Sexe drogue et humour, Lenny Bruce, contre l’hypocrisie puritaine américaine !

Sexe drogue et humour, Lenny Bruce, contre l'hypocrisie puritaine américaine !

Dans les années 60, il était un homme qui jactait tout haut contre la pudibonderie d’une société coincée des orifices. Lenny Bruce, celui que Coluche considérait comme un modèle. Bio optique tournée en 1974 par Bob Fosse qui s’est défoncé l’image en hommage à Lenny interprété de façon magistrale par un Dustin Hoffman, grand petit homme de la situation. Film émouvant ou la vision d’un comique qui ébranla l’Amérique et qui n’a rien perdu de son mordant à côté de nos pipis cacas hystériques franchouillards, lourdingues comme des cafards sans aucune once de conscience politique. Des cerveaux prédigérés par la télé !

«  Il a été coffré 9 fois sur 10. Deux fois pour possession de stupéfiants et 3 ou quatre fois pour obscénité. » C’est Honey (Valerie Perrine) ex strip-teaseuse devenue madame Bruce qui raconte ses relations avec Lenny (Dustin Hoffman). Entrecoupé d’interviews de sa compagne, sa mère et son manageur Lenny à la scène se partage avec sa vie quotidienne somme toute banale semée d’excentricités et de folies douces pour captiver la superbe Honey. (« Il était trognon »). Jusqu’à la chute dans la dope, la madame piquée au vif emprisonnée pour deux ans et monsieur s’occupant seul de la petite fille née de cette union charnelle.

« On essaie d’être unique mais on n’est tous les mêmes » (Lenny), partant de se constat et du rêve de pouvoir enfin vivre un jour en Californie, l’amuseur des débuts au cabaret se roule dessus une carrière toute tracée, tant il crève d’originalité. Le public curieux par l’attraction commence à affluer à ses joutes sur scènes. Jusqu’à l’accident de bagnole et l’hospitalisation de Honey et la courte relation de Lenny avec une infirmière. « Au début ça m’a énervée et après j’ai compris pourquoi il faisait ça. Il avait des choses à prouver, le manque d’assurance » (Honey). Autant, elle est compréhensive et parvient à avaler le fonctionnement sensuel de son bonhomme, autant lui ne supporte pas le goût sensé de Honey pour d’autres femmes. « Les gouines, on a souvent du mal à les repérer, parce que parfois ce sont nos femmes ». (Lenny). Car les diatribes de Lenny sur scène contre les tabous et l’hypocrisie ambiante de l’Amérique bien pensante, s’inspirent aussi très souvent de son existence et de ses propres manques d’ouverture de corps et d’esprit. L’homme contrasté, marqué fait tâche dans le paysage aseptisé de la scène ambiante. Il ose tirer la langue à la langue de bois vermoulue devant un public ébahi qui n’attendait qu’une chose, que les flics l’arrêtent en fin de spectacle au grand dam de Lenny pourtant bien conscient de la publicité que son arrestation allait produire sur les esprits. « Je suis totalement corrompu. Tout mon numéro, tout mon succès économique est fondé sur l’existence de la ségrégation, de la violence, du désespoir, de la maladie et de l’injustice. Et si par miracle, le monde entier était soudain paisible, pur, je pointerais au chômage quelque part. J’ai rien d’un moraliste. Sinon je ferais don de mes gages à ces instituteurs. Je suis une putain. Tant qu’on me donne je prends ». (Lenny)

Les représentant(e)s des bonnes mœurs lui attentent des procès. Désormais, Lenny enregistre tous ses spectacles afin de pouvoir se défendre. Quand il se retrouve devant la cour de justice face au flic qui est venu l’arrêter, il lui demande au grand désarroi du pauvre pig, si « suceur de bite » qui lui est reproché, n’est pas un langage courant au commissariat. La piquouze l’aidait, à pallier le manque de sa compagne derrière les barreaux dont il se passait allégrement pour élever sa fille. Désormais, il incarne le géni de la scène qui s’est débarrassé de sa défroque, avec le pouvoir suprême d’improviser sur tous les thèmes d’actualité. Quelqu’un lui jette un mot dans la salle et il se lance sans révérence et fonce. Son état de santé s’amenuise avec la dope. Une fois sur scène complètement défoncé, souffrant atrocement de l’estomac, vêtu juste d’un imperméable, il se trouble, cherchant ses mots qui se mélangent : « Désolé, je ne suis pas drôle ». On l’arrête, on le psychiatrise, ses procès lui interdisent la scène. Harcelé par la répression il éructe : « C’est le Vietnam des atrocités d’ici et d’ailleurs » Il n’a plus un rond et rejette son avocat pour se défendre seul. Il est inculpé. Le juge n’entend pas sa requête. « Ce pays a besoin d’un déviant, ne le faites pas taire » (Lenny). Et c’est l’overdose ! Son public chéri se rue sur les feuilles de choux dont les fouilles la merde se régalent en exhibant son corps nu seringué ! Qu’elle immoralité ! Fin du destin d’un homme qui voulait vivre libre le verbe haut !

Film bouleversant d’un Bob Fosse qui ne se berce pas du morbide, même si lui aussi est frustré de sa carrière avortée de danseur chorégraphe. « Cabaret », et « Que le spectacle commence », il connaît la musique des corps. Il calme pour Lenny, son ardeur des couleurs et tourne en noir et blanc très près de la sueur et du corps à corps avec son héros. Dustin Hoffman déjà « Lauréat », « Little big man », « Les chiens de paille », et même «  Papillon » prend possession de son personnage et l’incarne à la perfection jusque dans ses fêlures et ses révoltes justifiées contre un système qui veut le faire taire. « Lenny Bruce n’était pas quelqu’un de conventionnel. Selon moi, il représentait une sorte d’avant-garde dans le domaine de l’humour américain. Il ne faisait pas les plaisanteries traditionnelles. Son humour était basé sur une analyse de l’hypocrisie de la société, (…) des choses réputées, obscènes, dont on ne devait pas parler en public. Et lui pensait qu’on le pouvait. » (Dustin Hoffman).
Valerie Perrine dans le rôle de Honey Bruce est aussi absolument bouleversante de naturel et de crédibilité dans son portrait de la femme blessée et usée par la dope.

Lenny Bruce, au combat si juste avec tous les moyens dont il disposait à son époque, a inspiré bien d’autres comiques, mais à part Coluche dans son style, je n’en connais aucun de sa verve et de son courage tenace pour faire rompre les tabous des corps dans le langage oral et par la même éclore les corps épanouis des deux sexes sans le vernis des conventions amères. Amen ! Un film pas du tout anodin et toujours d’une vibrante actualité, quand on sait que les médias en France sont aux mains de deux ou trois gus qui ont fait allégeance à sa majesté Sarko 1er, histoire de faire taire toutes les velléités dans le poste. Suivez mon oreille…

« Lenny Bruce est mort mais son fantôme vit toujours. / Il n’a jamais eu de récompense, n’est jamais arrivé à Synanon. / Il était un hors-la-loi, c’est certain, / Plus que vous ne l’avez jamais été. / Lenny Bruce est mort mais son esprit vivra toujours ». (Lenny Bruce par Bob Dylan)

Lenny de Bob Fosse, avec Dustin Hoffman / Valerie Perrine / Jan Miner…, 1974, Noir et Blanc, 111 minutes, copies neuves, distribué par Carlotta Films, au cinéma depuis le 13 octobre 2011