GRAHAM GREENE ET JAMES HADLEY CHASE COMME UN SEUL HOMME ?

GRAHAM GREENE ET JAMES HADLEY CHASE COMME UN SEUL HOMME ?

C’est en tout cas la thèse que développe « Les Polarophiles Tranquilles », une association d’amateurs éclairés et éclairants, qui édite un bulletin semestriel éponyme, dont le n° 17 de septembre 2010 conclut ( ?) à une longue enquête sur ces deux auteurs parmi les plus connus du siècle dernier : j’entends par « auteur connu » que même ceux qui ne les ont jamais lus ont au moins retenu leur nom…

Graham Greene et James Hadley Chase sont en effet deux incontournables de nos bibliothèques, dont les fonds alimentent encore les rayons de toutes les librairies, reconnaissance que bien des auteurs vivants doivent leur envier, qui peinent à y trouver une place honorable… et je sais de quoi je parle ! L’un est un prestigieux auteur britannique, économe de son talent, à l’occasion agent secret de sa Très Gracieuse Majesté, qui avec une parcimonie stratégique distilla une œuvre de référence, empreinte de religiosité et de morale : il s’agit bien sûr de Graham Greene, le docteur Jeckyll de notre histoire… Son mister Hyde serait James Hadley Chase, auteur prolifique qui enchaîna les succès populaires à la sauce amerloque, dans ce genre alors considéré comme mineur, mais ô combien rentable, qu’était le polar : JHC, c’est 89 romans dont 56 publiés dans la Série Noire ; traduit en 32 langues ; 70 ans de succès ininterrompu ; 35 adaptations cinématographiques, une dizaine de téléfilms, des tirages fabuleux (le titre vedette « Pas d’orchidées pour Miss Blandish » a largement dépassé les dix millions d’exemplaires…)
Et si le beau Graham, aux airs de lord, et le mystérieux James, à la moustache de voyou, ne faisaient qu’un ? Pour le moins une seule et même plume, sinon le même homme, car l’un et l’autre existèrent bel et bien de chair et d’os, même si Chase s’entoura toute sa vie de silence et de discrétion, réfractaire aux interviews, ce qui tendrait déjà à accréditer la théorie d’un prête-nom… Là où un pseudonyme n’aurait pas suffi à cette vaste entreprise !

C’est la démonstration qu’entendent faire Thierry Cazon et Julien Dupré, les auteurs de cette étude intitulée « L’ETRANGE CAS DU DOCTEUR GREENE ET DE Mr CHASE ». Mais pour ne pas assommer le lecteur d’arguties d’exégètes, la chose se présente sous la forme d’une petite fantaisie théâtrale en trois actes, une conversation imaginaire et plus ou moins tendue, où s’opposent les deux auteurs aujourd’hui disparus ! Voilà qui a déjà le premier mérite d’être original : la scène se situe à Vevey, Suisse, à la terrasse d’un café où Graham Greene - l’auteur du Troisième homme, de La puissance et la gloire, de Tueur à gages et autres fleurons du roman anglais moderne - sirote un brandy tandis que ses yeux bleus vaguent paisiblement à la surface du lac Leman, avant que d’être interrompu par James Hadley Chase, dont les polars « de haute consommation » ne sont plus à présenter, et qui s’assoit en face de son confrère, mordillant nerveusement sa moustache à l’heure d’échanger quatre vérités… Le tout distillé dans un style agréablement suranné, qui convient bien à nos fantômes et gentlemen, et agrémenté de notes bibliographiques passionnantes.
Entre compliments et griefs réciproques, c’est l’occasion de démonter les rouages de leur association supposée, d’en comprendre la mécanique autant que les nécessités de l’époque, qui permirent à chacun de conjuguer « la puissance et la gloire » au mieux de leurs avantages, sans compter tout le pognon qui va avec. Car on comprend vite que l’un et l’autre eurent tout à gagner dans l’affaire et si Greene fit la fortune de son double, avant lui un obscur écrivaillon, il y sauva sa légitimité d’auteur noble et la plus grosse part du gâteau… même si les deux complices ayant comme par hasard le même et trouble conseiller fiscal - on peut y voir un indice supplémentaire de leur collusion – et se firent au passage escroquer ensemble ! Car il faut bien que le crime ne paie pas trop…, pour la morale de l’histoire ! De morale, il n’y en a d’ailleurs pas d’autre à retenir qu’un sens certain de l’opportunisme, dont les deux larrons en foire surent faire profiter par la suite un auteur débutant qui tira de sa rencontre fructueuse avec Chase - de son vrai nom René Brabazon Raymond - l’expérience des identités de circonstance et de la littérature à tiroirs, Frédéric Dard, futur San Antonio et dix autres pseudos… Les auteurs de polar contemporains aimeraient sans doute que le genre soit aussi florissant qu’à l’époque, quand la demande et les ventes étaient telles qu’un auteur facile n’avait qu’à s’inventer plusieurs identités pour fournir cent collections et dix éditeurs afin de faire fortune ! Pour ma part, je ne demanderais pas mieux que d’écrire un roman par mois si on me le demandait, alors qu’il faut se prostituer aujourd’hui pour en placer un par an et faire des ventes minables… Las ! le roman de merde perdure, qui fait florès, mais le bon vieux roman de gare n’est plus !… Et comme du temps de Greene, écrire vite et bien reste mal vu du monde des belles lettres, tant il est vrai que l’image de l’écrivain torturé par la feuille blanche reste fondatrice de ce mythe pompeux qu’est la littérature.

Cette parenthèse pour actualiser le propos et vous donner la mesure du contexte, qui compte plus que tout dans l’étrange affaire de Graham Greene et de son double de papier… Pour en savoir plus sur le dossier savamment, mais aussi subjectivement, étayé par Thierry Cazon et Julien Dupré, le mieux est de vous procurer les bulletins des Polarophiles Tranquilles, car, et ce n’est pas le moins, c’est gratoche sur simple demande ! Vous pouvez même vous abonner :

LES POLAROPHILES TRANQUILLES
86, avenue de Grasse
Cannes, France
Cazon.t@9online.fr
04 93 38 20 69