PLACE DE L’ESPIGAOU, par Alain Seyfried

PLACE DE L'ESPIGAOU, par Alain Seyfried

Les auteurs marseillais de polar savent bien que le polar marseillais n’existe pas ! Qu’il s’agit d’une invention d’esprits pervers et parisiens pour mettre quelques instants à la mode et dans le même panier tout un monde d’auteurs, afin de mieux les discriminer ensuite. Les étiqueter à jamais dans la case du régionalisme, voués aux rayons les plus obscurs et les moins vendeurs des librairies, qui conviennent parfaitement à l’idée que l’on se fait au pays des Belles Lettres des auteurs provinciaux !

A vrai dire, il existe autant de polars marseillais que d’auteurs de polars à Marseille : il est cependant notable qu’ils y sont légion, peut-être une cinquantaine en exercice, et pour beaucoup doués de ce verbe chevillé au corps qui est leur marque ! C’est une exception culturelle de cette ville étrange, terre de polar idéale…

Pour autant, à mon avis pas de « polar marseillais » que l’on puisse faire rentrer dans un bocal, comme les cornichons pour lesquels d’aucuns feraient volontiers passer ce beau cheptel d’auteurs… en se contentant souvent de les regarder d’en haut, plutôt que de se pencher sur leur livres. Même si écrire à Marseille n’est sans doute pas anodin, écrire quelque part n’étant certainement jamais anodin…
Peut-être existe-t-il tout simplement des auteurs !

Alain Seyfried est assurément de ceux-là, assez loin de l’image folklorique que l’on se fait au Café de Flore de l’auteur de « polar marseillais ». C’est un vieux sage, mais aussi un beau vieux, c’est-à-dire qu’il fait jeune pour ses 63 ans, avec une barbe aléatoire poivre et sel, semble-t-il uniquement définie par son peu de souci de se raser. Alain est sorti d’HEC et fut dans une première vie Docteur en Gestion, tant il est vrai que du côté du Vieux-Port on ne passe pas forcément ses études à la pétanque ou à la belote. Passionné de littérature, il a traduit de l’italien 5 livres et déjà publié 3 romans : cette Place de l’Espigaou est son premier roman policier ! Une envie qui lui venait de loin, concrétisée finalement - et finement.

Maintenant que je vous ai démontré que l’homme était capable d’autre chose, il est temps d’en convenir : oui, Place de l’Espigaou est un polar marseillais pur jus ! Mais c’est d’abord un excellent polar !
Très marseillais, certes, puisqu’on commence par y croiser des figures locales réputées : nos éboueurs, célèbres dans le monde entier pour la puissance démoniaque de leurs grèves et nos montagnes de poubelles pestilentielles qui encombrent régulièrement tous les JT de la planète ! Aldo, Ahmed et André, surnommés « les 3 A », forment une fine équipe de collègues, qui, par un beau matin non débrayé, découvrent dans la benne de leur camion le cadavre d’une belle plante rousse. Un départ classique, pour un polar classique, c’est-à-dire qui ravira les amateurs ! Le lecteur mènera l’enquête aux côtés de la joliette commissaire Sofia Carabini, que tout sépare de son adjoint, le nordique et balourd Van Der Meulen, amoureux en secret de sa chef. C’est le portrait de Clivia, la morte, que l’auteur dessine sur leur traces : une prédatrice, qui avait englué toute une cohorte de braves gens, voisins, relations, clients, amants… L’une de ses marionnettes se serait-elle enfin vengée de la sublime salope ?

Au-delà de l’histoire, toute la force du roman est dans le style précis et la justesse de la narration : il y a Marseille à visiter, ses figures parfaitement représentatives, mais surtout la psychologie des personnages, parfaitement analysée et qui fait l’essentiel du récit… sans laisser pourtant le lecteur respirer ! Au rythme soutenu de courts chapitres, on vient à bout de cette agréable lecture sans s’en donner un instant la peine ! Ca se lit tout seul et c’est un bon polar pour tout un chacun qui en ait le goût, de Dunkerque à Pointe-à-Pitre

PLACE DE L’ESPIGAOU, par Alain Seyfried
Aux éditions Les Nouveaux Auteurs