Fassbinder jette Avatar et Matrix au placard !

Fassbinder jette Avatar et Matrix au placard !

« Sur le fil », à la fois au cinéma et en sortie DVD, film tourné pour la télévision (la WDR en 1973) à Paris et Créteil ville nouvelle, film de science fiction avec la réalité de son époque tiré du roman « Simulacron 3 » de Daniel F. Galouye (publié en 1964), Fassbinder dépasse les bornes du cinéma et expérimente sans jamais que ses images ne mentent. D’ailleurs, à côté, Matrix, Existenz ou Avatar pavés d’effets spéciaux paraissent fadasses et nous tancent l’ennui ! Avec Fassbinder, entrez dans les dangers de l’ordinateur qui modélise nos comportements dans des mondes parallèles. Le chef d’œuvre, œuvre singulière et tellement moderne !

Fassbinder, quel homme ! Mort à 37 balais seulement, il réalisa pour le cinéma et la télévision en treize ans pas loin de quarante films ! Fassbinder, à la fois réalisateur, acteur, auteur, metteur en scène prolixe fut l’infatigable créateur des années 70 en Allemagne fédérale. Il aimait la littérature en images. Son feuilleton pour la télévision « Berlin Alexanderplatz » (1980) ne dépareille pas le texte de Döblin, il l’illumine ! C’est tout naturellement précédemment en 1973 que la science fiction lui cligne de l’œil de s’essayer comme ses collègues avant lui « Fahrenheit 451 (Truffaut en 1966) et Jean-Luc Godard pour « Alphaville (1965) lui avaient levé une vague. « Querelle » de voisinage comme le titre de son dernier film déjà chroniqué par mézigue à la page du théâtre qu’il prenait grand plaisir à filmer et mettre en scène…..

Paranoïa et monde virtuel, interaction entre les mondes politiques et industriels qui polluent notre existence sous les auspices du bon samaritain qui digère, dissèque notre présent à gueule d’ordinateur entre le monde d’en haut et celui qui se situe tout en bas. La mort en filigrane programme et simule des évènements grandeur nature composés de 9700 unités identitaires. Difficile dans cet univers de reconnaître les siens ! Le décès soudain et pour le moins suspect du professeur Vollmer à l’Institut de recherche en cybernétique et futurologie entraîne la nomination du docteur Stiller (excellent Klaus Löwitsh) à la tête du projet Simulacron.
« J’ai tourné un téléfilm de deux fois une heure et demie intitulé « Le monde sur le fil », qui dépeint un monde où l’on peut créer des projections d’êtres humains avec un ordinateur. Ainsi naît bien sûr la notion de savoir Si l’on n’est pas soi-même une projection, car dans ce monde les projections sont identiques à la réalité. Il s’agit d’un vieux schéma philosophique qui créé une certaine horreur ». ( Rainer Werner Fassbinder) 1973)

D’autant plus difficile à réaliser ce thriller d’anticipation en décor réel en 1973 ! Fassbinder le tournera en seulement 6 semaines sous forme d’épisodes à Paris et à Créteil qui sortait de terre autour de son lac artificiel une cité déjà complètement défigurée qui présumait le Moloch de la ville du futur d’aujourd’hui. «  Une grande partie du film a été tournée à Paris où d’ailleurs le scénario a été élaboré dans un petit bistrot. La difficulté était comment représenter le futur. Un futur proche. Recherche d’un architecte du futur. A Paris tout était en train de changer. Les nouveaux quartiers nous intéressaient beaucoup. Pas de jardinets, ça avait un point de vue futuriste avec des gros cubes. Tournage également dans des centres commerciaux, chose que l’on ne trouvait nullement en Allemagne à l’époque. Des centres souterrains où l’on trouvait déjà de tout, boutiques, restaurants… snacks, buvettes… » (Michael Balhaus, caméraman)

Projection dans le monde de demain matin : Vous m’avez fait attendre. / Bonjour Einstein. / Bonjour./ Qu’avez-vous ? /Ce n’est pas tous les jours que je vois ceux d’en haut. Ce moment précis je ne suis qu’un circuit électronique. Une projection.

D’autant plus étonnant la maturité de certains auteurs de science fiction qui ont eu la faculté d’imaginer un monde du futur qui se réaliserait de nos jours presque quarante ans après l’écriture de leurs romans ! Je pense aussi à Ballard.

Mais comment faire la jonction entre les mondes d’en haut et d’en bas ? Notre idée de contact ! Notre simulateur fonctionne, parce que nous lui avons donné une unité de contact, Einstein. Mais nous sommes la simulation d’un monde réel, il doit y avoir un Einstein, quelqu’un qui sait tout, en contact avec le monde d’en haut. (le héros interprété par Klaus Löwitsh qui se surpasse). Il délaisse les boutanches sous les caméras et se bat avec son personnage comme un véritable danseur. Il se meut en apesanteur. Le caméraman Michael Balhaus rend compte du regard de Fassbinder et sa magnifique inventivité pour captiver notre regard à l’écran. «  Fassbinder fonctionnait beaucoup à l’intuition par rapport à ce qu’il voyait sur le moment. Il y a un bel exemple, un jour, lors d’une scène, dans la banlieue parisienne. Tout à coup, il a voulu faire un travelling avec l’objectif placé à un centimètre du sol. C’est possible, tu peux faire ça ? Oui on va essayer.. Et on y est arrivé, ça n’a pas été sans mal. On dirigeait la caméra qui suivait la scène au ras du sol. Le rendu était génial, je me suis dit : cet homme a des idées incroyables ».

Fassbinder le chef d’orchestre était un homme qui fonctionnait avec toute une équipe. Un peu comme dans les arts martiaux lorsqu’on se sert de la force contraire de son adversaire pour avancer et se parer d’un fervent équilibre. « Cette personne a des fêlures, donc je peux m’en servir, pour la faire avancer. Et elle a des richesses qui m’intéressent beaucoup. Je dois réussir à l’amener à me les donner. Et si je veux qu’elle le fasse, elle le peut. » (Fassbinder).

Sans doute contrairement à ses autres films où il donnait le rôle fort à l’actrice, sans doute dans le contexte de son art et de l’avatar, à part Ingrid Caven et Mascha Rabben qui sont épatantes, il y a cette Barbara Valentin bimbo aux gros seins, cauchemar de Peggy la cochonne que me souffle le Bartos, d’habitude pas avar en compliments pour les actrices qui ont une personnalité affirmée.

La musique à la gratte échevelée de Gottfried Hüngsberg qui revient comme un refrain, ne m’a pas laissé indifférente.

Et comme toujours chez Carlotta Films, les suppléments richement illustrés ne gâchent pas le paysage avec le concours actif de la Fondation Rainer Werner Fassbinder !

A ne rater sous aucun prétexte, Le monde sur le fil à inventer un nouveau cinéma à chaque fois renouvelé, avec prise de risque à la clé pour le jeune réalisateur inventeur où l’esthétique de la langue se mélange aux paysages explorés et harangue nos mirettes à voir dans l’image un monde en avance sur son temps, un monde de nos jours à l’époque de Fassbinder, réalisateur visionnaire.

Le monde sur le fil de Rainer Werner Fassbinder, avec Klaus Löwitsh, Ingrid Caven, Mascha Rabben, Barbara Valentin…, 1973, Allemagne, 204 minutes, 1973, sous titres en français, distribué par Carlotta Films, 6 octobre, 2 DVD, 24, 99 euros

Suppléments : Livret (36 pages)
Galerie photo / Un regard d’avance sur le présent (2010, 49 minutes)