Le Choix de vivre sans travailler

Le Choix de vivre sans travailler

Je me considère comme un privilégié et j’estime, avec mes "maigres" revenus, vivre encore dans le luxe et l’opulence et je remercie le sort de ne pas avoir fait de moi un éternel geignard blasé et insatisfait ! J’ai su garder ma lucidité et ma capacité d’émerveillement. Onze ans après l’avènement d’INTERNET en France je suis émerveillé comme au premier jour des possibilité offertes par ce merveilleux joujou d’autant que tout progresse en ce domaine. Bientôt je passerai à la fibre optique pour le même prix que mon présent abonnement !

Je suis heureux de vivre en France avec tous les avantages que ce pays moderne, civilisé et opulent m’offre, heureux de pouvoir de temps à autre aller à la pêche aux trésors dans les poubelles de ce pays de Cocagne.

Pour un prolétaire ou un employé du secteur secondaire et tertiaire ma situation serait considérée comme misérable, pas enviable du tout. D’ailleurs je suis officiellement considéré selon les critères de cette société comme un authentique pauvre avec moins de 800 euros mensuels de revenus... Nous vivons dans une société de fous ! En réalité je vis comme un pacha et mes concitoyens aveuglés par leurs critères de repus me plaignent ! Les gens des pays pauvres sont moins bêtes, ou plutôt pas encore aussi pourris, gavés, blasés que nous : eux donneraient beaucoup pour être à ma place : protection sociale, soins médicaux et dentaires, INTERNET haut débit, alimentation saine, variée, abondante, 485 euros mensuels sans travailler versés par un système de nantis basé sur la solidarité, vélo, voiture, sorties, liberté, restaurants, matériel informatique, luxe, luxe et encore luxe !

Il faudrait que je sois d’une profonde ingratitude pour oser me plaindre de cette belle vie qui m’offre infiniment plus que le simple nécessaire vital ! J’aurais honte d’aller manifester pour la retraite ou une augmentation de mes revenus !

Comment peut-on désirer toujours plus sur le plan matériel, crier à l’injustice du système, accuser les patrons, condamner la société, la dénoncer comme inégalitaire, manifester et même tout casser, pleurer sur son sort, voire se suicider de désespoir quand on a, comme moi, non seulement un toit, à manger tous les jours, une voiture, INTERNET, l’accès aux soins, à la culture, mais encore bien d’autres choses superflues en abondance !

Quelle indécence ! Quelle incroyable corruption de mentalités !

Je n’ai jamais dit que j’étais un pauvre, j’ai dit que la société me considérait comme un pauvre.

Moi j’ai toujours estimé être un privilégié, non par rapport à mes revenus mais simplement parce que je vis en France, un pays d’abondance. Mais si en plus de cet "avantage de naissance" j’ai des revenus sans travailler, alors je suis comblé... Matériellement parlant j’entends.

Le fait que je suis psychologiquement inapte à travailler prouve mon excellente santé mentale : il faut être nécessairement dégradé mentalement pour accepter de travailler à l’usine afin de financer une voiture à l’aspect flatteur, l’acquisition d’une affreuse maison Phénix sur 15 ou 20 ans ou même plus modestement -et plus lamentablement- pour pouvoir partir en vacances avec sa caravane chaque été...

Quant à mes explorations de poubelles, je mets ma fierté d’authentique aristocrate avant tout dans la morale : la vraie indécence c’est de laisser perdre de bons aliments et d’aller se plaindre ensuite de ne pas avoir de quoi les acheter !

En outre, et c’est le plus important, par le simple avantage inné que j’ai hérité de la particule, je n’ai rien à prouver, rien à devoir, rien à regretter par rapport au fait de plonger la main dans les poubelles. Un ouvrier aurait honte d’en faire autant, ce qui prouve bien que sa fierté, il la met dans son statut d’ouvrier avec la part d’indécence, d’aveuglement, de misère morale que cela comporte. Ce sont ceux qui seraient en droit de se scandaliser le plus du gaspillage et de se servir les premiers dans les poubelles qui font la fine bouche... Les moins nantis (je n’ai pas dit les plus pauvres, j’ai dis les moins nantis) manquent décidément de morale et de cohérence... Et après ils se plaignent que la vie est chère !

Pouvoir faire les poubelle sans s’en cacher est un vrai privilège. Ceux qui ont encore des choses à prouver, notamment par rapport à leurs chères apparences, ne peuvent pas se le permettre. Seules les grandes âmes comme moi peuvent faire les poubelles au grand jour, sans avoir besoin d’y aller volontairement avec panache : le panache chez moi est naturel. Nul besoin de me forcer.

Une âme choquée par mes moeurs de prince me faisait remarquer que des chiens errants risquaient de plonger leur museau dans "mes" poubelles... Aucun risque ! Pour eux il existe des refuges pour eux où ils sont choyés par de bonnes âmes recevant des dons soit des individus, soit de l’Etat (associations). Pour l’anecdote, sachez qu’au Mans même les chiens des SDF boudent ces fameuses poubelles en face de la boulangerie qui font ma joie ! En effet, ils sont nourris avec de bons aliments pour chiens que leurs maîtres leur achètent au magasin du centre ville avec l’argent de la manche.

Je suis un pacha sur bien des plans. Les SDF aussi sont des pachas, sur le plan alimentaire. Du moins ceux qui vivent à proximité des poubelles, qui n’ont de poubelles que le nom d’ailleurs : en réalité ce sont des puits intarissables d’aliments sains, frais et excellents ! De véritables cornes d’abondance. La plupart des aliments sont non seulement encore dans leur emballage d’origine, mais en plus ils sont bien gardés dans des sacs-poubelles hygiéniques et hermétiquement clos. Autant dire un garde-manger, carrément un frigo l’hiver ! Il n’y a plus qu’à se servir, ce que je fais sans honte ni complexe et même avec une certaine ostentation provocatrice. Quand je suis en costume, revenant d’un enterrement ou d’un mariage (mais plus souvent d’un enterrement, le noir accentuant les contrastes entre le costume et la poubelle), je m’adonne encore plus volontiers à cet exercice "socialement incorrect", ce qui fait encore plus honte à ma compagne ! Tenez, au prochain enterrement je me retape une benne et me fais prendre en photos !

Et encore, ce n’est même pas véritablement pour m’alimenter que je fouille les "ordures" mais pour m’amuser car j’ai déjà tout ce qu’il me faut par ailleurs.

Ma quête de "déchets" ce n’est même pas pour mettre du beurre dans les épinards mais pour mesurer l’indécence de mes concitoyens.

A lire : L’art de ne pas travailler, édité par Eyrolles (15 €). Sous-titre : Petit traité d’oisiveté active à l’usage des surmenés, des retraités et des sans-emploi. "Que vous soyez surmené, retraité ou sans emploi, Ernie Zelinski vous rappelle dans ce best-seller provocateur, pratique et amusant certaines choses évidentes... et d’autres qui le sont moins, pour vous aider à mieux tirer parti de votre temps libre et surtout à (re)trouver l’équilibre entre travail et loisirs."