Interview d’Alexandre Duval-Stalla à propos de sa bio croisée de Monet et Clemenceau

Interview d'Alexandre Duval-Stalla à propos de sa bio croisée de Monet et Clemenceau

L’écrivain et avocat Alexandre Duval-Stalla a eu l’idée originale et passionnante, après avoir déjà signé une biographie croisée de Charles De Gaulle et André Malraux, d’écrire un livre sur les relations personnelles entre Monet et Clemenceau.
Nous avons eu envie de poser quelques questions à cet auteur passionné d’Histoire et nous ne pouvons que vous conseiller son livre "Claude Monet – Georges Clemenceau une histoire, deux caractères" chez Gallimard.

1. Alexandre Duval-Stalla vous publiez chez Gallimard une biographie croisée de Monet et Clemenceau, ce genre littéraire est mal connu en France, quels en sont ses particularités et ses avantages ?

Mal connu, car inconnu. En réalité, s’il existe déjà des histoires de relations entre deux personnages historiques, comme celle des relations passionnées et passionnantes du général de Gaulle et de Churchill, le genre de la "biographie croisée" n’existe pas. En effet, il s’agit réellement de deux biographies en une ! Et ce sous le prisme de l’amitié… Mais cela pourrait être aussi celui d’une haine… L’idée est de « biographer » autrement pour montrer comment, placer dans une même époque, deux personnages forgeant leurs destins et qui un jour se croisent. Par ailleurs, la biographie croisée permet de s’extraire des habitudes biographiques qui commencent par la naissance en remontant les origines familiales sur plusieurs générations et de terminer par la mort (sans grand suspens du coup ; même si nous sommes tous mortels…).

Avec la biographie croisée, le premier chapitre est un chapitre qui ouvre sur la rencontre ou l’évènement clé de deux personnages, donnant ainsi du rythme et de l’élan. Ensuite, sur les enfances, souvent structurantes, la biographie croisée permet de retenir les évènements marquants et de les opposer aussi. C’est l’admiration de Clemenceau pour son père et l’incompréhension entre Monet et son père, c’est une famille unie pour les De Gaulle et une famille désunie pour les Malraux. Bref, la biographie croisée recèle de merveilleuses perspectives littéraires…

2. La première attractivité de votre livre est de se dire "Ces deux là n’ont à priori pas grand chose à voir l’un avec l’autre" et pourtant c’est tout le contraire n’est-ce pas ?

Généralement, à part les spécialistes, ces amitiés ne sont pas connues ou juste évoquées. Or, l’amitié n’est jamais anodine. On ne choisit pas sa famille, on choisit ses amis. Finalement, chaque homme cherche le secret de la vie. C’est pourquoi le genre biographique marche très bien. A travers le destin d’un homme ou d’une femme, le lecteur cherche des réponses à ses interrogations ou à ses ambitions. En mêlant l’histoire et l’art, on retrouve aussi les questions d’un grand homme de l’histoire face à la tragédie et un créateur face à la mort. On ne comprend pas le général de Gaulle sans cette part de lui-même qui lui fait aimer le farfelu Malraux, son contraire dans la vie, et on ne saisit pas l’énergie du Tigre sans comprendre son admiration pour le combat esthétique impossible de Monet et de sa peinture.


3. Est-ce que dans une bio croisée la plus grande difficulté est de garder une certaine parité entre les deux hommes, que l’un ne prenne pas l’ascendant sur l’autre ?

L’un se réfléchit dans l’autre, comme dans un miroir. Et si parfois, il existe des décalages dans le déroulement de leur destin où la notoriété de l’un est plus précoce que l’autre ; leurs vies sont tellement riches et intenses qu’il y aurait de quoi écrire le double, le triple de pages…

