Les Fortin : « Une vie entière portée par le goût de la liberté » !

Les Fortin : « Une vie entière portée par le goût de la liberté » !

Xavier Fortin tel un père exemplaire a voulu vivre en homme le plus libre possible et se soustraire à la société qui façonne des robots aseptisés. C’est aussi pourquoi, il a pris la poudre d’escampette durant onze ans et sauvé ces deux « fils du Vent » du carcan familial qu’on voulait leur imposer. C’est aussi au nom de la salvatrice désobéissance civile, au droit immuable de dire non à des décisions de justice iniques et cyniques, qu’ils sont entrés en Résistance. D’une plume d’Indien à trois, riches de cette expérience haletante ils nous offrent à partager leurs parcours semés d’embûches, de solidarité et de révoltes. Et que souffle encore pour longtemps leur amour de la nature et de la liberté qu’ils chérissent tant.

C’est toujours étrange comme les médias, à la racole du pastaga qui endort les consciences, ont la fâcheuse habitude de s’intéresser à la marge quand elle ouvre une page sur d’autres réalités possibles, pour aussitôt récupérer le phénomène et en faire du fric. Okwari et Shahi Yena âgés de 17 et 18 ans ont su braver les diarrhées médiatiques pour soutenir Xavier en prison. « Acteurs sans le vouloir d’une série de téléréalité, nous serons manipulés par les animateurs – pardon journalistes – dans un seul but : jouer avec les sentiments, les nôtres, ceux des auditeurs, lecteurs, téléspectateurs, afin de faire grimper l’audience. Notre histoire, nos vies, nos sentiments jetés en pâture à des millions de gens, il faudrait en plus que nous étalions nos blessures et nos trésors les plus intimes ? Non ! » (Théo / pages 90 et 91)

« C’est avec Manu-Pierre-Xavier (il a du changer de blaze à maintes reprises ainsi que ses fils) qu’on s’est sauvés, il y a onze ans, de chez Katia (leur mère) et de son appartement minuscule. C’est avec lui qu’on a dû se cacher, tout cetemps, pour avoir le droit de vivre avec nos bêtes, dans la nature. Onze ans à se balader sans papier, à vivre libres, loin de l’école, mais à subir en contrepartie les descentes de flics, à devoir abandonner en catastrophe, maison, amis, animaux et reprendre la vie à zéro, une fois, deux fois, trois fois, cinq fois… » (Manu / page 27)

Oui mais O fête, pourquoi ce choix de prénom des deux fils du Vent ? «  Shahi Yena, en sioux lakota, c’est celui qui suit la voie de l’Homme rouge, la voie du cœur, celle de l’homme de la Nature. (…) Okwari, lui, signifie en iroquois ; c’est un nom et un animal totem liés aux sorciers, aux gardiens de la médecine et de la tradition pour les temps à venir. (… ) (Xavier / pages 148 et 149)

Bon, d’accord c’est bien beau de se revendiquer du mode de vie gitane et rouler sa bosse dans une roulotte tirée par un cheval et entouré d’animaux, sauf que durant onze ans sans école officielle, bonjour les dégâts ! Xavier dans sa pédagogie appliquée au quotidien est digne d’un Célestin Freinet bien inspiré. « De l’époque de Nyons, quand ils avaient sept et neuf ans, je voulais qu’ils commencent à être autonomes, c’est-à-dire à gérer leur apprentissage. (…) Pour le programme scolaire proprement dit, je dirigeais de moins en moins, réduisant progressivement mon rôle à celui de superviseur. » (Xavier / page 273)

Et qu’est-ce que ça donne quand ils sont devenus grands, ces enfants ? « Réussir sa vie n’a rien à voir avec « réussir dans la vie » : encore une stupidité qu’on t’inculque dès l’école, avec la compétition, la comparaison, la valeur qu’on t’attribue en fonction de ce que tu fais, pas de ce que tu as dans les tripes ni de ce que tu es, et la spécialisation en prime qui t’ampute d’une bonne partie de toi. (…) Nous sommes des êtres illimités, il faut simplement se le rappeler… Dites-moi pourquoi je devrais me conditionner ? » (Shahi Yena / page 345)

Et cet affreux jojo de Xavier qu’on dépeignait à son procès comme un « reclus solitaire », ça fait chaud au cœur de voir que de partout, les aminches par delà leurs riches personnalités affirmées et leurs diversités sont venus soutenir leusr chers potos ! « je vois les amis du mouvement des squats, Kahena arrivée d’Italie, Bart d’Espagne, Dido d’Allemagne ; je vois des trucs surprenants, des paysans cévenols qui ne bougent pas de chez eux et qui sont là soudain solidaires. Je vois Katie et Kornélia, et encore un, et encore une. Il y a de tout dans cette salle, de Jojo la grande bourgeoise aux amis de la Bernette avec dreadlocks, tatouages et piercings en passant par les babas cool des montagnes, les néo-hippies, les néo-ruraux, et les paysans de toujours. » (Xavier / page 428)

A croire que la Providence est toujours au rendez-vous de ce trio très attachant et remarquable, à croire aussi que les combats légitimes portent aussi les fruits de la solidarité en résistance !

Tel père tels fils se répondent au fil des chapitres, sans grandes dissonances dans la danse à la liberté de leur épopée. De nombreuses photos illustrent aussi le livre, de Xavier paysan bio en 1984 en Normandie (bien avant l’heure !) à ses très jeunes fils à la ferme s’occupant des animaux et cultivant, en passant par l’apiculture, la plantation des poireaux, au dressage d’une jument….

On ne s’ennuie jamais chez les Fortin, et toutes ces activités forgent leur caractère et leur autonomie. Ce mode de vie libertaire pose aussi des débats de société sur des questions primordiales : la justice en France / le droit des enfants bafoués que l’on confie à l’un des deux parents lorsqu’ils se séparent, sans que l’avis de leur progénture ne soit pris en compte / le délit de sale gueule encré dans la tête des flics qui raflent la marginalité à grands coups de trique en bavant tout leur saoul et bien entendu la légitimité de la désobéissance civile.

Ces jeunes épanouis, matures, natures n’ont pas grand-chose à voir avec les autres jeunes totalement formatés au jus du consumérisme bêlant. Etonnant non ? Okwari s’en explique : « « Je ne sais pas si ça vient de là, de toutes ces vies qu’on a vécues en une seule, de tous ces gens qu’on a rencontrés, ou alors de cette autonomie qu’on a acquise bien plus tôt que la moyenne ; en tout cas, je m’entends bien mieux avec les personnes adultes qu’avec ceux de mon âge ! Quand j’en rencontre des jeunes de dix-sept ou dix-huit ans, et c’est forcément souvent, j’ai l’impression qu’en dehors du bahut, de l’alcool, la fête et le sexe, ils n’ont à peu près rien dans la tête. Aucune conversation possible. » (Okwari / page 340)

Un livre brûlant les tripes tellement c’est agréable de savoir qu’il est encore possible de vivre hors de la servitude volontaire, hors système tout court, selon ses convictions. De savoir que brille l’étoile de la liberté quelque part tout près de vous. Merci aux trois Fortin, tous pour un, un pour tous, entourés des aminches solidaires de leur mode de vie sans contrainte matérielle, «  une vie entière portée par le goût de la liberté » (…) « autour d’un thème récurent : l’amour, l’osmose avec la nature ». » (Xavier / page 103)

Bon vent de tout cœur à tous les trois !

Hors système Onze ans sous l’étoile de la liberté de Okwari, Shahi Yena et Xavier Fortin, Jean-Claude Lattès éditions, 469 pages, mars 2010, 19 euros