Mourir jeune

Mourir jeune

Mourir jeune est un bien, une belle commodité dans ce monde navrant. On part avant le temps des bilans et les coups de poing dans la gueule, avant les désillusions, les claques dans le pif, les regrets et tout le reste.

Crever sans connaître les cheveux blancs, les problèmes de prostate, de mémoire et les varices, ses petits enfants brailleurs et gâtés. S’endormir en pleine beauté physique, c’est entrer dans une légende, être fixé dans le temps sans souci de la dégénérescence. Ne pas avoir peur d’oublier. Partir en toute connaissance de cause en sachant ce qu’on a été et sans angoisse de ce qu’on va devenir.

Mourir jeune, c’est quitter la terre sans se retourner, ne pas payer trop cher ses erreurs, fuir la lucidité et la sagesse.
Disparaître corps et âme de cette société, sans avoir eu à faire ses preuves est une vraie libération. Surtout lorsqu’on ne croit en aucun au-delà, surtout lorsqu’on attend rien du trou noir et de la fin des battements de cœur.

Mourir jeune, c’est échapper à la douleur, à la rancœur, à la méchanceté, à l’injustice. Là où l’on va on a plus besoin de l’amour et de ses illusions, des chimères qui font du bien au moral, des faux semblants consuméristes qui rassurent.
Périr en pleine force de l’âge, c’est être une œuvre d’art qui ne souffre pas de finitude, c’est assister au passage précaire d’une comète. Passer l’arme à gauche au tiers de sa vie évite bien des écueils tragiques, bien des errances pour pas grand chose à tenter de retrouver une gloire et une énergie passées.
Mourir jeune, c’est ignorer la fausse nostalgie, ne plus rendre aucun compte à la vie. Devenir une image figée dans l’action et non pas bloquée dans l’inertie, la culpabilité et la paralysie des membres inférieurs.

Trépasser avant le vieillissement des cellules, le ralentissement des neurones c’est offrir un corps sain à la mort, une entité épargnée par la pollution des esprits et des petitesses, c’est triompher de la vie avec une vraie rébellion.
Mourir jeune, c’est dire adieu ou au revoir au bon moment sans rien devoir à personne, sans être à la charge de personne, c’est laisser le monde tel qu’il est en ayant le sentiment d’avoir fait le maximum, de ne pas être passé à coté de ce qu’on avait rêvé d’être .

Mourir jeune, c’est ne plus se soucier de laisser une trace quelconque dans les esprits, les consciences et les mémoires immédiates.