LETTRE A UN JEUNE POETE

LETTRE A UN JEUNE POETE

C’est banal de dire que le temps passe. Mais cela ne l’est pas de le constater.
Métaphore facile du livre dont on tourne les pages. Métaphore facile de la
déréliction et de la décomposition organique. Mais quand c’est dit autrement,
alors là, c’est différent. Tout est dans la manière de le dire. Tout est dans le

choix des mots. Jeune poète qui commence à écrire, je te conseille l’économie de

la parole.

La retenue plutôt que l’effusion ! L’ellipse plutôt que les longues
périodes ! Une formulation claire et efficace plutôt qu’un phrasé ampoulé ! A
moins que tu ne sois à l’aise dans des phrases proustiennes ! Jeune poète sois
toi-même ! N’imite pas pour être à la mode ou bien pour plaire à un lecteur
lambda. Ecris pour toi ! Ecris ce que tu voudrais lire, ce que tu aimerais lire.
Les années vont se charger d’affiner ton écriture par l’épaisseur de ton
expérience. Bien entendu tu continueras à lire tes contemporains ainsi que les
auteurs du passé. Sois toujours curieux et avide de connaître. N’oublie pas de
jeter des passerelles vers la peinture, le théâtre, la danse ou la
spiritualité...La poésie est une attitude, un modus vivendi. Catharsis et
pratique intime, geste social et politique, la poésie doit accompagner tes pas
et leur donner sens. Elle ne te conduira pas à la notoriété mais peut-être à une

certaine forme de reconnaissance de tes pairs. La poésie est un sacrifice de
chaque instant. Mais n’oublie pas que ce qu’on retient souvent de l’histoire
littéraire c’est souvent une formule lapidaire, quelques vers de Racine ou de
René Char !

Pense à ce qu’écrit Rainer Maria Rilke dans ses "Lettres à un jeune poète *" !
"Cherchez en vous-même. Explorez la raison qui vous commande d’écrire ; examinez
si elle plonge ses racines au plus profond de votre coeur ; faites-vous cet aveu
 : devriez-vous mourir s’il vous était interdit d’écrire. Ceci surtout :
demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit ; me faut-il écrire ?
Creusez en vous-mêmes à la recherche d’une réponse profonde. Et si celle-ci
devait être affirmative, s’il vous était donné d’aller à la rencontre de cette
grave question avec un fort et simple "il le faut", alors bâtissez votre vie
selon cette nécessité ; votre vie, jusqu’en son heure la plus indifférente et la
plus infime, doit être le signe et le témoignage de cette impulsion.*"

* traduction de Marc B. de Launay. Poésie/Gallimard