment ».

Le Mague : Qu’est-ce qu’un cinéma d’auteur ou alternatif dont Kinok.com se réclame ?

Laurent : La notion de « cinéma d’auteur » est toujours un peu délicate à employer. Cela peut paraître pédant, péremptoire … disons que le cinéma qui nous intéresse est celui dont se dégage un style personnel, « un cinéma qui s’exprime avec une singularité opportune, c’est-à-dire inopportune… et qui enfonce une griffe dans l’époque », pour reprendre les jolis mots de Cocteau. Et l’on peut retrouver cette singularité autant dans le cinéma aride de Bruno Dumont que dans comédies déjantées des Frères Farelly. Quant au terme « alternatif », je l’emploie simplement pour dire que nous aimons le cinéma peu ou mal vu, oublié et méconnu : documentaire, expérimental, cinéma de genre (western, giallo, porno chic…) … redessiner une autre histoire du cinéma en dépoussiérant certaines perles rares et cinéastes sous-estimés ou tombés aux oubliettes.

Le Mague : Petit clin d’œil aux différents mouvements sociaux du mois d’octobre à propos des retraites, existe-t-il un cinéma documentaire ou de fiction qui se réclame encore du militantisme ?

Laurent : Militantisme et cinéma n’ont pas toujours fait bon ménage car bien souvent le film se réduit au discours qu’il véhicule et au fond à n’être qu’un porte-drapeau. Dans cette approche, le pire que l’on ait eu ces dernières années c’est le cinéma de Michael Moore. Pour reprendre une bonne formule de Maître Godard des années 70 : « Plutôt que des films politiques, mieux vaut faire politiquement des films ». C’est-à-dire que le cinéaste dans sa façon même de faire des films se doit de critiquer le système en place. Et ça aujourd’hui, on ne le trouve guère.

Le Mague : Quels sont au moins les deux films au cinéma ou en DVD de ces derniers 6 mois qui t’ont ému et pourquoi ?

Laurent : Mother de Bong Joon-Ho. Voilà un cinéaste qui se situe à la frontière des genres, mêlant ici enquête policière, comédie burlesque et tragédie intime. Persuadée de l’innocence de son fils, une vieille femme enquête sur le meurtre dont ce dernier est accusé. Nous sommes avec cette Mère Courage qui va dévoiler lentement une monstruosité d’Ogresse, une ambiguïté psychologique dans sa relation avec son fils qui nous emmène à la lisière de la folie.
Darrat de Mahamat Saleh Haroun. Autre relation parent/enfant mais avec un traitement plus introverti, une mise en scène dépouillée et suggestive. Un grand adolescent est chargé de tuer l’assassin de son père. Pendant tout le film, les deux hommes se côtoient en huis-clos, une relation malsaine « père/fils » s’installe entre eux et l’on mesure la difficulté qu’il peut y avoir à tuer un homme. Un conte africain sur l’après-guerre au Tchad et qui lorgne du côté de Shakespeare.

Le Mague : Et au niveau du cinéma français ?

Laurent : Très récemment, j’ai découvert deux films particulièrement enthousiasmants qui me réconfortent sur l’existence d’un cinéma français bien vivant : le premier s’appelle Le plein pays d’Antoine Boutet, un documentaire sur un personnage hors-normes, une sorte de Sisyphe des bois, prophétique façon Artaud, qui nous renvoie notre modernisme à la face et nous plante le nez dans la terre pour y voir plus clair ... le cinéaste capte parfaitement la temporalité de cet homme coupé du monde et nous donne à voir toute son humanité. Le second est une fiction qui ressemble presque à un reportage mais maîtrisé comme une partition musicale ; ça s’appelle La vie au ranch, un premier film de Sophie Letourneur ; vif, enjoué qui saisit avec finesse une adolescence qui s’en va …

Le Mague : Quels sont les futurs évènements cinématographiques où s’informe Kinok.com ?

Laurent : Il n’y en a pas spécialement. C’est au coup par coup. Nous suivons avec intérêt les Etats Généraux du documentaire de Lussas en Ardèche mais autant que le Festival de Cannes

Le Mague : Le cinéma d’auteur, selon les guillemets que tu as déjà formulé avec justesse, a-t-il encore de l’avenir à une époque épique ou tout s’achète et tout se vend et surtout ce qui ne se vend pas n’est plus distribué, forme de censure non dite d’un système qui cherche à se préserver coûte que coûte ?

Laurent : Contre toute attente, le commerce du DVD a finalement permis la découverte et re-découverte de tout un pan du cinéma qui était cantonné aux Cinémathèques, Ciné Clubs ou qui tout simplement prenait la poussière sur les étagères des maisons de distribution. Il n’y a jamais eu un éventail aussi large de mise à disposition des œuvres cinématographiques avec d’un côté la restauration et numérisation des films anciens et de l’autre l’émergence d’une cinématographie oubliée des livres d’histoire. Nous sommes donc là face à un cinéma peu vendeur, représentant des « niches cinéphiliques » et qui pourtant trouve sa place. Des systèmes alternatifs de diffusion des œuvres se sont également développées par le biais d’internet ou de réseaux comme Doc Net ou plus récemment Vidéo en poche de Utopia offrant la aussi une vitrine pour des œuvres marginales. Ensuite, il est difficile de mesurer le nombre de films qui ne trouvent pas un accès public du fait de leur discours politique dérangeant ou liés aux sujets tabous qu’ils abordent. Il y a assez peu d’affaires de censure comme pour « Baise-moi » de Virginie Despentes, nous ne sommes pas en Chine. Mais il est aussi clair que le cinéma qui sort aujourd’hui sur les écrans est assez peu subversif.

Le Mague : Et pour finir, quels sont les cinéastes qui gardent ton enthousiasme intacte éveillé pour l’avenir du cinéma ?

Laurent : Chaque année, l’on découvre des œuvres intéressantes mais assez peu de films réellement puissants qui redéfinissent les codes du cinéma par leur forte personnalité. Ceci dit, je reste assez confiant et enthousiaste. La liste est longue des cinéastes dont j’aime à suivre le parcours… Raymond Depardon, Alexandre Sokourov, Nanni Moretti, Avi Mograbi, Abbas Kiarostami, David Cronenberg… - pour n’en citer qu’une infime partie - me donnent confiance en l’avenir d’un cinéma qui exprime sa « singularité opportune ».