Quand Peron en Argentine beurrait les tartines de ses amis les nazis !

Quand Peron en Argentine beurrait les tartines de ses amis les nazis !

Où nous retrouvons Bernie Gunther débarqué en 1950 à Buenos Aires avec deux autres nazis, pour se refaire une virginité en tant que détective à propos de la disparition d’une jeune fille retrouvée atrocement mutilée. Il va découvrir les secrets les mieux cachés du régime de Peron. Avec maestria une fois encore, Philip Kerr sait dénouer les écheveaux au galop des affaires et décrypter « Une douce flamme ». Son roman se brûle à l’étendard des régimes fascistes en piste. Il dresse les accointances des mœurs et du pouvoir entre Berlin des années 30 et Buenos Aires des années 50. Pour ne rien gâcher à notre plaisir, il garde toujours le même humour so british qui nous enchante tout au long du livre. Quel plaisir de le lire !

L’an passé, nous avions quitté les aventures de Bernie Gunther en proie avec La Mort en autres. Tous les ans Philip Kerr nous gratifie d’un nouvel épisode de notre détective préféré. Nous le retrouvons à l’aube d’une nouvelle aire après le massacre d’une Europe (qui) commençait à peine de se remettre d’une maladie appelée nazisme, qui avait fait plus de cinquante millions de morts. (page 10)

Bernie débarque avec Eichmann et Kuhlmann en Argentine, dans un pays où personne n’a le sens de l’humour, l’homme souriant est roi (page 25) ainsi que l’uniforme ! Dès son arrivée, il tape dans l’œil du cyclone du colonel Montalban qui l’engage tout de go comme son héros, le célèbre détective de la Kripo berlinoise auquel presque aucune affaire de disparition ne résistait. Bernie membre imminent de la police secrète du régime Peron, avec une grosse épine dans le haut de l’échine, un méchant crabe qui se crapahute ! Qu’à cela ne tienne, Eva la diva et première dame d’Argentine doit elle aussi se faire soigner par un super carabin.

Une célèbre jeune fille a disparu, Fabienne von Bader est ce que l’on appelle une paquete. Un membre de la haute société élégante. Son père, Kurt von Bader, est un ami intime des Peron, en même temps qu’un des directeurs de la Banco Germanico, ici à Buenos Aires. (page 50).

Plus étrange encore, Bernie se voit enquêter sur une autre étrange affaire qui ressemble à une affaire similaire non résolue à Berlin, sur fond d’adolescente éviscérée.

En suivant les pratiques toujours en vigueur des nazis bien implantés en Argentine qui ont reconstitué leurs réseaux et les mœurs du troisième Reich, Bernie va vite avoir le tournis. Philip Kerr va entraîner ses lectrices et lecteurs exercé(e)s pour le suivre dans les dédalles documentés et parfaitement composés de Berlin en 1932 et Buenos Aires en 1950. De rebondissements en fausses pistes, tout, vous saurez tout de la collusion, système bien huilé, entre le régime de Peron et les nazis réfugiés sous une fausse identité dans son pays. Vous rencontrerez des modèles déposés de la gent nazi, sans peur et sans remord qui répondront avec aplomb à Bernie : Nous avons fait tout ce que nous devions faire. Ce qu’on nous a dit de faire. (page 169) De bons petits soldats en somme et de bons flics du régime. Ca ne vous rappelle pas un autre république bananière qui se veut démocratique, actuellement à votre porte où le délit de salle gueule au faciès revient en force

Il avait un tout petit zizi et un gros cul le Père Ubu (Dick Annegarn) et les mœurs du dictateur sont conformes à son anatomie, même en Argentine. Peron a un penchant pour les petites filles. Douze, treize, quatorze. Vierges. Et qui n’utilisent pas plus la contraception que lui. Il aime l’étroitesse des filles jeunes car son pénis est tout petit. Si je vous le dis, c’est parce que, dans ce pays, rien que de savoir ça fait de vous un homme mort. (pages 294 / 295)

Bernie rencontre Anna, une superbe créature juive dont il pourrait presque être le père. Kerr commence à nous habituer à ces idylles de tome en tome, un peu dommage peut-être le resucée de l’intrigue qui se répète. Il faudra peut-être lui proposer de lire les aventures de Boro reporter des superbes Franc et Vautrin pour qu’il se renouvelle ! C’est la seule modique critique que je formulerai à l’encontre de son présent roman. Sinon, tous les personnages sont bien campés, les péripéties de Bernie sont rapides et palpitantes qu’on à peine à reposer le livre tellement c’est engageant.

En fait, les deux personnages, que je préfère à leur époque respective, sont les villes de Berlin et Buenos Aires. Les similitudes de régimes finissants appelant de grandes transformations dans le sang, avec à leur tête des tyrans. Buenos Aires me rappelait le Berlin des derniers jours de la République de Weimar. Mais à mes yeux de vieux cynique, rien de ce que j’avais vu ici n’était comparable avec l’ancienne capitale allemande. Les filles qui dansaient avaient encore leurs vêtements et les hommes leur servant de partenaires étaient au moins des hommes, et pas quelque chose entre les deux. L’orchestre pouvait tenir une note, et il n’y avait aucune prétention au raffinement. (…) Mais, alors que Berlin faisait étalage de son vice et de sa corruption, Buenos Aires cachait son goût pour la dépravation comme un vieux prêtre qui dissimule une bouteille de Cognac dans sa poche de soutane. (page 330)

Ah quel style, c’est torché cousu main ! Chapeau ! La terreur dans les rues contre l’ennemi intérieur ("la juiverie internationale et le bolchevisme") implante un régime fort par les urnes que réclament ses moutons pour sa tranquillité. La montée du fascisme en Allemagne est parfaitement décrite. Mais c’est le problème avec les nazis. Ils font ressortir le pire côté des gens. (page 141). Cynique, Bernie, à peine ! Réaliste surtout ! Les élections du 31 juillet 1932 virent les nazis gagner des sièges au Reichstag, mais sans obtenir la majorité absolue qui aurait permis à Hitler de former un gouvernent. Chose incroyable, les communistes se rangèrent alors du côté des nazis pour faire voter au parlement une motion de censure contre le malheureux gouvernement Papen. Après ça, je me mis à détester les communistes encore plus que les nazis. (page 232)

Philip Kerr, j’adore vivement 2011, la suite ! A souligner également l’excellente traduction de Philippe Bonnet. Quand l’histoire et la littérature s’écrivent au noir, c’est du grand art !

Une douce flamme de Philip Kerr, traduit par Philippe Bonnet, éditions du Masque, juin 2010, 427 pages, 22 euros