4. Qui vous intéresse le plus des deux, vous devez bien avoir un chouchou ?

Avec Monet et Clemenceau, c’est vraiment l’histoire de deux caractères volcaniques et intransigeants au service de deux aventures uniques : celle de l’Impressionnisme et celle de la République. Deux aventures qu’ils ont mené, l’un et l’autre, comme chefs de file. Ce qui rend aussi leur amitié unique. Deux combats contre les conservatismes et contre les conformismes. Monet imposant un mouvement esthétique que beaucoup, à juste titre, considèrent comme une nouvelle Renaissance. Française celle-là. Clemenceau bataillant pour asseoir la République sur des principes et des valeurs fondés sur la liberté intégrale de l’individu. L’amitié de combat de Clemenceau et de Monet s’est nourri de deux lumières au service d’une certaine idée de la France : liberté de créer, liberté de vivre. Vous comprendrez que ce sont ces deux lumières mêlées que j’aime ; l’une n’allant pas sans l’autre…


5. Est-ce que c’est l’Histoire qui fait les hommes ou les hommes qui font l’histoire ?

Les deux, mon capitaine !... Plus sérieusement, ce sont les hommes qui font l’histoire avec leurs propres parcours, enfances, éducations, leurs ambitions, leurs revanches, leurs orgueils… Depuis les Grecs, que Clemenceau admirait tant, l’Europe s’est construite en se fondant sur une haute idée de l’homme, de son irréductibilité, de sa liberté, de sa dignité et de la conscience qu’il a de lui-même. Vous comprendrez alors que je ne crois pas beaucoup aux forces de l’esprit, mais aux forces des hommes… Et, sans doute, face aux hystéries politiques dont la France a le génie et face à la société du spectacle qui travestit tant l’homme, les exemples de Clemenceau et de Monet sont nécessaires pour nous faire prendre conscience de l’essentiel et de la nécessité pour tout homme libre de se livrer à un travail de réflexion critique et de curiosité intellectuelle pour trouver sa propre voie libérée de tous les asservissements politiques, économiques, sociaux et culturels…

6. Monet et Clemenceau ont marqué leur siècle chacun dans le domaine, mais le grand public a davantage oublié Clemenceau, est-ce injuste ?

Clemenceau n’est pas le seul oublié. Ne nous mentons pas, l’histoire, même si elle est une passion française, reste réservée à une minorité. Pourtant, ce travail de mémoire est nécessaire pour penser l’avenir et comprendre notre monde. Or, la superficialité de la société du spectacle et le désir de quart d’heure warholien ont pris le pas dans notre société sur la culture et l’intelligence. Sans parler d’argent et de cette course effrénée pour finir le plus riche du cimetière. Aujourd’hui, un politique communique, il ne réfléchit plus… De toutes manières, les nouvelles technologies l’ont trop déboussolé en lui réclamant réactivité et productivité qu’il zappe autant qu’il est zappé. Qu’en restera-t-il ?... Un grand vide. Pour y échapper et pour ne pas succomber sous ce monde nouveau, seules la lecture et la réflexion critique permettent de mieux se comprendre, de comprendre ce monde et ses fausses gloires et de choisir sa vie en toute liberté … Ah la liberté, première des vertus et des responsabilités.

7. Je vous laisse le mot de la fin Alexandre...

Je le laisse à Clemenceau… Il a écrit à son vieil ami Monet les mots suivants : « Jusqu’à la dernière minute de votre vie, vous tenterez, et vous achèverez ainsi le plus beau cycle de labeur. Je vous aime parce que vous êtes vous, et que vous m’avez appris à comprendre la lumière. Vous m’avez ainsi augmenté. Tout mon regret est de ne pouvoir vous le rendre. Peignez, peignez toujours, jusqu’à ce que la toile en crève. Mes yeux ont besoin de votre couleur et mon cœur est heureux. »

Et de conclure dans son livre sur Monet : « L’artiste a vécu un moment supérieur de l’Art et, par la même, de la Vie, mais c’est l’être humain que je cherche au-delà de l’artiste, l’homme qui, livré tout entier à ses impulsions les plus hautes, a osé regarder en face les problèmes de l’univers pour les aborder ensemble et les fondre dans le bloc esthétique d’une sensibilité affirmée, sous l’impulsion d’une énergie de vouloir que rien n’a pu faire dévier. »

"Claude Monet – Georges Clemenceau une histoire, deux caractères", Alexandre Duval-Stalla, l’Infini Gallimard.